Festina lente

Festina lente

« Hâte-toi lentement » : c’était, paraît-il, la devise de l’empereur Auguste. Le rapport au temps n’a jamais cessé d’obséder notre espèce. On se souvient de L’Homme pressé de Paul Morand, frappé par la « malédiction [d’être] lancé au galop dans un univers qui trottine ». Le roman a maintenant plus de soixante-dix ans et depuis sa publication, c’est plutôt l’univers tout entier qui mène un train d’enfer, contaminé par la « malédiction » du héros morandien. Les écrivains sont décidément de bons baromètres de nos pulsions démoniaques. Milan Kundera y a consacré La Lenteur, au constat que « notre époque est obsédée par le désir d’oubli, et c’est afin de combler ce désir qu’elle s’adonne au démon de la vitesse ». Plutôt bien vu. Un peu plus tard, le Canadien Carl Honoré fit un tabac avec son Eloge de la lenteur, un digest de philosophie de supermarché, assez court pour combler l’homme pressé contemporain. Un précis qu’il a récemment complété par Lenteur, mode d’emploi, à l’attention de ceux qui n’ont pas le temps de transformer eux-mêmes une idée rudimentaire en actes anodins. C’est dire si le marché de la lenteur est devenu porteur : le rayon qui lui est consacré regorge désormais de guides pratiques qui n’ont, hélas, ni le lustre ni la densité d’A la recherche du temps perdu. Dommage : Proust fut pourtant un précurseur involontaire de la slow attitude.

On se saurait contester le bien-fondé de cette tendance à la mode, ni critiquer le rite de la sieste postprandiale, ni blâmer le culte du slow food, cette saine pratique que les Italiens tentent d’industrialiser à toute vitesse. Mais il semble que la slow attitude se propage maintenant à des territoires inexplorés. Comme celui de la télévision. Une chaîne publique norvégienne vient de décliner le concept avec les émissions les plus longues et les moins coûteuses du monde : la confection d’un pull-over au tricot, par exemple, en 8 heures et 35 minutes. Ou le mol allant d’un paquebot le long des fjords, pendant… 134 heures. Voire une flambée dans la cheminée, jusqu’à ce que la dernière bûche soit consumée. Vient ainsi de naître la slow TV – joliment traduite en « télescargot » – qui rencontre, semble-t-il, un franc succès chez les descendants des Vikings. L’idée est intéressante : vous pouvez déguster votre plateau de slow food devant la télé en poursuivant votre conversation, et sans rien perdre du programme. Et après une petite sieste réparatrice, vous reprenez le fil de l’émission sans être débobiné. Après la lenteur, on sent poindre à l’horizon l’éloge de l’immobilité. Chouette.

La recette du jour

Eloge de la télé-poubelle

La médiocrité des programmes de télé vous met en rage, aggravant les risques que vous encourrez avec le stress professionnel. Vous pourriez renoncer au petit écran, mais vous ne parvenez pas à vous endormir sans lui. Branchez votre récepteur sur la caméra de surveillance qui zieute sans relâche le local-poubelles de votre immeuble. Le spectacle est plus reluisant, et il vous forgera une âme de Viking.

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