Les incidences du Brexit

Les incidences du Brexit en matière de propriété intellectuelle

  • le 17 novembre 2016

Aussi longtemps que la sortie du Royaume Uni (RU) de l’union Européenne(UE) n’est pas effective, la situation juridique des titulaires de droits de propriété intellectuelle reste identique.
Dans l’attente, l’incidence possible sur les droits de propriété intellectuelle existants ne doit toutefois pas être négligée et il est recommandé aux titulaires de tels droits de s’y préparer dès à présent.

L’incidence du Brexit en matière de brevets

Concernant le brevet européen, le Brexit n’emporte aucune conséquence, puisque ce titre européen est basé sur la Convention sur le Brevet Européen (CBE) qui est un accord international autonome du droit communautaire et de l’UE.

Cependant, le Brexit aura – et a d’ailleurs déjà – une incidence importante sur le brevet européen à effet unitaire (brevet unitaire). Ce nouveau titre de propriété industrielle, qui viendrait s’ajouter au brevet européen classique, est un titre unique qui confèrerait au breveté une protection uniforme sur l’ensemble des Etats membres de l’UE participants[1]. Pour une protection dans l’ensemble du territoire de l’UE, trois validations nationales supplémentaires seraient nécessaires, dans les trois pays n’ayant pas signé l’Accord instituant la Juridiction Unifiée du Brevet (JUB) (l’Accord). Dans un tel contexte, le Brexit impliquerait une quatrième demande de validation nationale au RU.

Cette dernière affirmation reste purement hypothétique car l’existence même du brevet unitaire est mise en péril par le Brexit. Une demande d’effet unitaire ne sera en effet possible qu’après l’entrée en vigueur de l’Accord, qui, avant le Brexit, était envisagée pour février 2017. Cette date apparaît aujourd’hui inatteignable dès lors que, selon l’article 89.1 de l’Accord, son entrée en vigueur nécessite une ratification du RU en tant que troisième pays dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens produisaient leurs effets dans l’année précédant la signature de l’Accord.

Jusqu’à sa sortie effective de l’UE, juridiquement, rien n’empêche le RU de ratifier l’Accord, afin de permettre son entrée en vigueur. Le RU pourrait même envisager de rester dans le système de la JUB après son retrait effectif de l’UE, étant donné que l’Accord n’est pas un instrument communautaire[2]. Une fois le RU sorti de l’UE, pourrait-il réellement continuer à participer au système de la JUB qui prévoit une primauté du droit de l’UE ainsi que le caractère contraignant des décisions de la Cour de Justice de l’Union Européenne ? Ceci semble incompatible avec le souhait des britanniques de ne plus être associés à l’UE.

Une non-ratification de l’Accord par le RU semble donc être le scénario le plus probable. Si les Etats membres participant au système de la JUB souhaitent le voir enfin entrer en vigueur, une modification de l’article 89 précité apparaît nécessaire. A noter, qu’une telle modification ne peut être réalisée sans le consentement du RU, ce dernier étant toujours signataire de l’Accord.

Enfin, si l’Accord entre en vigueur, une autre difficulté se pose. L’Accord dispose qu’une des sections de la division centrale de la JUB - celle relative notamment au contentieux pharmaceutique - aura son siège à Londres[3]. Une modification de l’Accord sur ce point est donc à prévoir également. Suite à une réouverture des débats concernant ce sujet hautement politique, certains pays, comme l’Allemagne, ou l’Italie – devenant, après une sortie du RU, le troisième Etat membre dans lequel le plus grand nombre de brevets européens produisent leurs effets –, risquent d’insister pour voir le siège londonien transféré sur leur territoire national.

Il semble donc peu probable que la JUB et le brevet unitaire entrent en vigueur en 2017.

L’incidence du Brexit en matière de marques et de dessins et modèles

Une fois la sortie du RU effective, les marques de l’UE et les dessins et modèles communautaires ne produiront plus leurs effets sur le territoire du RU.

Un des scénarios envisageables serait l’ouverture d’une période transitoire de conversion des titres unitaires en titres nationaux pour le RU, tout en bénéficiant de la date de dépôt des titres d’origine. Il serait souhaitable qu’une telle transformation soit adaptée au caractère sans précédent du retrait d’un Etat membre de l’UE, n’impliquant ainsi pas de nouvelle taxe de dépôt, ni de réexamen de la demande. Tout du moins, une taxe et une procédure de réexamen allégés sembleraient opportuns.

Ce processus de conversion n’étant qu’une hypothèse, les titulaires de marques de l’UE ou de dessins et modèles communautaires pour lesquels le RU représente un marché essentiel, pourraient d’ores et déjà réfléchir à un dépôt national au RU. Concernant les titres unitaires déposés mais non encore enregistrés, il est encore trop tôt pour envisager des scénarios plausibles.

De plus, les titulaires de marques de l’UE ou de dessins et modèles communautaires vont devoir anticiper certaines altérations de la vie de leurs titres, notamment :

· En matière d’usage de ces titres, et notamment en matière de preuve d’usage sérieux : dès lors que le titre communautaire est uniquement exploité au RU, il serait prudent de prévoir rapidement une exploitation dans un autre Etat membre, afin d’éviter tout risque de déchéance.

· En matière d’épuisement des droits[6] : cette notion ne devrait plus s’appliquer aux questions d’importation de l’UE vers le RU. Et réciproquement.

· En matière contractuelle : des modifications aux contrats portant sur ces droits de propriété intellectuelle, notamment les accords de licence, sont à prévoir (délimitation territoriale, la circulation des marchandises…).

Il apparaît donc que, tant que l’accord de retrait qui doit être conclu entre l’UE et le RU n’est pas entré en vigueur, le Brexit n’a pour les titulaires de droits de propriété intellectuelle aucune conséquence immédiate. Il est toutefois fortement conseillé d’anticiper dès à présent les futurs changements exposés dans cet article.


[1] Les Etats membres participants sont les Etats membres ayant adopté le Règlement (UE) n°1257/2012 instituant une coopération renforcée. Actuellement, seules la Croatie, l’Espagne et la Pologne n’y participent pas.

[2] Sous réserve de modifier l’article 84 de l’Accord qui prévoient que tout Etat membre peut adhérer au système de la JUB, et l’article 2 de ce même Accord qui définit un "Etat membre" comme un Etat membre de l’UE.

[3] Il est prévu que la division centrale de la JUB sera divisée en trois sections par spécialité technique : une à Paris, une à Munich, et une à Londres.

[4] Notion qui consiste en la libre circulation des biens sur l’ensemble du territoire de l’UE dès lors que leur première mise sur le marché a été réalisée par le titulaire lui-même ou a été autorisée par ce-dernier.

Par :
- Emmanuel Gougé : Avocat à la Cour et Solicitor (England & Wales),
- Valicha Torrecilla : Avocat à la Cour et Abogado (Madrid)

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