Prospective : le Yacht

Prospective : le Yacht Index

Vous n’avez pas encore choisi votre destination de vacances ? Normal : vous avez déjà tout vu ; vous avez exploré les contrées les plus exotiques, visité les lieux les plus improbables ; vous avez croisé le Yéti sur l’Himalaya, photographié le monstre du Loch Ness et pris le thé avec la Reine d’Angleterre. Plus rien ne peut désormais vous étonner. Heureusement, la famille royale des Emirats arabes vous apporte son secours : elle vient de réceptionner Azzam, le plus grand yacht jamais construit depuis les débuts de l’ère de la frime nautique : 180 m de long, 6 ponts, 94.000 cv sous le capot qui propulsent la bête à plus de 30 nœuds – avec une réserve de carburant de 1 million de litres (une méchante ardoise pour faire le plein). Il ne faut que 50 hommes d’équipage pour assurer l’intendance, ce qui est finalement assez raisonnable. Il vous reste donc à louer ce palace flottant et à inviter quelques amis pour une aimable croisière – l’apéritif est servi dans le salon de 560 m2 décoré en style Empire, comme l’exigent les canons esthétiques des monarchies du Golfe. Les tarifs ne sont pas encore connus, mais en se référant à ceux pratiqués sur l’Eclipse du milliardaire russe Abramovich (qui perd sa pole position du gigantisme avec ses modestes 163,5 m), il devrait vous en coûter entre 6 et 7 millions de dollars la semaine. C’est sans doute un peu cher pour supporter une colonie de pique-assiettes pendant une semaine, mais c’est assurément exclusif.

Une telle extravagance dans le superflu nous rappelle la thèse d’Andrew Lawrence, cet économiste facétieux auquel on doit l’invention du Skyscraper Index (l’Indice gratte-ciel), thèse selon laquelle la course au gigantisme en matière immobilière constitue un signal annonciateur de l’imminence d’une crise financière. Taux d’intérêt au plancher et expansion de la masse monétaire constituent en effet un puissant stimulant à la témérité des grandes entreprises et à la mégalomanie de ceux qui les dirigent. Un contexte caractéristique des fins de cycle, qui a été largement développé par des économistes éminents (c’est-à-dire considérés comme « sérieux », à tort ou à raison). En foi de quoi votre serviteur, dont le sérieux ne saurait être mis en doute, propose à l’analyse économique un nouvel instrument de prévision : le Yacht Index, étalonné sur le pharaonisme nautique. Il suffit en effet d’observer que les propriétaires de grands yachts se concentrent dans des catégories sociales aujourd’hui très exposées ou déjà malmenées : les émirs du pétrole et les oligarques russes. Et lorsqu’ils ne sont ni l’un ni l’autre, leur avenir n’en est pas moins précaire. En témoigne le sort promis au Français Bernard T., propriétaire du Reborn de 75,5 m, qui pourrait bien renaître dans la peau d’un pauvre hère si l’action judiciaire en cours remettait en cause l’aimable arbitrage dont il a bénéficié. Selon quoi la fortune est plus exposée au naufrage qu’un navire de luxe.

La recette du jour

Les vertus de la patience

Grâce à votre talent ou à votre détermination, grâce aux divinités de la Fortune ou à votre rouerie, vous êtes devenu très riche. En vous ne savez plus que faire de votre argent. Evitez de construire un gratte-ciel ou un yacht à rallonge : ça porte la guigne. Conservez plutôt votre magot et attendez que vos collègues milliardaires boivent le bouillon : vous pourrez alors vous offrir leurs joyaux pour quelques picaillons.

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