Le kéké et la bombasse

Le kéké et la bombasse

A quoi sert un dictionnaire ? A consacrer la langue commune dont les jargons menacent la permanence, selon l’Académie. Laquelle continue de faire autorité sur le bon usage, même si le mol allant de ses mises à jour échappe au courant prolifique de la fertilité langagière : la 9ème édition de son dico n’est pas achevée, alors que la précédente date de 1935. Les usuels, au contraire, suivent le rythme des vignerons et nous offrent chaque année un millésime. Dont l’assemblage s’adapte au goût contemporain pour les saveurs bien marquées. Une sorte de « tendance Parker » infligée au vocabulaire, de la même façon que les bordeaux doivent désormais refléter le goût de la barrique plus que celui des raisins dont ils sont issus. Il en résulte que le sabir officiel s’enrichit d’OGM nés de bidouillages étymologiques suspects, que Le Petit Larousse et Le Petit Robert s’empressent d’authentifier comme rejetons légitimes de la langue vivante. Le dictionnaire « reflète les besoins et les richesses de l’actualité et donne au lecteur les moyens d’exprimer le monde actuel  », selon Le Robert. Il s’affranchit ainsi de la cuistrerie boule-à-mites de l’Académie française pour s’abandonner aux délices permissifs de la modernité.

L’édition 2014 des usuels nous offre, à titre de campagne promotionnelle gratuitement assurée par les médias, une série de nouveautés dûment agréées. Qui comprend des termes largement usités au point d’être déjà passés dans la langue commune : « nobéliser », « goncourable », « microblog » ou « transgénérationnel » sont d’usage courant et d’une utilité avérée. On peut s’étonner, en revanche, de la bienveillance des arbitres pour les mots issus du verlan (« chelou »), ou résultant de l’ajout d’un suffixe augmentatif de vulgarité. Comme « bombasse », qui enrichit la bombe sexuelle d’une connotation de lubricité bien superflue. Sur un autre plan, la dépêche de l’AFP, qui a encanaillé les journaux sur le sujet, est assez révélatrice de la culture ordinaire des journalistes contemporains, dont le vocabulaire est pourtant l’outil du quotidien. Tous se révèlent surpris par l’incongruité de l’entrée de l’adjectif « hénaurme » dans le dictionnaire. Il s’agit pourtant d’une intégration très tardive : cette graphie est due à Flaubert, dans une correspondance de 1857 à Jules Duplan. Il voulait souligner l’énormité du ridicule de son portrait, établi par… un journaliste de la Gazette de Paris. Il était temps que le dictionnaire sanctifiât l’invention raffinée de Flaubert, lequel ne négligeait pas pour autant les hénaurmes bombasses. Cela ne signifie pas qu’il faille recaler les trouvailles gouailleuses des banlieues. On se permet de suggérer au Petit Robert d’intégrer rapidement la rabajoise, ainsi nommée la pépé au look bourgeois qui refuse de se laisser emballer par le premier kéké venu. Charmant, non ?

La recette du jour

Le parler moderne

Vous êtes hésitant dans l’usage du vocabulaire, par crainte d’attenter aux règles de conformité à l’usage. Soyez décomplexé. La bien-pensance langagière vous autorise à en faire des caisses comme un kéké goncourable. Vos solécismes hénaurmes vous rendront choupinet auprès des bombasses, car ils seront bientôt validés par Le Petit Larousse.

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