Concessions de plages : l’inquiétude des professionnels de Juan les Pins


Economie


4 août 2017

On ne sait pas encore s’il y aura de la neige à Noël. Mais ce qui est quasi certain, c’est que des plages privées auront disparu sur Juan-les-Pins, en attendant le tour de celles d’Antibes et Golfe-Juan. Leurs concessions arrivent en effet à terme. Elles sont concernées par le Décret-plage (voir encadré ci-après). Plus de plages privées à Juan ? Pour tous les vacanciers qui fréquentent la station, c’est aussi impensable que de la mayonnaise sur la pissaladière ou la démolition de l’Arc de Triomphe. Et pourtant...

Démolition aux frais de l’exploitant

Stéphane Ariza-Badiou, gérant de "Bijou Plage" (JMC)

Stéphane Ariza-Badiou est le quatrième patron de "Bijou-Plage". Une adresse qui brille sur le bord de mer juanais depuis 1927. Aujourd’hui, l’entreprise emploie une trentaine de personnes en saison et une douzaine à l’année et propose de la restauration, de l’événementiel, des matelas.
"Je dois cesser mon activité le 15 septembre et commencer à démolir - à mes frais - la totalité des installations" explique le jeune patron. Pour lui, le constat est accablant : 25 années de travail "avec une valeur zéro à la sortie". Et un poids moral lourd à supporter, lorsqu’il imagine ses employés de confiance devoir prendre le chemin de Pôle Emploi...

Bien sûr, lorsque les bulldozers auront fait table rase de son établissement, il sera libre de prendre une nouvelle concession pour continuer à exploiter. "Mais elle est deux fois plus chère. Nous devrons reconstruire à nos frais des bâtiments qui, selon le cahier des charges, ne correspondent pas à notre activité. Pour être démontables, ils seront de qualité très moyenne..."
À Juan, onze des 21 lots de plage ont déjà été supprimés. Victimes collatérales, Jean-Paul Belmondo et Robert De Niro ne sauront plus où déguster un poisson grillé, et avec eux les milliers de touristes et d’autochtones qui fréquentent ces établissements.

La pression monte...

Président national de l’union des métiers et des industries de l’hôtellerie pour les saisonniers, Thierry Grégoire ne décolère pas contre cette situation qu’il considère comme injuste. "À Paris, beaucoup de fonctionnaires estiment que les plagistes veulent remettre en cause la loi littoral. C’est faux, nous voulons juste qu’elle s’applique intelligemment, non pas au niveau des communes mais à celui des bassins, pour les 80% d’espaces publics et les 20% d’espaces privés. Dans ce département, votre préfet, qui a été autrefois directeur de cabinet au ministère de l’Écologie, est raide et ne prend pas en compte les effets induits, notamment la disparition de milliers d’emplois".
Dans ce dossier ultra sensible, l’UMIH est prête à prendre ses responsabilités et à faire monter la pression d’un cran si les prochaines réunions prévues à Paris avec les représentants du Premier ministre n’accordent pas a minima un report d’application pour laisser le temps à la négociation.

René Colomban, Bernard Matarasso et Henry Mathey © JMC

René Colomban (Nice) : "les plages déjà réduites"

"À Nice, nous avons déjà été impactés en 2008 lors du renouvellement des concessions" explique René Colomban. "À l’époque, nous avons choisi de retirer 15 mètres de largeur à chacune de nos exploitations pour être en conformité. Cela n’a l’air de rien, mais cela représente 80 matelas supprimés par établissement, donc un millier pour l’ensemble des plagistes et une cinquantaine d’emplois. Ce décret est mortifère : c’est un peu comme si l’on décidait de supprimer 100 chambres sur les 10 000 que comptent les hôtels de Nice. Cannes, Antibes, Juan et Ramatuelle arrivent à échéance de leurs concessions, ce sont 500 emplois par ville qui sont menacés".
René Colomban conclut en expliquant qu’il y a 30 000 établissements privés en Italie contre 1 500 seulement en France. "Nos confrères transalpins se frottent les mains à l’idée de notre disparition programmée".

