Keynes et l'okapi

Keynes et l’okapi

Pourquoi donc la menace qui pèse sur la survie de l’okapi nous faisait, ce matin, songer à John Maynard Keynes ? Il ne s’agissait pas d’une association d’idées lacanienne, qui aurait exigé du billettiste qu’il se précipitât chez son psychanalyste. C’était un simple effet de la mémoire, car l’okapi est aussi appelé « girafe des forêts » - un curieux zèbre à tête télescopique, mais doté d’un cou moins long que celui de la girafe. Or donc, dans une communication qu’il fit à Oxford au début des années 1920 – et qui fut plus tard publiée sous la forme d’un essai –, Keynes développa ce que l’on peut appeler la parabole de la girafe, pour exprimer les dommages collatéraux de la lutte concurrentielle, reposant sur la théorie du Laissez-faire et validée par les principes darwiniens de l’évolution. Schématiquement : dans un monde idéal, les plus aptes survivent et les autres disparaissent. Un idéal que ne partageait pas Keynes : « Si le bien-être des girafes nous tient à cœur, nous ne devons pas négliger les souffrances de celles dont le cou n’est pas assez long et qui donc meurent de faim, ni le sort des feuilles savoureuses qui tombent sur le sol et sont piétinées dans la mêlée, ni la suralimentation des girafes au long cou, ni enfin l’angoisse et l’avidité qui assombrissent les doux regards du troupeau ».

Le sort de la girafe en miniature qu’est l’okapi, celui des géantes aristocratiques qui se gavent, le gaspillage de ressources qui résulte de la mêlée concurrentielle, le désarroi des courts-en-cou dans le combat inégalitaire pour la survie, voilà qui constitue une métaphore saisissante des désordres prophétisés par Keynes, quelques années avant le début de la Grande crise. Et aujourd’hui, l’Histoire repasse les plats. On observera que l’okapi est une espèce protégée depuis 1933 ; à-peu-près à la même époque fut adopté, dans de nombreux pays, un arsenal de lois sociales visant à protéger les populations contre les rigueurs de la « sélection naturelle » darwinienne. Bien que vivant dans les réserves naturelles de la forêt de l’Itui, au Congo, l’okapi subit un braconnage intensif ; son habitat naturel est dévasté par l’exploration minière sauvage et le pillage de la forêt. Bien que vivant à l’abri de démocraties bienveillantes, le sapiens moyen ne parvient plus à protéger sa gamelle. Et son environnement naturel est pillé et dévasté par quelques congénères aux-dents-qui-rayent-le-plancher. La morale de l’histoire, c’est que le Laissez-faire est périlleux pour tout le monde. Car même les prédateurs finissent par trinquer. L’aigle martial, redoutable seigneur subsaharien, est désormais classé dans les espèces vulnérables : il a de moins en moins de proies à boulotter.

La recette du jour

Education darwinienne

Vous espérez légitimement que votre lignée survive aux dangers qui menacent l’espèce. Il est temps de préparer l’avenir. Débarrassez vos mouflets de leur conscience ; soignez leurs biscoteaux et faites-leur pousser les dents. Vos lointains héritiers ne seront pas vraiment fréquentables. Mais vous ne pouvez pas lutter contre les lois de la sélection naturelle.

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