Le diamant défiscalisé

Le diamant défiscalisé

La fraude fiscale ? Son gisement est tel que presque tous les Etats du monde effaceraient leurs déficits, si chaque contribuable acquittait scrupuleusement ses impôts. Voilà sans doute qui justifie le renforcement des mesures répressives récemment décidé par notre pays. Des mesures qui promettent aux contrevenants le feu, le plomb et la corde. Ça va barder. Sous réserve que les services soient en mesure d’identifier la fraude, un exercice qui nécessiterait souvent les talents de Sherlock Holmes. Certains secteurs d’activité ont, de tout temps, prospéré en marge de la matraque fiscale. En dépit de la vigilance des gabelous, comme vient de le démontrer l’administration belge, bien documentée sur le marché du diamant grâce à l’expertise historique des tailleries d’Anvers – dont la réputation demeure intacte pour le travail des très belles pièces, alors que l’Inde traite désormais la plus grosse part du tout-venant. Voilà donc que le fisc belge s’est mis en tête de redresser une société de négoce de pierres brutes, totalement inconnue du grand public mais notoire dans le milieu professionnel. Il lui est réclamé la bagatelle de 2,5 milliards d’euros, sur l’observation d’un phénomène miraculeux dont sont frappés les lots importés en Belgique : « une hausse substantielle de valeur inexpliquée, pendant leur court transit aux Ports Francs de Genève ». Sous la menace, les dirigeants de ladite société ont préféré se replier prudemment sous l’aile bienveillante de la neutralité suisse.

Le Temps livre ce matin le récit passionnant de l’affaire, qui concerne la société Omega Diamond, spécialiste incontestée des pierres brutes angolaises provenant du « secteur informel », en ce compris les « blood diamonds », les diamants du sang qui ont un moment terni l’éclat de ces joyaux, et offert à Di Caprio un rôle émouvant dans le film éponyme. Acquises pour quelques picaillons ou confisquées sous la menace aux « creuseurs » angolais, les pierres brutes sont acheminées vers l’Afrique du Sud, plateforme historique de distribution, avant leur transit vers Dubaï ou Israël, centres du commerce diamantaire. Puis elles s’envolent vers Genève, où la magie des Ports Francs et la mansuétude fiscale autorisent une puissante revalorisation des marchandises, avant leur expédition à Anvers pour y être taillées. Genève est ainsi un formidable accélérateur de valeur ajoutée, bien que les pierres n’y fassent qu’un transit éphémère. Il faudrait un millénaire de labeur à un creuseur, pour amasser ce qu’un seul caillou gagne en atterrissant sur le sol helvétique. Et le magot passe sous le nez du fisc. Un scénario empreint de violence shakespearienne, pour permettre aux dames d’arborer ces merveilles esthétiques que sont les diamants. Tel est semble-t-il le destin promis à de nombreuses œuvres d’art, si l’on croit les développements de l’affaire Gurlitt, qui met à jour une collection incroyable de tableaux de maîtres, finalement moins secrète que ce que l’on a cru initialement. Et qui renvoie, comme les blood diamonds, aux horreurs de la guerre…

La recette du jour

Stérilisation des profits

Il est devenu difficile aujourd’hui d’embrasser une carrière qui soit à la fois prometteuse et honorable. Prenez-en votre parti et choisissez un métier de charognard : la finance ou le négoce de guerre. Dans les deux cas, vous ferez stériliser vos prises à Genève. Ses banques et ses Ports Francs sont réputés pour leur hygiène scrupuleuse.

deconnecte