Edito - L'art de marcher

Edito - L’art de marcher sur des œufs

Notre pays a le secret des embrasements aussi violents que subits. Les exemples sont légion ces dernières années. Les « gilets jaunes » ont ainsi offert six mois de chienlit dont le Covid et les confinements sont venus à bout plus efficacement que les mesures gouvernementales. Plus récemment, la dramatique affaire Nahel, 17 ans, tué à bout portant fin juin 2023 par un policier, a enflammé les « quartiers ». La scène filmée depuis un balcon a mis à mal la version officielle d’un tir en légitime défense. Idem avec Geneviève Legay, jetée à terre par les CRS à Nice lors d’une manifestation interdite mais pacifique : la police et le procureur de l’époque avaient rejeté la responsabilité de la chute sur… les photographes de presse.
La commission d’enquête du Sénat a dressé récemment le bilan de l’affaire Nahel : 50 000 émeutiers, 2 508 bâtiments touchés dont 243 établissements scolaires, 105 mairies et 66 agences bancaires, plus de 12 000 voitures brûlées. La « contestation de l’ordre établi » et la « violence décomplexée » ont coûté un milliard à la collectivité souligne aujourd’hui le rapporteur François-Noël Buffet (LR). Des événements qui posent question.
Policiers, sociologues, associations, jeunes, acteurs culturels… La commission sénatoriale a « croisé les regards » sur ces émeutes d’autant plus préoccupantes qu’elles peuvent se reproduire à la moindre occasion. Signe évident d’un fossé grandissant dans la société française : ceux qui ne le voient pas ne veulent pas le voir. Pourtant, les gouvernements successifs et les communes ont investi massivement pour améliorer le cadre de vie, le quotidien des habitants. Mais les jeunes restent souvent à l’abri du « ruissellement ». Ils sont perméables à toutes les ‘sirènes’ , prêts à s’embraser, dans un sentiment de relégation sociale.
Les sénateurs ont dressé le profil type de l’émeutier épisode Nahel : «  un homme de nationalité française, 23 ans, célibataire sans enfant, hébergé chez ses parents, qui a au maximum le bac, plutôt en activité ». Ceux-là ont utilisé des « techniques de guérillas urbaines ». Les réseaux sociaux ont joué un rôle de facilitateur dans les émeutes.Ils ont permis de faire circuler de ‘l’info’, de donner des points de rendez-vous, de signaler les mouvements de police. D’où la proposition sénatoriale de contrôler ces canaux en cas d’événements exceptionnels. « Il faut créer un cadre général de blocage de certaines fonctionnalités des réseaux sociaux pour reprendre le contrôle  » préconise la commission. Elle pense notamment à la géolocalisation et à la fonction de ‘live’.
La majorité sénatoriale souhaite une adaptation de notre droit aux nouvelles technologies pour des situations complexes. C’est logique, mais il faut être conscient que les Gafam ne vont pas se précipiter pour limiter, même temporairement, les outils qui font leur fortune. Les élus du Luxembourg estiment impérieux de faciliter les opérations de maintien de l’ordre mais sans «  empiéter sur les libertés des uns et des autres à communiquer ».
Difficile équilibre !
Jean-Michel CHEVALIER