USA-Suisse : la lutte fiscale

Le conflit fiscal qui oppose les deux pays rebondit à nouveau avec le dossier de Credit Suisse. Les Sénateurs US sont outrés que la Confédération résiste encore à la lex americana. Et qu’un Etat lilliputien puisse revendiquer sa souveraineté pour refuser l’extradition de ses ressortissants. L’empoignade continue.

Les escadrilles de Gripen vont-elles devoir protéger la Suisse d’une attaque américaine ? La question n’est pas encore d’actualité, puisque les chasseurs suédois, préférés aux Rafale français, n’ont pas encore été livrés à la Confédération. Heureusement que Carl Levin, qui préside la sous-commission permanente d’enquête du Sénat US, n’a aucune fonction exécutive au Pentagone. Car il se montre belliqueux à l’égard de la Banque suisse en général, et de Credit Suisse en particulier, après les longues investigations qui ont été menées sur les pratiques de l’établissement. Lequel est convaincu d’exactions sur le sol américain – la prospection de candidats à l’exode fiscal. Ce que la banque ne nie pas, sans toutefois accepter d’en endosser la responsabilité : les « banquiers privés » de la firme auraient organisé eux-mêmes leurs déplacements illégaux, sans instructions de la Direction et sans que cette dernière en ait été avisée. Au vu de la fréquence des déplacements desdits banquiers privés, et du nombre de comptes de résidents américains sous mandat du Credit Suisse (plus de 22 000 en 2006, pour 12 milliards de dollars d’encours), les déclarations virginales des dirigeants de la deuxième banque helvétique sont nécessairement suspectes. Pourtant, un audit interne, mené conjointement par des Suisses et des Américains, et ayant épluché une masse considérable de documents, n’a pu établir une quelconque implication du staff de la banque. Il faut donc en conclure que les salariés de Credit Suisse jouissent d’une autonomie remarquable, ou que les dirigeants de la firme sont d’une prudence exceptionnelle…

Le prix de la souveraineté

Les faits délictueux ayant été reconnus, Credit Suisse a accepté une transaction avec la SEC, le gendarme de la Bourse américaine. L’accord met fin à l’enquête de l’autorité financière sur les « services non enregistrés des courtiers et des conseillers en placement, fournis à des clients américains ». Moyennant le paiement d’une amende de 196 millions de dollars. L’affaire n’est pas close pour autant, car demeure l’action menée par le Département de la Justice (DoJ) et ses conséquences éventuelles sur le plan pénal. C’est sur ce volet qu’intervient la commission Levin, flanquée de John McCain comme vice-président (dont chacun connaît la propension naturelle à la nuance). A ce jour, 14 établissements suisses demeurent concernés par une telle procédure, pour avoir aidé des contribuables américains à se soustraire à leurs obligations fiscales. Le cas d’UBS a été définitivement réglé, avec une transaction de 780 millions de dollars pour échapper aux poursuites pénales : un précédent coûteux, qui n’encourage guère les autres prévenus à la coopération spontanée avec le DoJ.

Ce dernier, auditionné par la Commission avant les dirigeants de Credit Suisse, a essuyé une volée de bois vert de la part de Levin et de McCain. Les Sénateurs ne comprennent pas que le dossier ait aussi peu avancé, après plusieurs années de procédure. Ni que les banquiers privés identifiés n’aient pas été extradés pour être crucifiés par la lex americana. Il a fallu rappeler aux honorables parlementaires que la Suisse ne procède pas à l’extradition de ses ressortissants, quand bien même la demande émanerait-elle de la très vertueuse Amérique. En prime, le département de la Justice n’a pu obtenir que 238 noms de fraudeurs sur les 20 000 contribuables potentiellement concernés. C’est que le secret bancaire n’a pas encore été complètement dynamité, ce qu’a confirmé l’audition savoureuse de Brady Dougan, Directeur général de Credit Suisse. Manifestement peu impressionné par l’agressivité des parlementaires, Dougan a rappelé que la convention fiscale entre les deux pays, conclue en 2009, n’avait toujours pas été ratifiée par… le Sénat américain. Et quand bien même l’aurait-elle été, la loi fédérale suisse sur le secret bancaire continuerait d’être opposable au Département de la Justice yankee.

Dans de tels moments, on est pris d’une grande affection pour la banque helvétique. Non que l’on cautionne l’évasion fiscale, qui est un fléau pour les finances publiques de n’importe quel Etat. Mais c’est une grande satisfaction de voir l’arrogance américaine ainsi mise en échec. Pour les Sénateurs Levin et McCain, l’Amérique est dans son bon droit lorsqu’elle viole impunément l’intimité de ses amis. Mais il leur paraît extravagant qu’un Etat tiers, aussi minuscule que la Confédération, puisse revendiquer sa souveraineté lorsque son système juridique entre en conflit avec celui de l’Oncle Sam. On l’a souvent rappelé ici : le secret bancaire suisse procède de valeurs plus honorables que le juridisme mercanti américain. Même si, convenons-en, sa protection emporte des conséquences économiques non négligeables. L’empoignade est donc loin d’être achevée.

Les pays qui ont adopté la réglementation « Fatca », qui impose aux banques de transmettre au fisc américain les données nominatives des comptes de ses résidents, vont bientôt comprendre le sens que les Etats-Unis donnent à la notion de réciprocité. En attendant, les banques françaises mesurent le coût que leur impose cette norme, applicable dès le 1er juillet prochain : il est question de 1 000 euros par compte. Un prix élevé, au point que certains établissements de taille modeste préfèrent clôturer les comptes des résidents américains. Mais au vu de la généralisation probable de l’échange d’informations, tous les établissements sont promis à un alourdissement de leurs charges. Si bien que pour « un service rendu d’intérêt général », selon la Fédération bancaire française, « il faudra un jour se poser la question de sa rémunération ». Pour améliorer notre imposition, les banquiers vont devoir nous imposer de nouveaux frais. On compatit à leur affliction.

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