Le point sur le projet de déjudiciarisation des saisies immobilières


Droit


16 mars 2018

La divulgation, le vendredi 9 mars 2018, du projet de loi de programmation pour la Justice 2018-2022, a fait l’effet d’un tsunami, notamment au sein des praticiens des procédures civiles et d’exécution, en ces dispositions concernant la procédure de saisie-immobilière, et plus précisément l’organisation de la vente aux enchères sur adjudication d’un immeuble saisi, hors la présence du Juge, afin de « permettre à des officiers publics et ministériels de recevoir les enchères, y compris par l’organisation de ventes en ligne ».

Pour de nombreuses raisons, les solutions proposées par ce projet de loi de programmation ne répondent pas aux objectifs affichés. D’autres suggestions de modifications sont possibles pour répondre à ces mêmes objectifs.

Par Maître Frédéric KIEFFER Avocat, SCP KIEFFER MONASSE & Associés ANTIBES - Président de l’AAPPE

I – Le contenu du projet de loi de programmation en matière de saisie-immobilière


Avant de reprendre le contenu du projet de loi de programmation en matière de saisie-immobilière, il convient de rappeler :

- D’une part le contenu des « propositions effectuées par la Cour de cassation dans son rapport annuel » (ce sont les termes utilisés dans l’exposé des motifs du projet de loi de programmation)

- D’autre part les termes du rapport de Frédérique AGOSTINI et de Nicolas MOLFESSIS

I – 1. Les rapports annuels de la Cour de cassation

Récemment, la Cour de cassation a suggéré des modifications législatives en matière de saisie-immobilière dans ces rapports annuels de 2014, 2015 et 2016 (le rapport de 2017 n’étant pas à ce jour paru).

I – 1.1 Rapport de 2014

Dans ce rapport de 2014, la procédure de saisie-immobilière est évoquée :

- Pages 65 à 66, sous la rubrique « rationalisation des recours intermédiaires »
- Pages 366 à 367 à propos des « procédures accélérées imposées par la loi »

a) Rationalisation des recours intermédiaires

Il est indiqué notamment :

« Les recours multiples susceptibles d’être formés contre chacune des décisions que le Juge de l’exécution ou la Cour d’appel sont amenés à prendre au cours de ce déroulement (de cette mesure d’exécution) constitue la source d’un ralentissement et d’une fragilisation de cette mesure d’exécution, préjudiciable à son issue finale.

La formation d’un recours, serait-il voué à l’échec, est susceptible d’enrayer la suite de cette procédure, le créancier poursuivant prenant rarement le risque de poursuivre une adjudication en l’état d’un recours pendant et, lorsqu’une adjudication est organisée, l’existence d’un recours pouvant nuire au bon déroulement des enchères. En outre, ces recours peuvent imposer la réitération de frais importants, notamment de publicité. Enfin, il pèse sur l’activité judiciaire, les Cour d’appel ayant été saisies en 2013 d’environ 1 400 appels en la matière  ».

« S’il n’est pas souhaitable de fermer les recours immédiats contre certaines décisions, en particulier celles du Juge de l’exécution qui décident de l’orientation vers une vente amiable ou une vente forcée (pour lesquelles un recours différé pourrait entraîner l’anéantissement de l’ensemble des jugements et acte subséquemment accomplis, y compris la vente, voire la distribution de son prix), il paraît indispensable de mieux rationnaliser l’exercice de ces voies de recours.

Les ajustements susceptibles d’être apportés en cette matière devraient tendre à concentrer les recours à des étapes clefs de cette procédure, en particulier l’audience d’orientation, conformément à l’esprit qui a animé la réforme de cette matière.

Ainsi, rompant avec l’état du droit, en dehors des cas où elles mettent fin à l’instance (ou tranchent tout ou partie du principal), les décisions qui précèdent le jugement ordonnant l’orientation de l’affaire vers la vente forcée ou amiable ne devraient-elles pouvoir faire l’objet d’un appel qu’avec ce jugement, de sorte que la Cour d’appel serait saisie d’un dossier complet.

