La Tour pyromane

La Tour pyromane

Voilà longtemps que les hommes s’obstinent à bâtir des immeubles qui touchent le ciel. Il faut croire que l’expérience de la Tour de Babel ne les a pas échaudés. Pas plus que le sort funeste des Twin Towers, qui renaîtront l’année prochaine sous la forme du One World Trade Center – 417 m d’altitude, si l’on exclut la flèche qui coiffe cette monumentale pièce montée. Mais il faudra attendre un an de plus pour la complète érection du 432 Park Avenue, une élégante et très luxueuse tour qui culminera à 425,5 m. L’ouvrage est édifié sous le crayon de l’architecte uruguayen Rafael Viñoly, tout occupé dans le même temps à achever le 20, Fenchurch Street dans Canary Wharf, le très select centre du business londonien. Bien que moins imposante que sa sœur de Manhattan (160 m « seulement »), cette Tour a fait naître un ouragan de polémiques. Baptisée « Talkie-Walkie » par les Londoniens, elle écrase par sa taille et sa laideur deux monuments voisins qui font la fierté des autochtones : Tower Bridge et la cathédrale St Paul. Tout le monde, ou presque, respecte le centre d’affaires, bien sûr : il est le poumon de l’Angleterre et les Gibies ne sont pas bornés au point de cracher dans la soupe. Mais le Talkie-Walkie promet de devenir le symbole de la vulgarité et du mauvais goût des financiers, deux travers impardonnables au Royaume de Sa Très Gracieuse Majesté.

Et voilà que la Tour honnie vient de valider la fameuse théorie du Skyscraper Index, une thèse facétieuse selon laquelle la frénésie de construction de gratte-ciels est annonciatrice de catastrophes. Figurez- vous que sous un soleil inhabituellement radieux pour Londres et pour la saison, la façade incurvée de la Tour constitue un puissant miroir réfléchissant. Aussi redoutable que ceux qu’Archimède aurait utilisés lors du siège de Syracuse, pour embraser les voiles de la flotte romaine. Si bien que le Talkie-Walkie ne se contente pas d’aveugler les passants ; il a fait fondre un morceau de la Jaguar d’un malheureux visiteur. Au temps où la firme automobile était propriété des Anglais, les Jaguar étaient toujours en panne, il est vrai, mais elles étaient habillées de matériaux nobles. Depuis que le constructeur est passé dans les mains de l’Américain Ford et maintenant dans celles de l’Indien Tata, ses berlines stationnent moins souvent chez le garagiste, certes, mais elles sont sapées de matière plastique. Shocking. Pour que leurs immeubles soient devenus des bombes incendiaires, à qui les Britanniques ont-ils vendu leurs entreprises de construction ? On l’ignore. Mais peut-être en sont-ils toujours propriétaires. Car ils possèdent encore l’essentiel du secteur financier. Lequel a déjà largement embrasé la planète, merci la City.

La recette du jour

Luxe à l’anglaise

Vous êtes légitimement fasciné par la tradition de confort raffiné des berlines anglaises. Sauf que la plupart de leurs firmes automobiles sont passées en mains étrangères, si bien que les bagnoles deviennent inflammables. Vous pouvez toutefois faire confiance à Rolls-Royce : la mécanique est allemande, donc fiable. Et l’assemblage reste britannique. Pas de risque que la sellerie soit en papier crépon.

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