Laïcité : affaire Baby (...)

Laïcité : affaire Baby Loup….Y a-t-il deux poids, deux mesures ?

Rares sont les décisions de la Cour de cassation qui font la une de l’actualité. Les arrêts du 19 mars 2013 en font toutefois partie. La chambre sociale prend position, pour la première fois, sur deux affaires de licenciement de salariées, au motif qu’elles portaient un voile islamique laissant voir le visage mais couvrant les cheveux.

Une première affaire concernait une salariée travaillant comme technicienne de prestations maladie dans une Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine. La Cour de cassation a jugé que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé (ce qui est le cas d’un organisme de sécurité sociale). Si les dispositions du Code du travail s’appliquent aux agents des CPAM, ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public qui leur interdit de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires. Le licenciement de la salariée était dès lors justifié.

La seconde affaire concernait la crèche privée Baby Loup, de Chanteloup-les-Vignes (banlieue parisienne), où le règlement intérieur de l’entreprise comportait une clause de neutralité applicable à tout le personnel. Pour la Cour de cassation, et en dépit de sa mission d’intérêt général, la crèche ne pouvait être considérée comme une personne privée gérant un service public. Or, justement, le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. Dans ces conditions, il convient de se reporter à l’article L 1121-1 du Code du travail suivant lequel « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Or, contrevient à cette disposition la clause générale de laïcité et de neutralité figurant dans le règlement intérieur de la crèche Baby Loup, applicable à tous les emplois de l’entreprise. Une telle clause étant invalide, le licenciement de la salariée pour faute grave au motif qu’elle contrevenait aux dispositions de la clause doit être déclaré nul.

La Haute cour ne fait que statuer en droit

Que faut-il penser de ces deux décisions ? Doit-on en penser, comme certains, qu’il y a deux poids, deux mesures ? Certainement pas. Dans ces affaires, la Cour de cassation ne fait que statuer en droit.
Dans la première affaire, il s’agissait d’un organisme remplissant une mission de service public. Donc, le principe de neutralité devait être appliqué de manière stricte. Dans la seconde espèce, il s’agissait au contraire d’une entreprise privée où l’employeur ne pouvait s’abriter derrière le principe de laïcité. Pire, en sanctionnant ou en licenciant, le chef d’entreprise devait se demander si la mesure n’était pas discriminatoire ! Certes, le règlement intérieur de l’entreprise prévoyait une clause de neutralité pour l’ensemble du personnel. Mais justement, quelle est la valeur juridique d’une telle clause dès lors que le Code du travail prohibe toutes les « restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». En mot, plutôt que de se retrancher derrière une disposition illégale du règlement intérieur, il aurait été préférable pour le chef d’entreprise d’orienter sa défense sur les justificatifs à cette restriction. Ainsi, dans un arrêt du 15 janvier dernier, la Cour européenne des Droits de l’homme a estimé que le port d’un crucifix dans un centre de soins peut être restreint pour des raisons de santé et de sécurité.

Prenant la parole à l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, qui avait pris position pour la crèche Baby Loup, au moment de l’affaire, a « regretté » cette décision, à titre personnel. « En sortant quelques secondes de mes fonctions, je veux vous dire combien je regrette la décision de la Cour de cassation aujourd’hui sur la crèche Baby Loup et sur cette mise en cause de la laïcité », a-t-il déclaré. Remarque ô combien vaine et qui ne résiste pas à l’analyse juridique ! Une fois de plus, faut-il le rappeler, « dura lex, sed lex ».

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