Après le prononcé de ce jugement, les contestations et demandes qui ne portent pas sur un acte postérieur à ce jugement sont nécessairement irrecevables comme tardives. Deux ajustements devraient alors être adoptés.

En premier lieu, il est paradoxal que le jugement qui prononce cette irrecevabilité soit lui-même susceptible d’un appel, pourtant nécessairement voué à l’échec. Pour y remédier, il conviendrait de compléter le 1er alinéa de l’article R 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution à l’effet de préciser que le jugement qui déclare irrecevable une contestation ou une demande incidente comme ayant été formée après l’audience d’orientation n’est pas susceptible d’un recours immédiat de ce seul chef.

En second lieu, en l’état des textes et de la jurisprudence les ayant mis en œuvre, il conviendrait de passer en revue l’ensemble des décisions, autres que le jugement d’orientation, susceptibles de faire l’objet d’un recours immédiat, à l’effet d’en évaluer la pertinence. Ainsi, parmi les ajustements susceptibles d’être envisagés, conviendrait-il par exemple de fermer l’appel contre le jugement déclarant irrecevable une demande de subrogation ne mettant pas fin à l’instance, de même que l’appel contre le jugement qui rejette une telle demande est irrecevable, voire d’exclure tout recours immédiat contre le jugement se contentant d’ordonner le report de la vente forcée.

La direction des affaires civiles et du sceau est favorable à la rationalisation proposée quant à l’ouverture des voies de recours en matière de procédure de saisie-immobilière tendant :

- Pour la phase antérieure au jugement d’orientation vers une vente forcée ou amiable, à ne permettre l’appel des décisions qu’avec ce jugement.

- Pour la phase postérieure à l’orientation, à analyser quelles sont les décisions (en dehors du jugement d’orientation) pour lesquelles il serait pertinent d’exclure l’appel, en cohérence avec les solutions de la jurisprudence.

Ces modifications pourraient figurer dans un décret réformant le Code des procédures civiles d’exécution ou dans un décret comportant différentes mesures de simplification ».

b) Procédures accélérées imposées par la loi

Il est indiqué notamment :

«  Les applications jurisprudentielles les plus récentes en la matière concernent l’appel à jour fixe dans la procédure de saisie-immobilière. L’appel interjeté contre le jugement d’orientation de la procédure, en vue d’autoriser la vente amiable du bien ou d’ordonner sa vente par adjudication, doit être formé suivant la procédure à jour fixe, de sorte que l’appelant n’a pas à justifier d’un péril, à l’appui de sa requête (article 322-19 du Code des procédures civiles d’exécution).

Dans ce cas, la voie procédurale du jour fixe n’est pas laissée à l’appréciation du Juge, puisqu’elle constitue le mode de saisine de la Cour d’appel, de sorte qu’une simple déclaration d’appel, non doublée d’une assignation à jour fixe délivrée sur l’autorisation donnée par le 1er Président de la Cour d’appel, rend cet appel irrecevable [….] conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation sanctionnant ainsi la saisine d’une juridiction n’empruntant pas la forme qu’imposent les textes qui la régissent […] »

« Cette irrecevabilité conduit à s’interroger sur le domaine exact dans lequel l’appel à jour fixe est imposé par la loi. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle décidé que l’appel de l’ensemble des jugements rendus à l’audience d’orientation par le Juge de l’exécution relève de la procédure à jour fixe, de sorte qu’est irrecevable l’appel d’un tel jugement ayant débouté les débiteurs de leur contestation, constater le montant de la créance du poursuivant, ordonner la poursuite des opérations de saisie-immobilière et renvoyé l’affaire à une prochaine audience ».

