La paille et la poutre

La paille et la poutre

Les personnages publics respectaient autrefois les conventions diplomatiques en usage dans le monde civilisé : en cas de différend avec un autre Etat, leurs déclarations pouvaient être « fermes » mais demeuraient courtoises. Dans le cas contraire, elles étaient le prélude à une déclaration de guerre en bonne et due forme. Désormais, le moindre désaccord donne lieu à des invectives de charretier mal embouché. En témoigne le psychodrame qui se noue en ce moment entre la France et la Suisse, à la suite de l’incarcération, à Berne, du désormais célèbre Pierre Condamin-Gerbier, ex-banquier helvétique ayant abondamment bavé devant la Commission parlementaire chargée d’enquêter sur « le fonctionnement de l’action du Gouvernement et des services de l’État » dans l’affaire Cahuzac. Ledit PCG a ainsi nommément accusé son ancien employeur, la banque Reyl, d’avoir abrité des évadés fiscaux français, parmi lesquels d’anciens ministres et d’autres en exercice. Et il aurait remis aux autorités des documents attestant ses dires – autant de « preuves » dérobées à la banque et que cette dernière prétend être des faux. Il n’est donc pas étonnant que Reyl ait intenté une action contre PCG, ni que les autorités suisses aient arrêté le délateur sur l’accusation d’espionnage économique : le secret bancaire est certes en péril, mais il demeure un pilier de la loi suisse.

Que cette incarcération suscite l’émotion en France est compréhensible. Mais justifie-t-elle les propos de Courson, président de la Commission en cause et ordinairement plus mesuré : « Que ceux qui ont commis des crimes accusent ceux qui les dénoncent : il faut être en Suisse pour voir cela ». Ou encore : « L’attitude de la Suisse est inacceptable pour une démocratie digne de ce nom ». Et de faire référence au « juste emprisonné », qui renvoie explicitement aux rafles de la Deuxième guerre et à la neutralité ambiguë du pays durant cette période. Cela fait beaucoup. L’ambassade suisse à Paris a donc réagi « fermement » à ces propos. La Suisse est un Etat souverain qui respecte souverainement son système judiciaire et sa constitution démocratique. Avec un soin scrupuleux que bien des pays –dont le nôtre- s’honoreraient d’adopter. Il n’est pas interdit d’assimiler PCG à un « lanceur d’alerte », la nouvelle figure héroïque des temps présents. Encore qu’au cas d’espèce, l’assimilation soit peut-être un peu précipitée, eu égard aux soupçons de mythomanie qui entourent l’intéressé. Mais les honorables enquêteurs français seraient bien inspirés de balayer devant leur porte : voilà peu, un avion présidentiel a été interdit d’espace aérien, au motif peu glorieux qu’il aurait pu transporter un authentique lanceur d’alerte traqué par les Américains. Certes, Courson n’appartient pas au Gouvernement. Ni même à la majorité présidentielle. Il n’a donc pas de responsabilité directe dans cette pleutrerie diplomatique. Mais il est un élu du peuple. Et à ce titre, ses agressions verbales contre la Suisse engagent la France tout entière.

La recette du jour

La fin et les moyens

Vous êtes un élu du peuple dans l’opposition. Ferrailler contre le Gouvernement est donc de bonne guerre. Mais il n’est pas convenable d’agresser un Etat étranger à des fins de politique intérieure. Ni d’invoquer l’« hypocrisie » de ce dernier quand votre propre bonne foi est suspecte. Car l’honnêteté ne saurait être défendue par rouerie.

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