Réussir sa démarche RSE : l’exemple du Palais des Festivals et des Congrès de Cannes


Droit


23 avril 2018

Nous vous proposons cette semaine un entretien avec une entreprise locale prestigieuse dont la réputation à l’international n’est plus à faire : le Palais des Festivals et des Congrès de Cannes. Deux de leurs responsables, M. Demarest et M. Golovko, nous livrent leurs pratiques, leurs sentiments et leurs conseils en matière de responsabilité sociale et environnementale.
Entretien avec Bruno Demarest, Directeur RH, et Youri Golovko, Responsable de la politique RS-QSE et directeur des achats.

Reportage pour les Petites Affiches de Romain VALLIER, Doctorant en droit à l’Université de Nice Sophia-Antipolis- Juriste d’entreprise Spécialiste RSE et certifications environnementales.

Pouvez-vous présenter le Palais des Festivals en quelques mots ?

Bruno Demarest  : Le Palais des Festivals est une entreprise internationalement reconnue depuis 1946. C’est actuellement le deuxième centre de congrès en France. Le Palais accueille des évènements prestigieux tels que le Festival de Cannes, le MIDEM, différents congrès d’entreprises ainsi que des manifestations culturelles, sportives, numériques et technologiques, notamment. La structure emploie plus de 250 salariés à l’année.

Pourquoi avez-vous mis en place une démarche RSE au sein du Palais des Festivals ?

Bruno Demarest, Directeur RH.

Bruno Demarest : Avec le temps, nous nous sommes aperçus que nos prospects, clients et partenaires anglo-saxons et nordiques, notamment, étaient particulièrement sensibles aux questions environnementales, mais aussi de qualité, de sécurité et de conditions de travail. À titre d’exemple, un prospect anglo-saxon m’a un jour envoyé un questionnaire de 14 pages pour en savoir plus sur nos pratiques et efforts RSE. C’est donc un sujet très concret pour eux. De même, notre client le plus important est soucieux de notre respect des règles de sécurité s’agissant du port d’équipements de protection individuels par nos employés durant le montage et démontage d’événements. Finalement, il nous a donc paru nécessaire de répondre davantage à ces attentes en menant des démarches volontaires intégrant ces enjeux RSE, au-delà de la réglementation. De surcroît, nous sommes nous-mêmes, par les valeurs qui nous animent, personnellement engagés sur ces thématiques RSE, qui nous importent en tant que citoyens responsables. Notre démarche RS-QSE(1) est donc certes une réponse à des attentes commerciales, mais aussi et surtout le reflet de nos valeurs humaines et éthiques. Dès le départ, 60 personnes environ se sont mobilisées avec professionnalisme dans notre démarche. Par ailleurs, en certifiant cette démarche, nous souhaitions également prouver la réalité de nos engagements RSE, contrairement à d’autres entreprises ne faisant que de
l’affichage en la matière.

Quelles sont les différentes certifications que vous avez obtenues à la suite de cette démarche ?

Youri Golovko, Responsable de la politique RS-QSE et directeur des achats.

Youri Golovko  : Bien que nous menions déjà de nombreuses actions concrètes en ces domaines par le passé, c’est principalement depuis 2008 que nous avons commencé à mettre en place une démarche globale en matière RSE et QSE. Depuis 2009, nous avons dès lors obtenu la triple certification QSE ISO 14001, ISO 9001 et OHSAS 18001. Nous avons réussi à obtenir ces certifications en une année, ce dont nous sommes fiers. Cela est une chose rare pour un centre de congrès, qui en général ne cumule qu’une ou deux de ces certifications. Nous sommes également qualifiés ISO 26000 depuis 2012. Nous menons donc un véritable management intégré, c’est-à-dire une approche des questions RS-QSE très globale, qui touche à l’ensemble de nos décisions, activités, services et partenariats.

Quelles ont été les principales difficultés juridiques, techniques, financières et humaines que vous avez rencontrées au début de cette démarche ?

Youri Golovko : Sur le plan de nos démarches volontaires RS-QSE, l’ISO 26000, proposée depuis 2011, est assez difficile à appréhender du fait qu’elle est composée de lignes directrices et de nombreuses questions qui s’enchevêtrent : la norme est complexe à faire évaluer. De surcroît, le timing entre la publication de cette norme et le contexte de crise économique de l’époque n’a clairement pas été bon. En réalité, la norme semblait quelque peu décalée par rapport aux priorités immédiates des entreprises à ce moment précis. Sur le plan législatif, la veille réglementaire environnementale et sociale s’avère également être particulièrement complexe à gérer, mais elle représente une sécurité juridique très importante pour l’entreprise.

Comment s’organise le Palais des Festivals en matière de RSE ?

Youri Golovko : En réalité, notre démarche RSE s’inscrit dans une approche transversale, fédératrice et participative. Par conséquent, tous nos services sont impliqués dans cette démarche RSE, et chacun gère son budget en la matière. À titre personnel, j’étais initialement directeur des achats, et je connaissais bien la norme ISO 9001. La direction générale m’a alors proposé de manager une démarche RS-QSE dédiée. Je travaille donc en relation constante avec tous les autres services (communication, RH, etc.).

Qui est votre évaluateur externe, et pourquoi ce choix ?

