Vers le grand soir (...)

Vers le grand soir fiscal ?

L’annonce inopinée d’une « remise à plat » de notre fiscalité a soulevé une puissante vague d’incrédulité. Pour souhaitable qu’il soit, un tel chantier ne se conduit pas en quelques mois. L’objectif probable est de réagir à la concurrence fiscale au sein de l’UE. Et de favoriser les entreprises, au détriment des ménages.

Une « remise à plat » de la fiscalité ? Diable ! Voilà une ambition propre à clouer le bec aux innombrables critiques. Qui dénoncent pêle-mêle la passivité, l’indécision et la versatilité du Gouvernement - bref, l’absence d’une ligne politique déchiffrable. La thématique de l’impôt figure logiquement en bonne place dans le débat public. Surtout dans notre pays, où les contributions suscitent une animosité consensuelle. En témoignent les remous présents sur tous les fronts, à la faveur d’une nouvelle volée de taxes qui vient compléter l’inventaire à la Prévert de notre Code général des impôts. Car il ne fait de doute pour personne que notre système fiscal soit devenu un maquis hostile, dans lequel seuls les hyper-spécialistes osent s’aventurer. De fait, la fiscalité française est désormais une spécialité de géologues : elle résulte de la sédimentation de textes pas toujours compatibles, nuancés par de multiples strates d’exceptions, truffés de niches de protection et traversés par des failles d’invulnérabilité. Bref, les caractéristiques attendues du système ne sont pas réunies : sa « lisibilité » est défaillante, même aux yeux des professionnels ; son efficacité est nulle, puisque les comptes publics sont en déficit depuis des lustres ; quant à la « justice fiscale », son absence est dénoncée même par ceux qui ne paient pas l’impôt sur le revenu. Et qui considèrent que les « riches » n’en paient pas assez, bien entendu.

Toutes ces critiques ne sont pas nouvelles ; pourtant, depuis les débuts de la République, aucun gouvernement n’a jamais proposé une refonte complète du système fiscal. Et pour cause : les impôts les mieux acceptés sont ceux qui existent déjà. Il est plus confortable de les bidouiller que d’en inventer de nouveaux, fussent-ils moins coûteux pour le plus grand nombre. L’opinion est viscéralement conservatrice en matière fiscale, et spontanément réfractaire à toute novation, convaincue que le principal alibi du changement, c’est de prélever davantage. Il faut hélas reconnaître que pour une fois, la conviction majoritaire est plutôt bien fondée… Et tout gouvernement qui connaît un peu l’histoire de notre pays sait que l’impôt peut être un détonateur de l’explosion sociale. A manier, donc, avec précaution.

Transfert de charges

L’annonce du Premier ministre a logiquement pris de court tous les observateurs. Si bien que d’aucuns ont estimé, avec une probable perspicacité, que l’objectif poursuivi était davantage l’effet de surprise que l’intention véritable de remettre à plat la fiscalité. Car un tel chantier relève des travaux d’Hercule ; il suppose une préparation longue et méticuleuse ; il est un argument politique puissant, méritant à ce titre de constituer le cœur d’un programme électoral, plus qu’une foucade de mi-mandat. Remettre à plat le système fiscal, c’est entreprendre de le réviser de fond en comble ; il le mérite assurément, mais il oblige à revenir aux prémices de la réflexion politique : définir le périmètre de la dépense publique et étalonner la répartition optimale de son financement. Il semble préférable de se soumettre à ce type de démarche avant de prendre le pouvoir ; de même qu’il est préférable d’obtenir le doctorat de médecine avant d’installer son cabinet…

Que peut-il donc résulter de ces soudaines velléités de grand soir fiscal ? On passera pudiquement sur la consultation préalable des représentations syndicales – jusqu’à nouvel ordre, c’est le Parlement qui débat de la loi, pas les syndicats ; mais ce choix donne une indication intéressante sur l’esprit des réformes envisagées. Les publications récentes des organismes spécialisés vont dans le même sens : la France apparaît comme le champion européen de la taxation des entreprises. En termes de taux nominaux, s’entend ; après correction des régimes particuliers, des exceptions, dérogations et aménagements divers, outre l’« habileté fiscale », les firmes françaises paient plutôt moins d’impôts que la plupart de leurs homologues de l’Union. Mais la réputation de surtaxer les entreprises colle à notre peau. Pour changer la donne, il suffit de transférer une partie des contributions des firmes sur les particuliers (ce qu’a fait depuis longtemps l’Allemagne, soit dit en passant). Notamment par la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, ayant pour effet de rendre progressive cette dernière – solution préconisée de longue date par l’économiste Thomas Picketty. Lequel a observé que le système actuel, niches fiscales incluses, rend l’imposition dégressive pour les titulaires de très hauts revenus (ce qui est exact, du reste). On comprend sans peine que, selon son calibrage, la fusion en cause peut aisément conduire à une majoration sensible de l’impôt sur le revenu (IR) pour la plupart des contribuables, et très importante pour les hauts revenus, bien entendu.

L’Elysée entend-il honorer un engagement de campagne ? On soupçonne que cette soudaine sensibilisation aux réformes est plutôt conditionnée à la prise de conscience, tardive, de la concurrence fiscale entre Etats de l’UE. On peut même parler de « guerre fiscale » sans être soupçonné d’exagération, et ces colonnes en font régulièrement état depuis au moins une quinzaine d’années. Si elle voit le jour, la « remise à plat » envisagée aboutira, avec une quasi certitude, au renforcement du transfert de charges des entreprises vers les ménages (TVA et IR). Avec pour corollaire la montée des tensions entre Etats-membres, contraints de réduire les prélèvements sur les firmes jusqu’aux minima conventionnels de l’Union. Et donc de ponctionner largement le citoyen. Voilà qui va doper le moral du pékin.

Visuel : Tax Credits

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