Vers un contrôle des clauses abusives dans les contrats entre professionnels


Droit


17 mai 2011

Instaurée par la LME, la sanction du « déséquilibre significatif » dans les contrats entre professionnels a été validée par le Conseil Constitutionnel. Cette notion, encore imprécise, pourrait être source de nombreux contentieux.

Le contrôle des clauses abusives à l’égard des consommateurs ou non-professionnels est connu des entreprises et des juristes depuis de nombreuses années et s’est fortement développé sous l’impulsion des associations de consommateurs. Ainsi, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat (article L.132-1 du Code de la consommation).

Jusqu’à présent, les contrats entre professionnels n’étaient quant à eux pas concernés par un tel contrôle. En 2008, à l’occasion d’une énième réforme du cadre des négociations commerciales entre les fournisseurs et la grande distribution, le législateur a toutefois souhaité instaurer une forme de « garde fou », pour essayer d’appréhender certains abus contractuels dans la négociation commerciale entre entreprises. C’est ainsi que la loi de Modernisation de l’économie du 4 août 2008 (LME) a ajouté à la liste des pratiques abusives sanctionnées par l’article L.442-6 du Code de commerce, une nouvelle pratique abusive consistant à «  soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties  » (Article L.442-6-I-2°). L’auteur d’une telle pratique engage sa responsabilité civile et peut se voir condamner à des dommages et intérêts. En cas d’action du ministre de l’Economie ou du Ministère Public, il encourt également une amende pouvant atteindre jusqu’à 2 millions d’euros, voire le triple du montant des sommes indûment versées.

Un contrôle aux contours incertains….

Sur la base de ce nouveau texte, le ministre de l’Economie a initié, en décembre 2009, des contentieux contre neuf enseignes de la grande distribution pour dénoncer certaines clauses contenues dans les contrats avec leurs fournisseurs, rédigés par ces enseignes.

Dans un de ces contentieux, le distributeur Darty a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la conformité de l’article précité au regard du principe de légalité des délits et des peines, en critiquant notamment le caractère particulièrement flou de la notion de déséquilibre significatif.

Dans une importante décision du 13 janvier 2011 (n°2010-85-QPC), le Conseil constitutionnel a considéré que l’incrimination énoncée à l’article L.442-6-I-2° du Code de commerce était définie en des termes suffisamment clairs et précis, dans la mesure où le législateur s’était notamment référé à la notion juridique de « déséquilibre significatif  » qui figure à l’article L.132-1 du Code de la consommation. Le Conseil a ajouté qu’en référence à cette notion, dont le contenu est déjà précisé par la jurisprudence, l’infraction est définie dans des conditions qui permettent au juge de se prononcer, sans que son interprétation puisse encourir la critique d’arbitraire. Enfin, les Sages ont souligné que la juridiction peut saisir pour avis la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC).

Cette référence au droit de la consommation dans le cadre d’une négociation entre professionnels laisse toutefois dubitatif et de nombreuses questions restent en suspens. On peut notamment se demander si ce texte n’exige pas de caractériser, au préalable et au cas par cas, un déséquilibre des forces de négociation. De même, faut-il effectuer une appréciation clause par clause ou du contrat dans son ensemble ? Peut-on examiner les conditions de prix et/ou l’objet même d’un contrat entre professionnels ?

Nul doute que les juges du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation, auront un rôle déterminant dans la définition des contours de cette notion qui restent encore à ce jour très flous.

...mais au champ d’application très vaste

Quoi qu’il en soit, au-delà des critiques sur la définition du déséquilibre significatif, force est de constater que ce nouveau contrôle a un champ d’application très large. En effet, ce texte inséré dans le Code de commerce a vocation à s’appliquer à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques.

Dès lors, ce ne sont pas les seuls contrats proposés par les enseignes de la grande distribution qui sont susceptibles d’être appréhendés par le contrôle du déséquilibre significatif, mais tous les types de contrats commerciaux : baux commerciaux, contrats d’approvisionnement, de distribution, de sous-traitance industrielle, d’assurance ou de crédit, etc.

Face à une notion juridique encore très imprécise et un champ d’application aussi vaste, les entreprises en situation de force doivent donc faire preuve d’une particulière vigilance dans la négociation et la rédaction de leurs contrats. A défaut, elles risquent d’être mises en cause sur le fondement de ce texte qui laisse augurer un contentieux aussi nourri et abondant que celui de la rupture brutale de relations commerciales. Dossier à suivre…