Les Piccolo : une histoire franco-suisse unique


Culture


14 juin 2025

Les Piccolos ? nous sommes sur une piste, le rideau va bientôt se lever...

Huit ans que le mystère s’épaissit : des enfants vêtus de noir et de blanc, chapeau de paille vissé sur la tête et petit étui sombre à la main, franchissent régulièrement la frontière franco-suisse. Mais nous sommes sur une piste, le rideau va bientôt se lever.

Conservatoire de Genève, scène de l’auditorium, un samedi après-midi. « On ne joue pas encore, on compte avec le piano et on fait les pas-piques. » Carole Reuge donne les dernières consignes. Nous sommes dans le vif du sujet : ultime répétition de l’ensemble des Piccolo avant le concert événement. Petits et ados en herbe s’apprêtent à jouer comme des grands dans cette salle qui leur confère la légitimité de musiciens devenus pros.

La méthode Reuge

Carole a construit une vraie famille ! ©ME

Les Piccolo, petites flûtes, sont nés en 2018 de la pédagogie d’une professeure de flûte traversière au conservatoire de Vence, originaire de la côte lémanique. Carole Reuge a façonné ce groupe de musiciens en associant ses élèves français à des élèves suisses et en s’inscrivant dans la tradition suisse de la rythmique d’Émile Jaques-Dalcroze (pédagogue du début du XXe siècle) : « C’est l’apprentissage de la musique à travers le mouvement et le ressenti corporel. Petite, j’ai suivi cette formation à l’école élémentaire. Mon enseignement a toujours mis mes élèves en mouvement. La façon dont je fonctionne aujourd’hui, c’est la somme de toutes les expériences vécues. Un jour, par hasard, je suis tombée sur une vidéo des Ministrings de Lausanne (ensemble de cordes qui jouent en dansant) et cela a été comme une révélation : la musique a besoin de mouvement pour exister et l’enfant qui apprend la musique à travers le mouvement la comprend. » Les Piccolo sont ainsi devenus le seul orchestre au monde uniquement composé de flûtistes, âgés de 6 à 13 ans, et dont la singularité est de jouer en exécutant des pas de danse.

Par coeur

La première génération de Piccolo est suffisamment solide désormais pour se présenter sur la scène du conservatoire genevois, qui a ouvert ses portes en 1835 et où Franz Liszt a enseigné le piano. Une consécration pour ces enfants qui apprennent par cœur des notes de musique et des pas de danse. Une méthode exigeante qui les pousse à se transcender. Inès est une Piccolo de la première heure : « Au début j’avais une posture de robot quand je jouais, maintenant il y a de la musicalité qui s’est développée en moi. On doit tout retenir par cœur mais avec le rythme on mémorise mieux les morceaux. » Jana, une de ses homologues suisses : « On se comprend tous si bien et c’est grâce à la musique !  »
Les parents qui soutiennent le projet le confirment, comme Mélanie : « Ma fille n’a pas la maturité pour jouer quelque chose d’abstrait, le fait qu’elle puisse bouger fait que cela fonctionne super bien. » Nada Steierer parle d’une révélation : « Cet orchestre m’a ouvert les yeux sur cette pédagogie unique et exceptionnelle, ce qu’on arrive à faire avec des enfants tout petits… on les met sur scène à égalité avec les pros.  » Du classique à la musique des Balkans, les Piccolo explorent un répertoire de musiques du monde qui touche un public de mélomanes avertis ou de
béotiens : leur enthousiasme sur scène communique l’envie de battre la mesure, de se lever, de danser avec eux. Le mouvement se propage comme une onde de choc de la scène aux balcons du paradis.

Petits et ados en herbe jouent comme des grands dans cette salle qui leur confère la légitimité de musiciens devenus pros ©ME

Une famille

Des petits mais des grands par le talent ©ME

« Ce qu’ils font, c’est un don de soi pour rendre ceux qui les écoutent heureux. Au sein des Piccolo on ne se met pas en avant. » Carole a créé une famille d’une vingtaine de membres et, dans l’album de souvenirs déjà bien rempli, il y a les photos des différentes tournées : la Suisse, le Portugal, la Côte d’Azur.
Les petits devenus grands regardent avec tendresse les nouvelles générations. Maxime et Charlie, les deux gars de la bande savourent : « Ce sont des moments sympas entre potes. On grandit ensemble, on a l’esprit d’équipe. Savoir collaborer élève notre niveau : en trois jours, on a donné trois concerts. » Chacun a du plaisir à se retrouver chaque année, à voir grandir ses enfants au rythme des nouvelles partitions.
Et comme le dit Isaline : «  La musique a tissé un lien d’un pays à l’autre, on est devenus une famille franco-suisse. »


Marine Einaudi