L'argent de l'inutile,

L’argent de l’inutile, l’or de l’éphémère

Créer de la richesse, ce n’est plus très facile. D’abord parce que le capital se concentre en un nombre de mains de plus en plus réduit, si bien qu’il manque à-peu-près partout où il serait nécessaire. Ensuite parce que les ressources naturelles s’épuisent au rythme de leur exploitation éhontée, si bien qu’il faudra bientôt siphonner le centre de la Terre pour tamiser la moindre parcelle d’un quelconque minerai. Reste donc à explorer plus avant le traitement des déchets, l’espèce humaine ayant un talent naturel pour renouveler et accroître le gisement d’ordures. Mais ce secteur n’est pas très attirant : il nécessite lui aussi beaucoup de capital, du gros équipement, un personnel pléthorique et donc plein d’embêtements pour le manager. Pas très sexy pour les investisseurs. Il vaut donc mieux exploiter les déchets immatériels de l’humanité, à savoir les papotages débiles, les pensées insanes et les jugements crétins qu’un sapiens normalement constitué rêve de partager avec ses contemporains. Le marché est immense et inépuisable. Voilà pourquoi sont nés les réseaux sociaux, de monstrueuses décharges publiques qui compilent inlassablement le flot ininterrompu des niaiseries individuelles. En foi de quoi les investisseurs ont-ils plébiscité de telles entreprises, qui sont parvenues à industrialiser le café du Commerce, et à inventer le lien social factice, sans obliger les protagonistes à se traîner jusqu’au bar du coin.

Seulement voilà : l’ennui avec ces réseaux, c’est qu’ils conservent en mémoire les âneries que chacun a innocemment proférées, et ce pour les siècles des siècles. Vous pouvez donc demain échouer à l’élection présidentielle parce que, alors que vous étiez encore un adolescent boutonneux, vous avez écrit sur votre mur « Prout au Gouvernement » : bien que véniel, ce péché vous suivra jusqu’au Jugement dernier. Ainsi, de jeunes startuppers ont eu l’idée géniale de contourner ce handicap. Leur réseau permet d’envoyer des messages qui disparaissent à jamais, quelques secondes après avoir été lus. Comme dans Mission : Impossible, sauf que l’iPhone n’explose pas (enfin, pas encore). Cette invention permet de conférer un caractère éphémère à un message empli de vacuité. Le business model consiste donc à valoriser les communications inutiles pour jouir de la satisfaction de les voir aussitôt tomber dans l’oubli. En somme, à encourager chacun à dire n’importe quoi, sous prétexte que personne ne s’en souviendra. Pour cette usine à débiter du rien, Facebook – un spécialiste de la question – offre 3 milliards de dollars. Les Chinois, en quête de modernité économique, en proposent 4. Les inventeurs ont décliné le pactole : quelques secondes après son apparition, l’offre s’est effacée de leur écran. Dommage pour eux.

La recette du jour

Le prix du silence

Vous avez compris que la valeur ajoutée des temps futurs réside dans l’exploitation de ce qui est vain et inutile. Renoncez à valoriser les parlotes de concierge de vos contemporains : c’est déjà fait. Que les échanges soient stockés ou détruits. Inventez plutôt un système reposant sur le mutisme du pékin : le sapiens n’est jamais aussi intelligent que lorsqu’il se tait.

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