Bernard Matarasso (Juan) : "on va perdre 300 emplois"

"Une dizaine d’établissements juanais vont repasser en DSP, mais le cahier des charges imposé par la mairie fait que trois ou quatre seulement vont pouvoir reprendre, les conditions économiques n’étant pas réunies pour une activité saine" commente le président des restaurants de plage. La station va perdre 300 emplois, donc 2 000 postes avec les induits (fournisseurs etc.) Il ne faut pas oublier les drames humains qui vont être engendrés. Perdre ses plages, cela signifie que Juan perd son âme. Pourquoi croyez-vous que les gens viennent dans notre station ? Pensez-vous que si nos établissements n’étaient pas plaisants ils y retourneraient chaque année ? À une époque où l’on cherche à créer de l’emploi, commençons par ne pas en détruire ! Il faut juste un peu de souplesse, c’est dans l’intérêt de tous".

La fin des plages privées sur la Côte d’Azur ? (JMC)

Henry Mathey (Juan et environs)

"Une autre cession se prépare pour 2020 avec une vingtaine d’établissements qui seront concernés sur Juan et douze sur Golfe-Juan. Les plages sont l’identité de la Côte d’Azur. Le tourisme est un vrai levier de croissance, on a besoin de modernisation, de nouvelles structures, mais cela doit se faire dans la concertation".

Une lettre au Premier ministre

Denis Cippolini, président de l’UMIH 06, MichelChevillon (Cannes), Hubert Boivin (représentant des restaurateurs), Alain Palamiti (Juan), Loïc Durand Raucher (plages de La Baule) et de nombreux présidents des métiers concernés dans la région et en Corse ont adressé le 15 mai dernier un courrier au Premier ministre Edouard Philippe dont voici un extrait :
"Nous, plagistes de France, demandons la suspension de l’application du Décret-plage afin de concilier les activités économiques et les
impératifs liés au domaine public
maritime.
Nous demandons la mise en place d’une concertation avec l’ensemble des acteurs économiques des territoires afin de modifier le
Décret-plage en ce qui concerne la densité des plages et la "démontabilité" des équipements en prenant en compte les territoires et les patrimoines.
Sans remettre en cause la loi littoral, nos établissements directement concernés par la protection de l’environnement ont besoin d’une réglementation adaptée pour chaque façade maritime en tenant compte des spécificités des communes".

À Juan, le Décret-plage remet en cause l’occupation du littoral et menace l’existence d’établissements balnéaires. (JMC)

Nos échos

Les chiffres de l’UMIH
- 229 000 entreprises dans le
secteur de l’hôtellerie-restauration, dont 90% ont moins de 10 salariés.
- 4ème employeur privé de France
- 300 000 saisonniers.
- 100 000 jeunes formés chaque année.
- 76 milliards de chiffre d’affaires.
- 1 500 entreprises de "plage", employant 10 000 personnes, CA d’un milliard d’euros.
Nature et tourisme
- 5 500 kilomètres de côtes en France.
- 7 millions de lits touristiques dans les communes littorales
La loi
L’exploitation, l’usage et le maintien d’installations sans titre valide est une infraction aux articles L 2122-1 et L2122-3 du Code général de la propriété des personnes publiques.
Au Tribunal Administratif
Le préfet des Alpes-Maritimes, constatant l’absence de permis de démolir pour plusieurs établissements, a déféré les contraventions de grande voirie devant le Tribunal Administratif de Nice.
Démolition de force
À l’Impérial Garoupe, une construction illégale a été récemment démolie par la force publique.

Le Décret-plage de 2006

Les plages font partie du domaine public maritime de l’État (DPM). Adopté en 2006, le Décret plage 2006-608 du 26 mai 2006 établit de nouvelles règles permettant à l’État d’accorder sur le domaine public maritime des concessions de plages.
Il a été pris à l’époque à l’initiative des services du ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie, ministère qui est compétent pour la réglementation concernant le DPM.
Dans les faits, 50% des plages artificielles doivent désormais rester publiques et les concessionnaires devront démonter leurs installations à compter du 15 octobre et jusqu’au 15 avril. Cette disposition concerne déjà les plagistes de Cannes et Antibes, puis tous ceux de la Côte d’Azur en 2020.


Jean-Michel Chevalier