I – 1.2 Rapport de 2015

Dans ce rapport de 2015, la procédure de saisie-immobilière est évoquée :

- Pages 52 à 53 sous la rubrique « rationalisation des recours intermédiaires »
- Pages 73 à 74 sous la rubrique « péremption du commandement valant saisie-immobilière »

a) Rationalisation des recours intermédiaires

La Cour de cassation reprend les éléments indiqués dans son rapport de 2014 (voir ci-dessus I-1.1).

b) Péremption du commandement valant saisie-immobilière

Il est indiqué notamment :

« En application de l’article R. 321-20 du code des procédures civiles d’exécution, le commandement de payer valant saisie immobilière cesse de plein droit de produire effet si, dans les deux ans de sa publication au fichier immobilier, il n’a pas été mentionné en marge de cette publication un jugement constatant la vente du bien saisi.

La réforme de la saisie immobilière, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, a considérablement modifié cette mesure d’exécution, notamment en impartissant au créancier poursuivant des délais rigoureux afin de ne pas retarder la vente du bien saisi.

L’irrespect de ces délais est sanctionné par la caducité du commandement, laquelle est mentionnée en marge de la publication du commandement au fichier immobilier, de sorte qu’elle anéantit cette mesure d’exécution (article R. 311-11 du Code des procédures civiles d’exécution). La péremption du commandement a ainsi perdu sa fonction de mesure destinée à combattre l’inertie du créancier poursuivant. Cette péremption soulève pourtant un contentieux nourri, chaque fois que, en raison d’incidents de la procédure de saisie immobilière, la vente du bien saisi ne peut être constatée dans le délai biennal de l’article R. 321-20 du Code des procédures civiles d’exécution, de sorte que le créancier poursuivant est contraint de solliciter la prorogation des effets du commandement, par des conclusions nécessitant la convocation des parties à une audience (article R. 311-6 du Code des procédures civiles d’exécution), suscitant des contestations et, le cas échéant, des demandes d’aide juridictionnelle formées à cette fin, ainsi que des appels (article R. 311-7 du Code des procédures civiles d’exécution), le pourvoi immédiat étant, quant à lui, fermé.

Si l’utilité de la péremption peut encore être trouvée par rapport aux exigences de la publicité foncière, cette mesure n’a plus pour objet de garantir la diligence des parties et doit ainsi être dissociée du délai biennal de péremption de l’instance. Il apparaît, dans ces conditions, nécessaire d’en neutraliser les effets néfastes sur le déroulement de la procédure de la saisie immobilière, à tout le moins en en allongeant la durée, pour la porter de deux à cinq ans, correspondant au délai de droit commun de la prescription.

La direction des affaires civiles et du sceau fait valoir que l’harmonisation des délais proposée pourrait effectivement constituer une mesure de simplification bienvenue, mais observe que le délai de péremption actuellement prévu a pour vertu de protéger le débiteur, en enfermant la procédure de saisie immobilière dans un délai assez court, tout en permettant une prorogation des effets du commandement à l’issue d’un débat contradictoire (article R. 321-22 du Code précité). Il paraît donc ménager un équilibre entre les droits des parties qu’une augmentation du délai de validité du commandement pourrait affecter, sans compter les effets indésirables qu’entraînerait un allongement de ce délai de validité à cinq ans au regard de l’objectif de célérité de la justice. Elle entend mener une étude statistique sur la durée moyenne des procédures de saisie immobilière avant d’envisager une évolution des textes. »

I - 1.3 Rapport de 2016

Dans ce rapport de 2016, la procédure de saisie-immobilière est évoquée à la page 57, sous la rubrique « rationalisation des recours intermédiaires »

Il est rappelé par la Cour de cassation les termes de ses précédents rapports de 2014 et 2015 (voir ci-dessus).

Il est indiqué également :

« La direction des affaires civiles et du sceau est favorable à la rationalisation proposée quant à l’ouverture des voies de recours en matière de procédure de saisie immobilière et indique que la proposition pourra être plus précisément étudiée dans un décret toilettant de manière plus générale la procédure de saisie immobilière.  »

I – 2 - Le rapport de Frédérique AGOSTINI et de Nicolas MOLFESSIS de janvier 2018

Ce rapport « chantiers de la Justice – Amélioration et simplification de la procédure civile », traite de la procédure de saisie-immobilière, mais uniquement dans les annexes et de la manière suivante, à la page 43 :

« Section 2 - L’exécution forcée

En matière de saisie immobilière, la vente à la barre, qui consiste en une mise aux enchères publiques à la barre du tribunal, pourrait être supprimée et confiée aux commissaires de justice. Les enchères pourraient être présentées en ligne, ce qui serait de nature à alléger la charge des tribunaux tout en garantissant un prix juste.

