Cinéma : Pierre et Marthe

Cinéma : Pierre et Marthe Bonnard, une vie haute en couleurs

« Pierre Bonnard ne serait pas le peintre que l’on connaît sans l’énigmatique Marthe qui occupe à elle seule un tiers de son œuvre ». Cette citation de Martin Provost présente l’idée générale qui a guidé le réalisateur dans le long métrage qu’il consacre à l’artiste et à son épouse Marthe, avec Cécile de France et Vincent Macaigne dans les rôles principaux. Un tournage réalisé en partie dans notre région, avec des scènes dans une grande maison de La Valette (Var), censée représenter le domicile cannettan du couple.

Après « Séraphine » et « Violette », le cinéaste s’est donc laissé convaincre par Pierrette Vernon, petite nièce de Marthe Bonnard, de l’intérêt de présenter le rôle et l’influence de celle qui fut la muse et le grand amour du peintre. C’est une œuvre de justice, car de son vivant, Marthe n’a certainement pas été appréciée à sa juste « valeur ». Son caractère difficile et sa jalousie maladive ont éloigné beaucoup de proches du couple, qui s’est progressivement replié sur lui-même. Dans ce personnage, le réalisateur a d’avantage vu une femme qui s’est sacrifiée pour que son mari accomplisse son œuvre, plutôt qu’une manipulatrice comme elle fut souvent présentée.

« Le Bosquet » au Cannet

« Nu à contre-jour », au Musée d’Orsay, l’une des toiles peintes sur la vie intime du peintre et de sa femme. ©DR

Entre Pierre et Marthe, tout commence par une rencontre fortuite en 1893 à Paris. Attiré par la beauté d’une jeune femme marchant dans la rue, il l’invita à monter dans son atelier pour une séance de pose. La suite a depuis été beaucoup racontée. Le film retrace l’itinéraire du couple par une suite de scènes en décors réels. Les couleurs sont chatoyantes, à la façon d’un tableau. Il nous emmène dans l’Eure, pas loin de chez Claude Monet, où les Bonnard s’installèrent un temps. Scènes champêtres et de canotage. Avant de s’enfermer sur lui-même, le couple réalise des « expérimentations amoureuses  ». Pierre n’est pas un exemple de fidélité et profite de ses fréquents séjours parisiens... Marthe souffre de la volatilité de son mari, son caractère s’altère.
Au début du siècle dernier, c’est la découverte de Saint-Tropez, où le peintre fait plusieurs séjours dans la lumière de la Méditerranée. Puis les Bonnard viennent s’installer au Cannet, où ils louent d’abord la villa « Le Rêve » sur l’avenue Victoria, avant d’acquérir en 1927 « Le Bosquet », une demeure somme toute modeste mais entourée d’un jardin luxuriant, avec une large vue sur les toits, l’Estérel, la Grande Bleue. Seule touche de luxe exigée par Marthe, une baignoire. C’est dans ce lieu que Bonnard réalisa la dernière partie de son œuvre dans un quasi huis clos avec Marthe. S’il fréquente Henri Matisse, il préfère les longues promenades le long du canal de la Siagne à la vie mondaine. On le voit peu dans les rues du Cannet. Une période féconde : trois cents toiles sont nées de sa palette « cannetanne ».

Le temps n’a pas de prise

Le peintre a « traduit l’éternelle beauté de sa femme Marthe sur laquelle le temps ne semble pas avoir de prise, son corps restant immuable  ». Entre 1900 et 1910, il peint plus d’une cinquantaine de nus directement inspirés de sa vie intime, tout en poursuivant des peintures de mémoire d’après des dessins réalisés sur nature. « Au lieu de s’attacher à une quelconque ressemblance, Bonnard privilégie la composition et le traitement de la couleur  ».
Derrière le grand peintre, le réalisateur dessine le portrait de celle qui, de son nom d’artiste de ses débuts « Marthe de Meligny », est devenue Marthe Bonnard. Alors que sa silhouette s’effaçait avec le temps, le film la (re)met en lumière. Sans elle Bonnard n’aurait sans doute pas été l’artiste majeur que l’on admire aujourd’hui.

Photo de Une : Cécile de France et Vincent Macaigne incarnent le couple Bonnard. ©Carole Bethuel

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