Impuissance, stupeur (…)

Impuissance, stupeur et tremblements

Il fut un temps où la politique agricole commune était pilotée par la France, premier pays producteur sur le continent européen, dont la puissante « verte » lui permettait d’occuper en la matière un leadership qui n’était pas contesté sur le Vieux continent. Les plus anciens se souviennent sans doute du jeune Jacques Chirac, alors ministre de l’Agriculture, qui parvenait à ses fins en négociant pied à pied pendant des heures, jusqu’à l’épuisement des partenaires, pour obtenir des conditions favorables aux paysans français.
Cette époque est révolue. L’accord « Mercosur » passé la semaine dernière dans le dos de la France entre Ursula von der Leyen et les pays d’Amérique du sud en dit long sur notre perte d’influence. Comme un coup de poignard dans le dos intervenu, comme par hasard, juste après le vote de la censure du gouvernement Barnier, c’est-à-dire dans une période de grande faiblesse. « Tout sera plus difficile  » avait pourtant prévenu l’ancien Premier ministre. En voici une première démonstration.
Berlin, qui n’en est pas à un paradoxe près, s’est officiellement réjoui de cet accord avec les cinq pays d’Amérique latine du Mercosur. Pourtant, ce traité permettra d’importer de la viande aux hormones et des produits qui ne poussent pas avec les mêmes exigences réglementaires que celles imposées aux paysans européens. Nos voisins d’outre-Rhin ont, certes, développé une sensibilité écologique, mais elle reste très théorique : profusion de restaurants végétariens et végans, refus de l’avion, fabrication maison de produits ménagers sensés être moins polluants, etc. Dans les faits, ce Mercosur risque d’ouvrir la porte à la malbouffe, comme les conséquences de Tchernobyl avaient signé l’abandon du nucléaire par Berlin, qui avait relancé pour compenser ses centrales à charbon grandes émettrices de CO2.
Des agriculteurs français ont déjà bloqué des permanences de députés ayant voté la censure (celles de François Hollande et d’élus RN notamment). Ils ont bien compris qu’en privant le pays de gouvernement nous n’avions plus aucune chance de nous opposer au Mercosur et que les mesures compensatrices prévues par Michel Barnier dans son projet de loi de finances pour 2025 passaient en pertes sans profits.
Les sujets de mécontentement ne manquent pas dans les différentes catégories sociales. Des mouvements sont déjà prévus dans l’éducation nationale, l’aviation civile, chez les dockers des ports, à la SNCF... L’addition de cette colère présente un risque bien réel dans ce pays fragilisé et au bord de la crise de nerf. On voit mal comment dans les mois qui viennent la France pourra redresser la barre avec le spectacle affligeant - pour ne pas dire plus - donné par les députés et les partis politiques depuis la dissolution catastrophique qui nous a emmenés dans cette situation.

Jean-Michel CHEVALIER