Dans la phase judiciaire, un délai butoir serait prévu pour demander l’aide juridictionnelle et soulever des contestations devant le juge de l’exécution. Dans la phase de vente, les éventuelles contestations qui surviendraient pourraient être réglées dans le cadre d’une saisine de la juridiction à jour fixe. »

I – 3 - L’exposé des motifs du projet de loi de programmation et le projet de loi

Dans l’exposé des motifs du projet de loi de programmation, rédigé par le Ministère de la Justice, il est indiqué à la page 3 :

« L’article 9 habilite, quant à lui, le gouvernement à modifier par Ordonnance le livre III de la partie législative du Code des procédures civiles d’exécution et toute disposition de nature législative qui en découlerait.

Il s’agit en premier lieu de permettre à des officiers publics et ministériels de recevoir les enchères, y compris par l’organisation de ventes en ligne, en cas d’adjudication d’un immeuble saisi et de supprimer la vente à la barre du tribunal, qui ne permet pas toujours d’obtenir le meilleur prix. Il s’agit en second lieu de réformer la procédure de saisie-immobilière afin de l’accélérer et de la sécuriser, notamment en rationnalisant l’exercice des recours intermédiaires, et de garantir le meilleur prix, conformément aux propositions effectuées par la Cour de cassation dans son rapport annuel […]  »

L’article 9, qui est ainsi rédigé :

« article 9

déjudiciariser la vente forcée de l’immeuble en cas de saisie-immobilière

I – dans les conditions prévues à l’article 38 de la constitution, le gouvernement est autorisé à prendre par voie d’Ordonnance, dans un délai de 9 mois à compter de la date de publication de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour modifier :

1- Les dispositions du livre 3 du Code des procédures civiles d’exécution relatives à la procédure de saisie-immobilière afin de confier à des officiers publics et ministériels la réception des enchères en cas de vente par adjudication effectuée en application de l’article L 322-1 du Code des procédures civiles d’exécution, d’améliorer et de simplifier la procédure de saisie immobilière, notamment en rationnalisant l’exercice des recours intermédiaire, et de garantir la vente au meilleur prix ;

2- Modifier toutes dispositions de nature législative pour favoriser la mise en œuvre et tirer les conséquences des modifications apportées en application du 1- »

L’exposé des motifs de ce projet de loi de programmation fait apparaître les axes de réforme envisagés :

- La suppression de la vente à la barre du Tribunal et la réception des enchères en cas d’adjudication d’un immeuble saisie par un officier public et ministériel (alors que dans le rapport AGOSTINI-MOLFESSIS il était envisagé de confier la réception des enchères « aux commissaires de justice », nouvelle profession créée par l’Ordonnance du 2 juin 2016, pour la fusion des commissaires-priseurs et des huissiers de justice), y compris par l’organisation de vente en ligne.

- La réforme de la procédure de saisie-immobilière, notamment en rationnalisant l’exercice des recours intermédiaires.

Les objectifs de ces deux axes de réforme seraient d’après les motifs exposés :

- « obtenir le meilleur prix » ou « garantir le meilleur prix »

- « accélérer » et « sécuriser » la procédure de saisie-immobilière

Si nous ne pouvons qu’être d’accord, sur ces objectifs (d’autant plus que nous avons par le passé favorisé la « marche » vers ces objectifs d’une part en contribuant largement à la réforme de 2006 et d’autre part en suggérant des modifications ou adaptations des textes dont il n’a pas été tenu compte à ce jour par les pouvoirs publics malgré le fait qu’ils les aient approuvées), la seule question qu’il convient de se poser est de savoir si les actes de réforme proposés sont nécessaires et/ou suffisants pour atteindre les objectifs fixés.


