18 décembre 2025
Quelle place pour les PFAS dans le régime juridique du sinistre en droit des assurances ?
À titre liminaire, les substances per et polyfluoroalkylées (PFAS) constituent aujourd’hui un risque industriel et sociétal d’une ampleur inédite. Leur structure chimique est fondée sur la liaison carbone-fluor(1). Ces composés chimiques, utilisés depuis plus de soixante ans dans des domaines très variés tels que le textile, la cosmétique, l’électronique, les mousses anti-incendie, ou encore les emballages alimentaires(2), se caractérisent par leur extrême stabilité. Par conséquent, ils ne se dégradent quasiment pas dans l’environnement, ce qui leur vaut d’être surnommés les « polluants éternels ».
Par Salomé Berthelot,
Étudiante en Master 2 Juriste d’Affaires
Membre de l’Association Niçoise des Étudiants Juristes d’Affaires (ANEJA)
et membre de l’AFJE06
Publication proposée dans le cadre du Master 2 juriste d’Affaires à l’Université Nice Côte d’Azur - Cycle "Droit des assurances approfondi - La gestion du risque dans l’entreprise par le mécanisme d’assurance -"
La présence des PFAS est désormais détectée dans l’eau, les sols, la faune, les aliments et même dans le sang des populations exposées. Les PFAS sont associés à des risques sanitaires importants, notamment les PFOA (acide perfluorooctanoïque) et les PFOS (acide perfluorooctanesulfonique) qui ont été détectés comme la cause de cancers, de perturbations endocriniennes, de troubles de la fertilité ou encore ayant des impacts métaboliques et causant des atteintes au foie, du diabète, des maladies thyroïdiennes, du cholestérol ou encore de l’obésité etc. Ainsi, le caractère graduel, diffus et latent de la pollution PFAS complique également la modélisation actuarielle en ce que les dommages peuvent apparaître des décennies après les émissions. Les assureurs soulignent que cette incertitude rend délicate l’élaboration de clauses d’exclusion réellement « formelles et limitées » au sens de l’article L.113-1 du Code des assurances.
Dans ce contexte, la temporalité différée des dommages causés par les PFAS est-elle compatible avec le régime juridique du sinistre en droit des assurances ? Ou, le risque environnemental lié aux PFAS met-il en lumière une crise de l’assurabilité annonçant une mutation vers un modèle assurantiel préventif et environnementaliste ?
Pour rappel, pour qu’un risque soit assurable, il doit être identifiable, mesurable et aléatoire. Les PFAS posent problème sur chacun de ces points. D’abord, il n’existe pas un unique PFAS, mais près de 10 000 molécules différentes, dont la toxicité varie et n’est pas homogène. Les assureurs expliquent ainsi que la simple définition du périmètre à couvrir est déjà une difficulté majeure.
De plus, la contamination par les PFAS a un caractère graduel. En ce sens, cette contamination s’installe dans l’environnement sur plusieurs décennies, ce qui complique la détermination de la date du sinistre et donc l’identification du contrat applicable.
Aux États-Unis, de nombreux contentieux massifs sont liés au PFAS, avec plus de 10 000 poursuites et des indemnisations qui atteignent plusieurs milliards de dollars, notamment pour dépolluer l’eau potable ou indemniser des riverains exposés.
En Europe, les premiers litiges émergent (Belgique, Suède et France). Notamment, la décision relative au préjudice des habitants contaminés par l’eau potable (présence de substances toxiques) (CEDH, AFFAIRE ZANDER c. SUÈDE, 25 novembre 1993, 14282/88) ou encore l’affaire de Pierre-Bénite (2024) relative au scandale des « polluants éternels ».
Face à l’ampleur du risque, les assureurs et réassureurs ont adopté des stratégies de réduction de l’exposition. Notamment, en intégrant des clauses d’exclusion PFAS dans les contrats de responsabilité civile ou d’assurance environnement, à l’image des clauses proposées par le Lloyd’s of London (marché de l’assurance britannique) excluant quasiment toute réclamation liée aux PFAS.
D’autres adoptent une position plus nuancée et acceptent de couvrir certains usages ou certaines molécules, mais en exigeant de leurs assurés une cartographie précise de leurs expositions. Ces démarches nécessitent un travail important de la part des entreprises, notamment pour identifier les produits qui contiennent des PFAS, évaluer leurs rejets ou encore anticiper les évolutions réglementaires.
En revanche, du côté des réassureurs à l’échelle européenne (tels que Swiss Re ou Munich Re), elles tendent à exclure ou à limiter drastiquement leur prise en charge des risques PFAS, notamment pour les secteurs les plus exposés.
« La Directive Européenne relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (EDCH) révisée et transposée en droit français début 2023 prévoit un suivi de ces substances et demande que la somme de 20 d’entre elles ne dépasse pas un seuil dans l’eau potable »(3)). Ainsi, si une réponse règlementaire voit le jour, une réponse assurantielle reste quasi-inexistante. En effet, ce risque reste assurable de manière limitée, souvent partielle, et au prix d’une sélection stricte des assurés et d’une sophistication contractuelle accrue. Certains acteurs évoquent même la possibilité que, comme le cas de l’amiante, un fonds d’indemnisation public finisse par être nécessaire pour prendre le relais du marché assurantiel privé.
(1) PFAS : des substances chimiques très persistantes, Anses Agence nationale de la sécurité sanitaire
(2) L’assurance face aux risques liés aux PFAS, La Tribune de l’assurance, Droit et Technique, Publié le 14 mai 2024
(3) Les PFAS, Etat des lieux, DiotSiaci
Salomé Berthelot