Youri Golovko : Bureau Veritas, car c’est l’entreprise qui proposait le rapport qualité-prix le plus pertinent. Le montant de leurs audits est ponctuellement renégocié, pour éviter une hausse importante des
tarifs. L’entreprise Apave nous aide pour la veille juridique.
Économiquement, au fil des années, vous constatez un réel retour sur investissement à la suite de la certification de ces diverses démarches ?
Bruno Demarest  : Oui, absolument. Sur le plan juridique, la RSE limite notre nombre de contentieux, notamment en matière d’accident du travail, ainsi que nos risques de non-conformité à la réglementation. Sur le plan de la communication, évidemment, nos engagements en matière de RSE sont valorisants et renvoient une image positive du Palais des Festivals auprès de nos parties prenantes. Sur le plan économique, nous réalisons des économies importantes. Nous recyclons et valorisons ainsi 98% de nos déchets.

Vous abordez la question de l’image du Palais des festivals. Pensez-vous que le public et vos partenaires soient sensibles à vos certifications ?

Bruno Demarest   : Tout à fait. Je le dis avec réalisme et sans fausse modestie : nous sommes une référence pour les autres congrès en ce domaine.

Comment communiquez-vous sur vos efforts RSE à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise ?

Youri Golovko  : Nous souhaitons responsabiliser à la fois nos salariés et nos partenaires. En interne, nous menons une sensibilisation annuelle, et parfois mensuelle, sur ces sujets. Nous leur remettons notamment un livret d’accueil lors de leur arrivée, rappelant nos initiatives RSE. Je propose aussi des quizz réguliers en la matière. La sensibilisation est permanente : nous voulons mettre en avant l’importance de l’auto-responsabilisation en matière de RSE, qui doit être un sujet fédérateur.
Bruno Demarest : J’ajoute que la sanction disciplinaire est aussi un élément important en matière QSE et SST(2). Il faut sanctionner les comportements pouvant entrainer des risques de sécurité ou d’hygiène, dans un souci de prévention constant. Pour nos salariés, nous incluons aussi dans les contrats de travail des descriptifs de poste très précis abordant notre
démarche RSE. Pour nos partenaires extérieurs, nous intégrons certaines exigences RSE dans nos conditions générales de vente ou dans nos appels d’offres. Cependant, nous leur rappelons qu’eux-aussi peuvent communiquer sur leurs efforts et ainsi les valoriser.

Juridiquement, pensez-vous que vos certifications puissent constituer un moyen de défense dans le cadre d’un éventuel contentieux social ou de la réalisation d’un risque environnemental ?

Bruno Demarest : Parfaitement, et je peux en témoigner. Par exemple, j’ai pu, dans un recours judiciaire, rappeler que le Palais des Festivals s’inscrivait dans une démarche ISO. Cela nous a permis de faire écarter une demande de reconnaissance de maladie professionnelle imputable à l’employeur, initiée par un salarié après son départ, et d’économiser la somme d’environ 650 000 euros.

Parlons un peu de l’actualité sociale. Depuis fin décembre 2017, les différentes institutions du personnel ont fusionné au sein du CSE(3). Comment effectuez-vous ce changement en termes juridiques ? Quel est votre sentiment sur ce sujet et sur les évolutions actuelles du droit social ?

Bruno Demarest : C’est une bonne chose, mais la période transitoire 2018-2019 reste difficile à gérer avec les IRP(4). On les incite à se renseigner elles-mêmes sur l’avancée de l’entreprise en consultant la base de données économiques et sociales (BDES). S’agissant du prélèvement à la source, il y aura des difficultés à venir quant à l’information des salariés sur ce changement. Il y a ensuite eu des réformes plus ou moins bonnes à mon point de vue. Ainsi, malgré les deux réformes Macron, on a aujourd’hui un réel besoin de simplification des procédures de licenciement économique. Il
faudrait aussi pousser les syndicats à former davantage les salariés et leurs représentants à décrypter leur fiche de paie, la BDES et les bilans sociaux. En revanche, les ruptures conventionnelles nous ont vraiment facilité le travail. C’est plus rapide et plus sûr que les prud’hommes, dont les délais d’attente peuvent engendrer des risques psychosociaux trop souvent négligés chez les salariés.

Le Palais des festivals doit-il actuellement répondre, en plus de ses démarches RSE, à des réglementations environnementales spécifiques ?

Youri Golovko : Nous veillons continuellement sur l’ensemble des textes applicables au Code de l’environnement et nous respectons les règles du
régime de la déclaration en matière d’ICPE [1]. Nous avons aussi un Bilan carbone.

Beaucoup de PME n’osent pas franchir le pas pour s’engager dans une démarche de certification RSE, notamment pour des raisons de coûts ou de moyens humains. Quels seraient vos conseils ?

Bruno Demarest : Très concrètement, sur le plan technique, je les incite à former des groupements d’employeurs qui pourront s’occuper réellement de ces sujets pour leur compte, car souvent les PME n’ont pas à elles seules les moyens de s’en occuper. Il faut donc mutualiser les moyens financiers et humains sur ces questions, afin d’amortir les coûts et rentabiliser la
démarche.
Youri Golovko  : Humainement, il faut dépasser l’aspect normatif et contraignant de la RSE. Il faut un réel investissement des dirigeants, et ne pas concevoir la RSE comme une charge immédiate mais un investissement efficace sur long terme, qui apportera à l’entreprise performance économique et réactivité.


Romain Vallier - Doctorant en droit à l’Université de (...)