II – 1er objectif : « obtenir » et « garantir le meilleur prix »


Pour atteindre cet objectif, la seule mesure proposée à la lecture de l’exposé des motifs de la loi de programmation est donc de supprimer la vente à la barre du tribunal et d’y substituer une vente aux enchères réceptionnée par un officier public et ministériel, y compris par l’organisation de ventes en ligne.

Une première analyse fait apparaître que le constat est erroné, et que les propositions mis en œuvre sont inadaptés.

II – 1 Constat erroné

Le prix des ventes immobilières sur adjudication n’est pas inférieur à ce qu’il pourrait être devant un officier public et ministériel.

Aucune étude, a fortiori sérieuse, ne prouve le contraire.

L’affirmation contenue dans l’exposé des motifs de la loi de programmation procède d’un présupposé induit d’une méconnaissance des conditions de ventes forcées à la barre du tribunal.

Si le prix d’adjudication peut être (mais pas toujours) inférieur au prix du marché des ventes amiables, c’est essentiellement parce que la vente sur adjudication d’un immeuble a lieu dans des conditions tout à fait particulières et sans le concours du propriétaire saisi voire avec son opposition résolue et parfois violente..

On peut citer parmi ces conditions particulières les éléments suivants :

- Très souvent, il s’agit d’immeubles qui n’ont pas pu trouver d’acquéreur à l’amiable, compte tenu de leur nature, de leur situation, de leur état, des exigences exagérées de prix voulues par le vendeur etc.

- Les immeubles saisis sont souvent des immeubles qui sont encore occupés par le débiteur saisi, qui aura pu faire obstruction pour laisser pénétrer l’huissier pour établir le PV descriptif, pour opérer la visite limitant ainsi la connaissance du bien par les adjudicataires et qui acceptera plus ou moins facilement de quitter les lieux après la vente

- S’agissant d’une vente forcée, le créancier poursuivant vendeur ne peut pas toujours réunir tous les éléments d’information nécessaires pour rassurer l’éventuel adjudicataire, à défaut de concours du propriétaire saisi.

- Ces ventes ont nécessairement des éléments d’incertitude notamment en ce qui concerne les conditions d’occupation (sont ainsi opposables tout droit né antérieurement à la délivrance du commandement de payer valant saisie [1]] même non mentionné au cahier des conditions de vente, les publicités ou les visites [2]] mais encore aussi ceux nés postérieurement s’ils ont été évoqués [3]]) sans garantie (vice caché [4]], lésion [5]]) voire comportent des clauses étonnantes [6]] qui font que le prix ne peut pas être équivalent au prix de vente à l’amiable. Le constat est aussi valable pour les ventes aux enchères devant les Officiers Publics et Ministériels (meubles comme immeubles)

II – 2 Propositions inadaptées

Contrairement à ce que semblent soutenir les termes de l’exposé des motifs de la loi de programmation, l’aspect public de la vente (vente ouverte à un large public dans le cadre d’une enceinte judiciaire assez vaste), la présence et le contrôle d’un juge et d’un greffier à l’audience de vente, le ministère obligatoire d’un avocat pour vendre et acheter rassurent l’éventuel adjudicataire, confèrent à cette vente une certitude d’intégrité et permettent d’obtenir de meilleurs prix.

En outre, la réception des enchères en présence de l’avocat poursuivant facilite les solutions amiables de dernier moment.

