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Vers une épidémie de « cameronite » ?

Il faut maintenant des ressources pour tenter de rétablir les finances publiques. S’il est fidèle à ses engagements, le gouvernement doit ponctionner les « riches » et les entreprises. Les jetant ainsi dans les bras du Premier ministre britannique. Pour échapper à la cameronite, une seule politique : celle des marchés…

Le tarissement du pétrole ? Oui, d’accord, tout le monde sait qu’il finira par se produire un jour. Mais chacun espère que l’échéance douloureuse sera continument repoussée : par la découverte de nouveaux gisements ; par la mise au point de nouvelles procédures d’extraction ; par l’invention d’un mode de fabrication synthétique peu coûteux. Ou bien toute autre option dont personne n’a encore la moindre idée. On a assurément tort de puiser sans vergogne dans les réserves connues, car il est avéré qu’elles ne sont pas renouvelables ; on a assurément raison de se montrer optimiste, car des solutions énergétiques alternatives existent déjà ou sont en voie de l’être. Il en va de même avec notre benign neglect à l’égard de la qualité de l’air, de l’eau et de la terre, une qualité essentielle à la survie de notre espèce. Là aussi, des options thérapeutiques sont expérimentées, qui apporteront assurément des solutions, quitte à générer de nouveaux désordres.

Le contexte s’apparente au paradigme du chat de Schrödinger, lequel est en même temps vivant et mort : ces propositions sont en même temps vraies et fausses. Dans les deux cas, la « vérité » se trouve dans la glorieuse incertitude probabiliste. Le fait de ne pouvoir l’atteindre ne nous empêche pas de vivre dans la sérénité, à cause de notre perception du temps : ce dernier a une durée infinitésimale dans l’expérience du chat ; il est au contraire supposé très long dans nos œuvres de démolition. La perspective change totalement lorsqu’il s’agit d’expérimentation politique, tout particulièrement dans son principal laboratoire : la fiscalité. Là, la perception de ses bienfaits et de ses dommages est immédiate et permanente : au moment du choix des ingrédients à Matignon, lors de leur mélange à l’Assemblée nationale et pendant la longue réaction chimique qui s’ensuit dans tout le pays. On obtient alors, in vivo, une confirmation des théories darwiniennes : les comportements de notre espèce évoluent très vite, de façon à s’adapter au nouvel environnement…

Pas d’autre alternative ?

Les grands travaux sont donc lancés, chez nous, pour reconfigurer un système fiscal dont on a déjà dit ici combien il est devenu un maquis inextricable, pour avoir été continument bricolé et rapetassé, sans avoir fait l’objet de la remise à plat qui s’impose. Il en résulte une architecture rococo, caractéristique de l’usine à gaz, que sa complexité finit par priver de toute efficacité. Une bénédiction pour les professionnels de la discipline, car cet état de fait dynamise la créativité de l’ingénierie fiscale, un art subtil que le pékin ignorant qualifie de « fraude fiscale légale ». Admettons toutefois que la reconfiguration du système fiscal serait une tache ardue. Parce qu’elle n’est guère concevable en un jour, en premier lieu. Et ensuite parce qu’elle doit prendre en compte le concept de concurrence fiscale, loyale ou frauduleuse, qui résulte à la fois du processus de globalisation (favorable au nomadisme) et à la survivance de paradis (fiscaux et… bancaires), qui exonèrent l’agent économique du respect de la loi commune et le contribuable de ses obligations ordinaires.

D’évidence, l’équation à résoudre n’est à la portée d’aucun gouvernement, pris isolément : quand bien même ce dernier parviendrait-il à optimiser (au moins théoriquement) son système fiscal, il ne pourrait empêcher ses ressortissants (personnes physiques ou morales) d’aller exploiter ailleurs leurs talents. Lorsque c’est possible bien entendu – et tel est souvent le cas pour les plus gros producteurs. Le meilleur antidote au nomadisme serait donc une large unification planétaire des régimes en vigueur – avec ses dommages collatéraux sur les libertés : un « pouvoir fiscal » mondial aurait tôt fait d’abuser de son monopole, n’en doutons pas. Nous sommes toutefois loin d’une telle perspective.

Au sein même de l’Union européenne, la concurrence ne se cache pas, en témoigne la saillie récente de Cameron, se proposant de « dérouler le tapis rouge » aux Français les plus aisés, menacés par un surcroît d’imposition. A l’aune des usages diplomatiques, de tels propos sont inconvenants. Mais on ne peut accuser le Premier ministre britannique d’avoir plastronné sans motif. Subtil observateur de la société française, le quotidien suisse Le Temps titrait récemment : « L’attente angoissée des patrons français ». Invoquer l’angoisse est peut-être racoleur, mais le corps de l’article confirme une réelle préoccupation des milieux d’affaires. Pour ne rien dire de celle des professions indépendantes et libérales. Apparemment, les intéressés consultent tous azimuts, en dépit des dénégations vigoureuses de Laurence Parisot : « Je ne veux pas que les entreprises françaises marchent sur le tapis rouge », a-t-elle crânement déclaré. Soit. Le pouvoir d’influence du Medef est réel, mais les décisions des firmes obéissent d’abord à l’intérêt objectif. Lequel ne s’apprécie pas exclusivement sur le critère de la fiscalité, convenons-en. Mais avec les nouvelles ponctions sur les dividendes, sur le patrimoine et, surtout, la surtaxation des très hauts revenus – pour ne citer que les mesures validées -, les avantages concurrentiels de la France s’étiolent. Avec le risque aggravé d’une pandémie de cameronite. Il en résulte cette cruelle interrogation : dans le contexte présent, un gouvernement peut-il ambitionner une politique autre que celle fixée par les marchés ? Question de pure rhétorique : tout le monde connaît la réponse.

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