Si compliqué de faire (…)

Si compliqué de faire simple

Puisque mieux vaut faire contre mauvaise fortune bon cœur, alors apprécions à leur juste valeur les embouteillages qui permettent d’écouter tranquillement la radio sur le chemin du retour à la maison. Ainsi donc, l’autre soir, coincé entre un gros SUV qu’Anne Hidalgo veut rançonner et une guimbarde qui n’aura bientôt plus le droit de rouler dans les ZFE, il était question de l’inflation normative dans « Le téléphone sonne » de France Inter.

Avant même les témoignages et réactions des auditeurs, les premiers chiffres annoncés par la journaliste m’ont tellement sidéré que j’ai réécouté l’émission en podcast pour être sûr de n’avoir pas rêvé. Les voici donc « brut de décoffrage » : en France, notre vie est régie par 74 codes différents, un rapport sénatorial pointe que depuis 2002 le Code de l’environnement a augmenté de … 653 %, que celui du commerce s’est enflé de 364 %, celui de la consommation de 311 %. Quant au Code du travail, il « pèse » 3 492 pages…

Ce que la journaliste a qualifié « d’obésité réglementaire » est évidemment censé nous protéger. Mais il faut bien reconnaître que cela complique un tantinet la vie quotidienne, les meilleures intentions se trouvant souvent être ennemies du mieux. Les promoteurs immobiliers, par exemple, ont calculé que les plus récentes normes renchérissent le prix des logements de 20 % car il faut désormais livrer des bâtiments à haute qualité environnementale, faciliter l’accès aux personnes handicapées, prévoir des surfaces au stationnement pour les vélos, etc… Autant d’objectifs louables, évidemment, mais qui mis bout à bout finissent par paralyser le système : deux fois moins de logements neufs vendus l’an passé qu’en 2018, car devenus inaccessibles aux familles (les taux d’intérêt et l’inflation ont aussi bien aidé…).

Pour moi le pompon revient à un architecte des Bâtiments de France qui, dans un secteur sauvegardé, impose une façade en briques sur un immeuble ancien n’ayant rien de remarquable et jusqu’alors recouvert d’un simple badigeon. L’homme de l’art, garant des élégances, a même choisi la couleur des murs... des pièces intérieures. Jusqu’où vont se loger les caprices et les oukases…
On ne s’étonnera donc guère que les paysans, au bord de la crise de nerfs, aient mis sur le même pied dans leurs revendications leurs revenus et le maquis des normes diverses qui poussent dans les champs comme pâquerettes au printemps. Rien qu’une petite vingtaine pour les seules haies, qu’il faut protéger, mais qui continuent pourtant à disparaître puisque les textes sont si touffus (et parfois contradictoires) que chacun avance au doigt mouillé, en espérant bien faire.
D’ailleurs Jean Castex et Élisabeth Borne, comme la plupart des Premiers ministres et même le président Hollande avec son « choc de simplification » resté lettre morte, ont bien tenté de réduire l’inflation réglementaire et normative. Un spécialiste de la spécialité au « Téléphone sonne » a expliqué ces échecs par la formule suivante : on enlève des textes caducs ou inapplicables avec une petite cuillère quand le législateur et l’administration en produisent de nouveaux qui arrivent par pipeline.
« Arrêtez donc d’emmerder les Français » avait dit un jour le président Georges Pompidou à Jacques Chirac qui venait lui faire signer une pile de textes. Un sage conseil qui n’a toujours pas été suivi...

Jean-Michel CHEVALIER