Cet aspect public et judiciaire a également pour vocation de se dérouler dans l’intérêt de la protection des droits du débiteur saisi, et notamment d’un droit essentiel, à savoir son droit de propriété et son droit au logement (l’immeuble saisi constituant souvent sa résidence principale).

a) Les seuls vrais moyens qui pourraient être mis en œuvre pour garantir un meilleur prix seraient par exemple :

- De rendre obligatoire [7]] la visite du bien préalablement à toute audience d’adjudication y compris en matière de surenchère et de réitération,

- De permettre une plus large publicité sous la responsabilité et le choix des avocats poursuivants (par exemple une publicité sur internet obligatoire)

- De favoriser la communication de renseignements sur l’immeuble vendu, et des conditions de la vente (par exemple en autorisant le dépôt du cahier des conditions de vente et du procès-verbal descriptif sur le site internet du Cabinet de l’avocat poursuivant). Cette communication par internet pourrait être étendue à d’autres éléments du dossier : baux, diagnostics techniques, documents d’urbanisme, etc. Et même de tout mettre (renseignements et annonces des ventes sur une plateforme commune qui serait une des fonctions de e-barreau, étant donné que des logiciels existent déjà pour ce deuxième point

Création d’un site internet national administré sous l’égide du Conseil National des Barreaux dispensant une information claire, impartiale et complète sur les ventes aux enchères et recensant l’ensemble des biens susceptibles d’être acquis par l’intermédiaire des avocats. Cela est de nature à dynamiser les ventes aux enchères voire l’ensemble des ventes immobilières des avocats et ce au bénéfice de tous les intervenants


b) Dans l’hypothèse où, par impossible, il serait impératif (ce dont on peut légitimement douter car il n’y a aucune étude d’impact sur l’effet de la déjudiciarisation des seules enchères ce qui est contraire aux textes) de supprimer les ventes immobilières à la barre du tribunal,
rien n’empêcherait que ces ventes se déroulent dans une salle spécialement affectée par chaque Barreau ou auprès du Tribunal de grande instance, sous l’autorité du Bâtonnier (ou de son délégataire) en présence éventuellement d’un huissier qui sera chargé d’établir un procès-verbal de réception des enchères indiquant le déroulement des enchères et l’identité du dernier enchérisseur (outre enchères en ligne avec poste sécurisé dédié dans ladite salle).

c) La déclaration d’adjudicataire devrait se faire immédiatement sur place ou par le réseau sécurisé e-barreau par document scanné et signé de l’avocat avec complément dans les trois jours pour permettre la publicité foncière comme actuellement).

Les garanties préalables de solvabilité des enchérisseurs seraient identiques au système actuel et vérifiées par le Bâtonnier (ou son délégataire).

Au vu du procès-verbal de réception des enchères établi par l’huissier, serait établi par le Bâtonnier (ou son délégataire) un « procès-verbal d’adjudication » ou « acte d’adjudication » dans la forme des jugements d’adjudication actuels.

Ce document serait assorti de la force exécutoire par le greffier auquel il serait remis (ce process est à comparer à ce qui se passe actuellement en matière de taxation d’honoraires). Ce document ferait l’objet ensuite d’une mention en marge du commandement de saisie-immobilière publié, comme c’est le cas actuellement pour le jugement d’adjudication.

Il serait ensuite transmis aux services de l’enregistrement par l’avocat de l’adjudicataire.

Ces formalités pourraient parfaitement et sans difficulté juridique ou technique particulière être simplifiées par un système de transmission numérique au service de la publicité foncière et par l’extension de la formalité fusionnée aux avocats (le CNB a formulé des propositions en ce sens à la DACS en novembre 2014 et plus récemment à la commission Aynès en charge de la modernisation de la publicité foncière)

d) Bien évidemment, dans un avenir proche, il pourra être mis en place par le Conseil National des Barreaux un module de ventes aux enchères en ligne utilisable par chaque Barreau.

Ce système de ventes aux enchères en ligne existe en Espagne.

Ce module utiliserait les systèmes de communication sécurisés existant déjà ET PLUS PARTICULIEREMENT LE RPVA lequel permettra la garantie de la confidentialité des informations personnelles y figurant.


III – 2ème objectif : « accélérer » et « sécuriser la procédure de saisie-immobilière »


Tous les praticiens de la procédure de saisie-immobilière partagent cet objectif, et ont déjà fait parvenir à la Chancellerie de nombreuses propositions en ce sens, sans exclure pour autant les propositions faites par la Cour de cassation dans ses rapports annuels.

