Voir Cannes et dormir

Voir Cannes et dormir

Auriez-vous voté comme le Jury de Cannes ? Il faudrait pour cela avoir vu The Tree of Life, ce qui n’est probablement pas votre cas. Ni celui du billettiste, du reste. Mais il n’est pas interdit d’en parler, bien entendu : chaque jour, l’essentiel de l’actualité repose sur les commentaires de gens qui n’ont pas assisté aux événements en cause et qui la plupart du temps n’y ont pas compris grand-chose. Terrence Malick a-t-il compris ce qu’il a réalisé avec son Arbre de Vie ? On l’espère pour lui. Tel n’est semble-t-il pas tout-à-fait le cas du public ni des critiques, ceux qui ont visionné l’œuvre que le Jury a finalement palmé d’or après des échanges animés. Toute la question est de savoir ce que la distinction est supposée consacrer. Heureusement, le président De Niro a livré une petite explication de texte : « Nous sommes tombés d’accord pour affirmer que c’était le film qui avait la grandeur, l’ampleur, les intentions et l’impact qui semblent convenir à ce que l’on peut attendre d’une Palme d’or ». Traduction : c’est le film qui n’a pas fini de faire parler de lui. Ce que la langue diplomatique appelle d’ordinaire une « œuvre ambitieuse », pour exprimer le respect face à l’ampleur des intentions, et le soulagement au constat de l’échec : si un jour le film parfait venait à être réalisé, ce qu’à dieu ne plaise, l’industrie cinématographique devrait plier bagage. Pas de ça, Lisette.

Mais Terrence Malick est une sorte d’OVNI dans le paysage du cinoche américain : pas vraiment le profil hollywoodien. Pensez donc : dans son jeune temps, il a enseigné la philosophie au Massachussets Institute of Technology. Période pendant laquelle il a consacré ses loisirs à la traduction du Principe de raison de Martin Heidegger, dont personne, jusqu’à ce jour, n’a entrepris d’écrire le scénario (ni acquis les droits, apparemment). Pour une palme cannoise, ce profil de cinéaste était autrefois réservé à un Européen, auteur d’un film « ambitieux » où le grand public irait se faire suer à cent sous de l’heure. Ce palmarès a peut-être vocation à nous adresser un message subliminal : les Américains abandonneraient le culte d’Onc’ Picsou pour celui de Tonton Heidegger. Là, c’est un scoop, coco. Mais ne soyons pas injuste à l’égard de Malick, qui poursuit depuis toujours l’ambition de signer une histoire avec les seules images. De la déconstruction heideggérienne. Cela dit, pour avoir récompensé un acteur français dans un rôle muet, Cannes nous annonce sans doute une révolution dans l’art cinématographique. Vous verrez que l’an prochain, la palme ira à une pièce du théâtre Nô.

La recette du jour

Régime à la cannoise

Vous craignez qu’à force de cuisiner des mets délicieux, vos hôtes ne finissent par être blasés des plaisirs de la table. Il vous faut innover. Mais la « nouvelle cuisine » a déjà été inventée, consommée, digérée et éliminée. Tentez la cuisine déconstruite. Servez les casseroles en entrée et la machine à laver la vaisselle en dessert. Entre les deux, une petite sieste sera la bienvenue.

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