Soldats augmentés : le droit à l’affût


Droit


12 mars 2025

Cette course technologique pose bien des questions, philosophiques, juridiques, politiques, éthiques...

Il y eut d’abord les poings nus, puis le lancer de caillou et le glaive, puis la fronde, puis l’arquebuse et le mousquet, la mitraillette... Dans cet incessant « progrès » guerrier, nous en sommes arrivés aujourd’hui au « soldat augmenté », sorte de surhomme aux capacités physiques et psychiques démultipliées. Cette course technologique pose bien des questions (philosophiques, juridiques, politiques, éthiques notamment), au moins dans les pays qui veulent bien mener sur ce sujet une réflexion dans un contexte de course aux armements dont le top départ a été donné dans la nuit des temps.

Les exemples ne manquent pas. À commencer par Achille, peint par Rubens, que ses contemporains jugeaient invulnérable jusqu’à... la démonstration du contraire. Ou quatre siècles plus tard, avec Marc Chagall, qui a représenté Icare « augmenté » de ses ailes de plumes et de cire pour fuir le labyrinthe. Armure, casque, lance... : «  Le dépassement des généralités humaines est ancien » note Julien Ancellin, Maître de conférences à la faculté de Droit et Science politique de Nice. Et toujours actuel, avec entre autres les nouveaux héros dessinés dans la revue Marvel, comme cet « Iron Man » à la poitrine bardée d’un électro-aimant pour repousser les éclats d’obus.

Dépasser les capacités humaines

Mais l’augmentation ne reste pas - hélas - cantonnée au domaine du cinéma et de la science-fiction. Aujourd’hui, toutes les armées du monde utilisent des lunettes à infrarouge pour permettre à leurs soldats de voir la nuit comme en plein jour. Certains sont équipés d’exosquelettes pour être en mesure de courir plus vite, de porter plus lourd et plus loin un armement toujours plus sophistiqué. L’imagination est sans limite. Elle s’intéresse aussi au biologique, avec des produits pour repousser la fatigue et le stress, afin que le soldat puisse combattre plus fort et plus longtemps.
Nous n’en sommes pas encore arrivés au stade où l’on pourra « télécharger » le cerveau des combattants, même si Vladimir Poutine, qui en connaît un rayon en matière de propagande, annonce déjà la venue sur le champ de bataille d’un soldat «  totalement insensible, capable d’oublier immédiatement ce qu’il a vu  », bref d’une vraie machine à tuer, sans âme ni conscience. Le rêve des dictateurs !
Dans les états-majors, on parle de lentilles de réalité virtuelle connectées à des drones furtifs permettant de déclencher des tirs sans faire un geste, de carapaces ne pouvant être traversées par des balles, de casques à ultrasons pour relaxer le cerveau, voire de connexions entre cerveaux et de nouvelles substances chimiques pour stimuler....
Les lois de la guerre – écrites mais toujours bafouées – sont totalement bousculées par ce soldat « augmenté ». De nombreuses questions se posent : quelle est son autonomie décisionnelle ? S’il est sous produit médicamenteux, est-il responsable de ses actes ? Est-il consentant à son « augmentation » ? Quid des armées « autonomes » composées de robots capables de se battre sans intervention humaine directe ? Quelle est la responsabilité d’un pilote de drone positionné à des milliers de kilomètres, et qui déclenche le feu sur une cible ?
« Le droit humanitaire international, la convention de Genève, le droit de la guerre, le droit international, les droits de l’homme... » sont percutés par ces avancées, résume Pierre Bourgois, Maître de conférences à l’université catholique de l’Ouest. « Nous sommes à l’aube d’une nouvelle révolution technologique, biologique, nanotechnologique, cognitive. »
Les États-Unis, la Chine et la Russie se lancent dans la course aux soldats augmentés, et ce n’est guère rassurant pour... les civils à qui l’on ne demande jamais leur avis mais qui sont les victimes les plus nombreuses des conflits.

Allez, pour se consoler, on peut toujours se dire que nous sommes nous-mêmes déjà « augmentés » par nos smartphones qui, en tous lieux et à toute heure, nous apportent des informations plus larges que celles que nous pouvons naturellement obtenir : le GPS, les SMS et MMS, les infos en direct et tant d’autres applications qui relevaient encore de la SF il y a vingt ans....


Jean-Michel Chevalier