III – 1 Les propositions de la Cour de cassation

Les praticiens ne peuvent que souscrire aux propositions de la Cour de cassation concernant :

- La péremption du commandement valant saisie-immobilière (voir I – 1.2 b)

- La rationalisation des recours intermédiaires (voir I – 1.1 a)

Les applications de la procédure à jour fixe dans la procédure de saisie-immobilière (voir I – 1.1 b)

Sous réserves de certaines précisions, et suggestions complémentaires, ces propositions ont vocation à être insérées dans le Code des procédures civiles d’exécution.

III – 2 Les propositions de l’AAPPE (association des avocats praticiens des procédures et de l’exécution)

L’AAPPE a transmis un certain nombre de propositions il y a déjà plusieurs mois (en novembre 2014) au Ministère de la Justice, soit directement soit par l’intermédiaire du CNB.

Ces propositions ont pour vocation :

- D’accélérer la procédure

- De sécuriser la procédure, notamment par des significations faites par huissier, aux lieu et place des notifications par lettre recommandée avec accusé de réception.

- D’alléger le travail des juges

- D’alléger le travail des greffiers

Il convient de se reporter à l’ensemble de ces propositions, parmi lesquelles on peut citer :

- L’extension du système du RPVA aux procédures devant le Juge de l’exécution immobilier, oui

- L’obligation de prendre connaissance du cahier des conditions de vente non pas au greffe mais au Cabinet de l’avocat poursuivant, et en ligne sur plateforme CNB et déjà sur le site de l’avocat

- Le dépôt des déclarations de créances des créanciers inscrits par RPVA avec copie systématique au greffe, pour lui permettre de délivrer un certificat attestant qu’aucun créancier inscrit après la date de la publication du commandement n’est intervenu dans la procédure

- Une modification des mesures de publicité imposées par la loi de façon à ce que ces publicités soient plus attrayantes, mieux diffusées, et correspondent mieux au système de communication actuel (éviter les archaïsmes des textes actuels en matière de publicité)

- Un texte clair et précis donnant compétence au Juge de l’exécution immobilier pour déclarer inopposable les baux consentis postérieurement au commandement (actuellement subsiste une grande incertitude du fait de jurisprudences différentes selon les tribunaux à ce sujet)

- Décharger le greffe de la rédaction des titres de ventes, dont l’essentiel serait établi par les avocats poursuivants, à charge pour eux de demander au greffier l’apposition de la formule exécutoire.

- La durée de validité du commandement étant portée à cinq ans, le nombre des demandes de prorogation sera diminué ; pour les quelques rares procédures qui pourraient dépasser cinq ans, la demande pourrait être présentée par une simple ordonnance sur requête comme pour les prorogations des assignations en résiliation de vente (article 37 dernier alinéa du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 : En cas d’instance judiciaire, ce délai peut être prorogé par la publication d’une ou plusieurs ordonnances successives rendues à cet effet par le président du tribunal saisi)

- Sécuriser la procédure d’appel en matière de saisie-immobilière par un texte plus précis sur la distinction des cas entre la procédure à jour fixe et la procédure normale (bref délai s’agissant de décisions du juge de l’exécution).

IV - La présence indispensable de l’avocat jusqu’au terme de la procédure

La réforme de la procédure de saisie immobilière, issue de l’ordonnance du 21 avril 2006 et du décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006, a réellement permis de simplifier et d’accélérer la saisie immobilière, d’encourager les alternatives amiables, notamment en autorisant la vente amiable impliquant directement le propriétaire du bien et de permettre ainsi la vente au meilleur prix possible, que celui-ci soit fixé de gré à gré ou sur adjudication grâce à la transparence des enchères, la sécurisation de celles-ci portées par avocats et le nombre important de personnes présentes aux audiences, rassurées par la présence du juge.

Cette procédure, qui fonctionne bien depuis seulement 12 ans, peut encore être améliorée, notamment par la rationalisation des recours intermédiaires.

