Viager : la résurrection

Viager : la résurrection ?

Les transactions immobilières en viager ont souffert de la banalisation du crédit et de l’augmentation de la longévité. Ainsi, les candidats vendeurs sont nombreux et trouvent difficilement contrepartie. Une conjoncture qui a incité des institutions à se positionner (timidement) sur ce marché.

Les difficultés des temps présents renforcent les inquiétudes sur l’avenir des régimes de retraite, obligatoires ou volontaires, par répartition ou par capitalisation. Quelle que soit l’option dominante, les rentes futures seront conditionnées aux mêmes paramètres : la structure démographique et l’état général de l’économie. Pour le premier facteur, les prévisions à moyen terme présentent un niveau de probabilité proche de la certitude : la population des retraités va croître plus fortement que celle des actifs. Sauf à corriger l’écart en repoussant le droit à pension à un âge canonique. Pour les perspectives de croissance, l’incertitude est considérablement plus élevée, rendant très hypothétique toute projection de moyen terme. Mais un consensus raisonnable se dessine : même en écartant le risque (bien réel) d’une dépression, le retour à des taux de croissance comparables à ceux du demi-siècle écoulé est hautement improbable. Il en résulte que les années à venir seront inéluctablement marquées par de nouveaux sacrifices : un poids relatif plus élevé sur les actifs, en vue de financer des pensions plus sélectives pour les retraités. De ce fait, il va devenir nécessaire à ces derniers de ponctionner le patrimoine accumulé afin de financer les besoins quotidiens. D’un point de vue d’ensemble, une telle situation n’a rien d’alarmant : si chaque individu pouvait garantir son autonomie toute sa vie, en ayant assumé l’investissement que représente l’éducation des enfants, l’équilibre de la société serait préservé (mieux qu’aujourd’hui, en tout cas). Mais une telle évolution suppose que la plupart des ménages devront renoncer à la prétention de transmettre des biens à leurs enfants, et notamment la résidence principale, pilier du patrimoine familial. Le phénomène est déjà perceptible parmi les retraités : ils seraient chaque année au moins 12 000 à vouloir aliéner leur résidence en échange d’une rente, au travers de la technique du viager occupé.

Une opération aléatoire

A notre connaissance, nul n’a encore écrit l’histoire du viager, qui serait pourtant une base intéressante pour comprendre l’évolution du concept de propriété, promis à d’âpres débats sur les temps futurs. Longtemps la propriété foncière a résulté de la seule conquête militaire. La Rome antique offrait aux vétérans de son armée l’usufruit d’un domaine agricole, ou à des roitelets celui de territoires entiers en échange de leur allégeance et de quelques redevances. Mais la propriété était relativement stable. Un système juridique voisin de celui qui prévalut chez nous sous le régime féodal, avec les fiefs et autres tenures. Le viager « moderne » semble s’être développé après sa normalisation par le Code Napoléon. En l’absence de système institutionnel de crédit, le viager était le seul mode d’acquisition possible pour ceux qui ne disposaient pas du cash nécessaire. La généralisation du crédit bancaire et l’accroissement de la longévité ont marginalisé ce mode opératoire. Car les conditions de la transaction reposent principalement sur les statistiques de mortalité, qui sont pertinentes sur l’ensemble d’une population donnée. Mais sur une personne isolée, l’écart à la moyenne peut se révéler important, voire astronomique (tel le cas de Jeanne Calment, ex-doyenne française qui a « saigné » son débirentier sur plusieurs générations). Le risque de l’acheteur est donc considérable, sauf à proposer au vendeur des conditions inacceptables.

Au vu du déséquilibre sur le marché du viager (peu de transactions par rapport à l’offre), plusieurs institutions ont pris des positions. L’Union mutualiste retraite (UMR), propose l’achat de la nue-propriété de la résidence principale (ou d’une résidence secondaire), mais à ses seuls adhérents. Avec un principe généreux : paiement intégral sous la forme d’un « bouquet » (pas de rente). Hors du champ mutualiste, une société de gestion a constitué un fonds de placement spécialisé, destiné à être capitalisé par des investisseurs « avertis » (au sens du règlement général de l’AMF). Avec suffisamment de dossiers (100 à 300) pour coller aux statistiques de mortalité et en même temps effacer chez l’investisseur l’aspect morbide de l’opération -pour lui d’autant plus rentable que le crédirentier meurt rapidement.
Au cas d’espèce, le gestionnaire n’a pas ménagé ses verrous sécuritaires. Le groupe des crédirentiers retenus présentera un âge moyen élevé (80 ans pour les hommes, 85 pour les femmes), ce qui réduit l’impact redouté de la sous-mortalité. La table utilisée est celle des assureurs, corrigée de 20% pour minorer le risque d’anti-sélection (les vendeurs en viager sont plus « résistants » que la moyenne). La valeur de transaction correspond à la valeur de marché, diminuée du cumul des loyers théoriques sur la longévité prévisionnelle. Et dans le cas de la Sicav en question, les biens transigés sont strictement circonscrits dans les zones à large marché (immeubles collectifs, en Ile de France, Grand Lyon ou Côte d’Azur). Une sage précaution compte tenu de l’évolution incertaine du marché immobilier face aux perspectives déflationnistes. En dépit des contraintes de liquidité et de frais importants, tant à l’entrée qu’à la sortie, une telle Sicav est susceptible de générer une rentabilité honorable (moyenne annuelle de 5% à 6% escomptée, hors variation du prix des immeubles). Encore faut-il que le deal puisse être attrayant pour les vendeurs, dont la motivation est double : obtenir un complément de ressources et demeurer dans leur logement. Car les retraités impécunieux peuvent envisager une option concurrente : vendre à un investisseur « classique », qui sera ravi d’obtenir en même temps un locataire stable…

Visuel : © DR

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