Louvois déshonoré

Louvois déshonoré

Tout le monde le sait : il ne faut pas être superstitieux, car ça porte malheur. Mais tout de même, nombre de parents seraient bien inspirés de l’être un peu, avant d’infliger à leur progéniture un nom de baptême qui promet de porter la poisse au mouflet. C’est la même chose pour un ministre qui doit donner un nom au nouveau logiciel chargé de gérer la solde des militaires : l’appeler Louvois, c’était quasiment provoquer le destin. Certes, François Michel Le Tellier, marquis de Louvois, a laissé son empreinte dans l’histoire romanesque du règne louis-quatorzième : il hérita de la charge de Secrétaire à la Guerre du Roi Soleil avant son quinzième anniversaire, ce qui témoigne de dispositions exceptionnelles et prématurées pour une telle charge. Mais quand il fut en fonctions, il fut cordialement détesté par les militaires eux-mêmes. Pour des questions d’argent, figurez-vous : comme le paiement des soldes avait régulièrement du retard, les troupes avaient coutume de s’adonner au pillage pour compenser les insuffisances du Trésor. Et comme les officiers de haut rang trouvaient leurs rémunérations un peu trop plébéiennes, ils faisaient de la gratte sur la gestion des équipements et du rata des soldats. Il leur arrivait même de tricher sur la taille de leurs effectifs, histoire de capturer la solde réelle de troupes virtuelles. Une entourloupe aussi ancienne que l’armée elle-même, et qui fit la fortune de certains généraux de la grande Rome.

Bref, Louvois combattit avec succès les rémunérations occultes de son armée. Le logiciel Louvois s’emploie, depuis quelques années, à procéder de même. Mais avec la solde légitime de nos soldats. La situation est proche de la panique : des familles de militaires subissent des coupes arbitraires de leurs ressources, voire l’absence totale de solde. Quant aux primes et autres gratifications, Louvois les passe souvent par pertes et profits. Au point que beaucoup ont pensé que toutes ces erreurs étaient délibérées, histoire d’améliorer la trésorerie du pays en comptant sur la discrétion de la « grande muette ». Devant l’impossibilité de ramener Louvois à la raison, et avant que le système ne soit déployé au sein de la Gendarmerie nationale (ce qui était prévu), le ministère de la Défense a décidé sa mise à mort. Pour autant, la chienlit de la paie militaire ne devrait pas cesser immédiatement. Des familles lésées ont même entamé une action en réparation contre l’Etat. Les grandes machineries logicielles sont décidément une source constante d’inquiétude. Qu’elles soient efficaces (comme les oreilles électroniques de la NSA), qu’elles foirent (comme l’architecture de l’Obamacare et celle de Louvois), ou qu’elles n’aient pas encore produit tous leurs désordres potentiels (comme les robots du trading à haute fréquence). De quoi faire regretter les temps superstitieux où régnaient les grimoires et la plume d’oie.

La recette du jour

Baptême raisonné

Vous venez d’être gratifié d’une naissance dans la famille. Un jeune mâle qui promet, évidemment, d’imprimer sa marque dans l’histoire du monde. Réfléchissez bien avant de choisir son nom de baptême. Si vous n’êtes pas superstitieux, évitez Barak : ce prénom porte la poisse. Et surtout, renoncez à Louvois – il a déjà fait suffisamment de dégâts.

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