Mais le souci de déjudiciarisation ne doit pas venir emporter cet équilibre fragile, créé depuis tout juste douze années, entre défense des droits du saisi portant sur un droit de propriété aussi fondamental, de plus fort lorsque la saisie concerne le logement principal, et des droits des créanciers, avec la recherche permanente du meilleur prix par souci d’efficacité économique dans l’intérêt ainsi préservé de toutes les parties.

A ce titre la présence de l’avocat est particulièrement utile, et même indispensable.
Cela se vérifie à toutes les étapes de la procédure et notamment pour favoriser la meilleure issue possible du dossier, ne serait-ce que parce que les avocats présents dans la procédure sont avant tout guidés par l’intérêt des clients qu’ils représentent et non par la réalisation de la vente.

Ainsi, il doit être relevé :

- La part importante d’orientations vers des ventes amiables autorisées, ce qui démontre bien le rôle actif et positif des avocats qui ont pleinement appliqué le sens voulu par la réforme, sans attendre l’application du tout récent tarif ; ce sont environ 1/3 des dossiers qui font l’objet de ventes amiables autorisée lors de l’audience d’orientation

- La possibilité, de par la présence de l’avocat jusqu’au terme de la procédure, d’aboutir à des accords jusqu’au dernier moment, en raison du lien que l’avocat conserve et entretient entre le créancier poursuivant, qu’il représente, et le débiteur ou son avocat dont il est l’interlocuteur naturel ; là encore ce sont environ 25% des dossiers, dont la vente forcée a été ordonnée, qui évitent l’adjudication, en raison d’accords entre les parties ; dès lors que ces dossiers seront transférés à un officier ministériel en vue de la vente sur adjudication, il est évident qu’une issue amiable deviendra alors beaucoup plus difficile.

Et la conservation des ventes requises par les avocats au sein des tribunaux est parfaitement conciliable avec un allègement des missions confiées aux greffiers et magistrats, notamment par la dématérialisation de documents et actes de procédure, étant par ailleurs souligné que les procédures de distribution amiables menées par les avocats représentent environ 99 % des procédures de distribution, ce qui démontre leur efficacité, quand bien même les délais peuvent être encore significativement raccourcis en facilitant les échanges, notamment dématérialisées, entre la profession d’avocat et les services de la publicité foncière.

Enfin et surtout, ce projet aurait des répercussions, non seulement sur les cabinets avocats spécialisés en cette matière, mais sur l’ensemble de la profession en raison des répercussions pécuniaires immédiates sur les CARPA et sur les ORDRES.

D’ailleurs, dans le délai de publication du présent article, grâce aux efforts conjoints des organes représentatifs de notre profession, et à l’appui technique de l’AAPPE qui n’a pas ménagé sa peine, le gouvernement l’a entendu (voir communiqué du CNB EN CLIQUANT ICI)

Mais il a fait savoir que la procédure serait modernisée, ce que nous appelons de nos vœux, comme en témoigne les nombreuses pistes de travail évoquées.

RÉFÉRENCES

[1] Art L 321-4 du Code des Procédures Civiles d’Exécution.
[2] Cass. 2e civ., 6 juin 2013, n° 12-19.116
[3] Cass. 3e civ., 23 mars 2011, n° 10-10.804
[4] Art 1649 du Code Civil
[5] Art 1684 du Code Civil.
[6] On pensera notamment aux éventuelles clauses mettant les impayés du copropriétaire saisi à la charge de l’adjudicataire qui après avoir été rejetées (Cass Civ 3, 17/02/1988 n°86-14.726 ; Cass Civ 3,17/06/1992 n°89.19.328) sont désormais admises sur l’autel du consensualisme (Cass Civ 2, 07/07/2011 n°10-13.913)
[7] L’Art R 322-26 du Code des Procédures Civiles d’Exécution précise en effet que si le Juge de l’Exécution détermine les modalités de visite de l’immeuble c’est « à la demande du créancier poursuivant » rendant celle-ci juridiquement facultative


Maître Frédéric KIEFFER SCP KIEFFER MONASSE & (...)