Le dur passage de la (…)

Le dur passage de la Bérézina

On se demande bien quelle mouche a piqué Emmanuel Macron en se risquant ce lundi, en terrain découvert, à suggérer l’envoi de soldats occidentaux en Ukraine. Cette vraie-fausse annonce a surpris tout le monde, elle a aussi provoqué des dégâts.
Pour le président français, ce qui reste une possibilité davantage qu’une probabilité, est surtout destinée à maintenir « une ambiguïté stratégique », à mettre un coup de pression sur Poutine, dans le genre « vous verrez ce que vous allez voir ».
Était-ce vraiment de nature à impressionner le Kremlin ?
Avant même la fin de l’histoire, les Russes savaient pertinemment que si les alliés parlent d’une seule voix pour condamner l’invasion de l’Ukraine, leur degré d’engagement est à géométrie variable. Sauf la Hongrie, ils acceptent volontiers de sortir le chéquier ou d’envoyer des armes. Mais ils sont encore loin, très loin, d’être prêts à monter en première ligne. Il n’y avait aucune chance que Moscou, maître en matière de bluff, soit impressionnée par cette rodomontade tricolore.
Dès le lendemain, Berlin, Londres et Washington ont rejeté, et sans ambiguïté (stratégique ou pas) cette idée d’Emmanuel Macron. Le chancelier Olaf Scholz a réaffirmé qu’aucun soldat ne sera envoyé en Ukraine. On ne peut être plus clair. Un porte-parole du Premier ministre britannique Rishi Sunak a affirmé « qu’aucun déploiement n’est prévu  ». Varsovie, Madrid, Prague et les autres sont sur la même ligne (de défense), ainsi que Stockholm, qui s’apprête pourtant à entrer dans l’Otan. L’Alliance, elle-même, a expliqué que cette option n’était pas une option...
Les alliés, réunis à l’Élysée ce lundi, ont renouvellé leur soutien à Kiev, la main sur le cœur. Ils ont dit que la Russie ne devait pas gagner la guerre. Mais qu’ils n’entreraient pas dans un conflit frontal.
Emmanuel Macron a déjà été mieux inspiré dans ses initiatives européennes. On l’a vu, avant l’invasion de l’Ukraine, aller plusieurs fois à Moscou discuter avec Poutine. Chacun était installé à l’extrémité d’une table de marbre blanc de six mètres de long, ce qui en disait long sur les intentions du Kremlin. Certes, il n’a pas réussi, mais ce n’est pas faute d’avoir essayé... À peine élu en 2017, Macron avait reçu Poutine en grandes pompes à Versailles. Pour faire ami-ami, parce que la Russie est une « pièce » importante pour l’équilibre du vieux continent, et qu’il vaut mieux qu’elle soit en bonne santé à nos côtés, que malade et à la dérive. On pouvait, dès cette époque, deviner les noirs desseins de Moscou qui avait déjà annexé la Crimée. Mais l’on préféra faire comme si.

Aujourd’hui, on mesure l’amertume qui doit être celle de l’hôte de l’Élysée, snobé par Moscou, et pas soutenu par ses alliés. À cette bérézina diplomatique s’ajoute le doute produit en France par cette suggestion mal ajustée et vouée d’avance à l’échec : les oppositions n’ont pas tardé à dénoncer une initiative malheureuse et dangereuse. Il y aura débat à l’Assemblée, on ne voit pas ce qui pourra en sortir, sinon une tribune pour critiquer l’intervention présidentielle.
Dans cette affaire, notre pays a été ramené à sa juste influence sur le cours du monde (« combien de divisions ? » aurait demandé le petit père des peuples) et la France ne sort pas indemne d’une impasse dans laquelle elle s’est elle-même fourrée.

Jean-Michel CHEVALIER