Missions et pouvoirs (...)

Missions et pouvoirs du juge-commissaire dans le rebond de l’entreprise en crise


Par Me Jean-François Tognaccioli
Avocat et chargé d’enseignement - Université Côte d’Azur



Désigné par le tribunal de la procédure collective dès le jugement d’ouverture de la sauvegarde, du redressement ou de la liquidation judiciaire, le juge-commissaire a une double fonction : surveiller les opérations de la procédure collective mais également celle de juger. Notamment de l’admission des créances.
Honoré de Balzac dresse un portrait contrasté du juge-commissaire, dans son roman écrit en 1837, « César Birotteau » (éditions Folio) qui fait partie des « Scènes de la vie parisienne » de… « La Comédie humaine. » Le titre complet de l’oeuvre est évocateur : « Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau, parfumeur, adjoint au maire du deuxième arrondissement de Paris, chevalier de la Légion d’honneur ».
« Personne hors Paris ne sait et personne à Paris n’ignore qu’un juge au tribunal de commerce est le plus étrange magistrat qu’une Société se soit permis de créer. Ce juge peut craindre à tout moment sa justice pour lui-même. »… Connu depuis le Code de commerce de 1807, le juge-commissaire près le Tribunal de Commerce est par essence un juge non professionnel.
Historiquement un commerçant, issu de la vie des affaires dont il tire expérience et légitimité à connaître avec pragmatisme, des difficultés de ses pairs. La complexité du droit de la faillite - devenu droit des entreprises en difficultés - a conduit naturellement les juges consulaires à accroître significativement leur formation initiale et continue. Ce sont des praticiens aguerris enracinés dans leur terroir économique. D’ailleurs c’est au Tribunal de commerce que de nombreuses innovations issues de la pratique des Magistrats sur proposition des avocats ont été ensuite consacrées par un législateur médusé (mandat ad hoc, prépack cession…).

Nouvelle consécration du législateur à l’heure de l’expérimentation dans neuf juridictions en France, des Tribunaux des activités économiques.

La compétence des Tribunaux de Commerce s’étendra aux activités de nature civile jusqu’alors dévolues au Tribunal Judiciaire.
Essai prometteur d’une unification des pratiques face au traitement de la défaillance de l’activité civile ou commerciale. Au risque néanmoins de faire perdre au Tribunal judiciaire sa jurisprudence parfois subtile et de réduire son activité à peau de chagrin (seules les professions réglementées demeurent de sa compétence). Honoré de Balzac se rappelle encore à moi, cette fois avec « La peau de chagrin » (éditions Folio) : « Une sueur glacée sortit de ses pores, tout à coup il obéit à un inexprimable mouvement de rage, et saisit la Peau de chagrin en s’écriant : Je suis bien bête ! il sortit, courut, traversa les jardins et jeta le talisman au fond d’un puits : Vogue la galère, dit-il. Au diable toutes ces sottises ! »

Quittons le personnage de roman pour évoquer le rôle central du juge commissaire dans le droit moderne de la prévention et du traitement des difficultés des entreprises. "Homme ou femme orchestre" qui surveille les opérations de la procédure collective, exerce des fonctions juridictionnelles notamment par l’admission des créances.

En effet le juge-commissaire dispose de pouvoirs juridictionnels exclusifs et distincts de ceux du tribunal de la procédure collective. Juge à part entière, l’exigence du procès équitable s’impose naturellement à lui, ce que ne manque pas de rappeler régulièrement la Cour de Cassation. Ce n’est pas parce qu’il est commis par le Tribunal qu’il rend une justice retenue.
Ses pouvoirs sont immenses. Cette liste relève d’un inventaire à la Prévert : désignation d’expert en tout genre, poursuite des contrats en cours, revendications de meubles ou marchandises, autorisation de transiger, vente du fonds de commerce en liquidation judiciaire ou encore allocation de subsides au débiteur sans oublier l’admission des créances…

L’admission des créances


En résumé, une fois déclarée la créance est éventuellement contestée par l’entreprise et figure sur une liste établie par le mandataire judiciaire qui fait des propositions au juge-commissaire. Ce dernier dispose du pouvoir exclusif d’admettre ou de rejeter la créance après avoir vérifié sa recevabilité. À titre exceptionnel, il constatera l’existence d’une instance en cours si une action en paiement contre le débiteur existait au jour du jugement d’ouverture et se dessaisira au profit de cette juridiction.
Autre hypothèse, si la compétence relève exclusivement d’une autre juridiction (juge des loyers commerciaux ou pôle social du Tribunal judiciaire, par exemple) ou que la contestation sera considérée comme sérieuse par celui qui demeure un juge de l’évidence, il se déclarera incompétent et invitera l’une des parties à saisir le juge pour qu’il tranche la contestation. Il faudra revenir ensuite devant lui pour qu’il admette ou pas la créance. Ses décisions sont portées sur un état qui est déposé au greffe du Tribunal. Le recours à ses Ordonnances se fait par déclaration d’appel auprès de la Cour territorialement compétente (Aix-en Provence en l’occurrence pour les lecteurs de ces quelques feuilles). Admettre les créances échappe donc complètement au contrôle juridictionnel du Tribunal de la procédure collective, une fois le juge-commissaire dessaisi par son Ordonnance d’admission ou de rejet.

Le juge-commissaire, de personnage de roman à chef d’orchestre de la procédure collective, est un acteur central du rebond de l’entreprise, surveillant les organes de la procédure collective, informant le Tribunal, avertissant le Parquet si l’ordre public économique est en jeu.

Il donnera son avis sur les sanctions patrimoniales ou professionnelles qu’encourt le dirigeant improbe. En tant que de besoin l’avocat du client en difficulté rappellera fermement à qui devra bien l’entendre que le droit moderne des entreprises en difficultés est celui du rebond de l’entreprise et de son chef. Que le distinguo entre dirigeant malheureux et malhonnête ne doit pas être sacrifié sur l’autel de statistiques. La pierre des faillis, rue de la Barillerie à Nice- sur laquelle les débiteurs se voyaient déculottés et fessés - n’est plus utilisée depuis longtemps. Ne confondons pas les époques. Entreprendre est un risque. Échouer n’est pas faillir. Rebondir est un droit.
N’en déplaise au juge-commissaire de César Birotteau.

Un nouveau tableau de synthèse réalisé par notre cabinet et publié en avant-première ci-dessous, vous permettra de retrouver les différents pouvoirs du juge-commissaire en la matière et les textes applicables. (cliquez sur l’image pour accéder au tableau complet

Photo de Une ©DR Courtesy Me Togniaccioli

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