Don Quichotte et la (...)

Don Quichotte et la Commission

C’est compliqué, la vie de famille. Surtout quand les pièces rapportées médisent dans les dîners en ville. On ne s’est pas encore jeté la vaisselle à la figure, mais les invectives volent bas, entre Paris et Bruxelles. Le Quai d’Orsay est à deux doigts de « rappeler en consultation » les quelques milliers de fonctionnaires français qui stationnent à la Commission ; de déléguer des émissaires en vue de négocier une paix séparée ; de réclamer un escadron de Casques bleus pour installer une force d’interposition sur le ring (ainsi nommé le périph’ bruxellois). On ne sait pourquoi l’affaire nous fait penser à Cervantès et à L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche. Peut-être parce que les escarmouches verbeuses évoquent le caquetage des moulins à vent sous une brise de printemps ; ou que Barroso présente le profil irrésistible d’un Sancho Panza qui aurait échangé sa mule contre un étal de verroterie et une prébende de 30 deniers. Et qui, affranchi du joug des valeurs anciennes, aurait investi sa liberté fraîchement acquise dans une charge de camelot de la modernité. Afin de déclarer ringards le nationalisme (appellation dépréciative du patriotisme), le populisme (qualificatif ironique de l’intérêt pour les aspirations populaires) et le chauvinisme (traduction méprisante de la singularité culturelle). Autant de sentiments attentatoires au nouveau dogme de la globalisation unificatrice par la popote mercanti.

Les exégètes de Cervantès ne peuvent trancher sur la véritable nature de Don Quichotte. Difficile d’affirmer qu’il soit atteint de démence sénile, bien qu’il en présente de nombreux symptômes ; difficile d’exclure que ce soit pour éviter de sombrer dans la folie contemporaine qu’il réinterprète la réalité. On ne se hasardera pas ici au diagnostic clinique sur la santé de notre Don Quichotte du Redressement productif. Mais au même titre que son illustre prédécesseur romanesque, il met sous le nez de la mauvaise conscience publique les petites lâchetés, et les gros mensonges, qui ont conduit aux bouleversements de nos sociétés, au nom d’une bien-pensance en papier mâché. Comme si l’idéal exigeant des preux chevaliers avait été définitivement arbitré au profit d’un pragmatisme de gougnafiers. La métaphore n’est sans doute pas totalement appropriée. Mais tant la construction européenne que la mondialisation ont été justifiées par de nobles considérations de paix, de solidarité et de confraternité. Il ne leur a manqué que la sincérité. En d’autres termes, c’était du flan. Si bien que ces mêmes hautes aspirations conduisent aujourd’hui les peuples à se focaliser sur le nombril de l’intérêt national. Voilà ce qu’il en coûte d’invoquer de bonnes raisons pour perpétrer de mauvaises actions.

La recette du jour

Pitance sans conscience

Vous avez cédé aux tentations des temps présents et échangé vos valeurs morales contre un plat de lentilles. Ce n’est pas très malin, mais la situation n’est pas désespérée. Pour peu que vous renonciez à vendre maintenant votre âme contre un quignon de pain. Car pitance sans conscience n’est que ruine de l’espèce humaine.

deconnecte