Sexe, situation familiale, origine et religion : des situations de discriminations trop fréquentes au sein de la profession d’avocat


Droit


2 mai 2018

Le Défenseur des droits, Jacques Toubon a présenté le 2 mai les résultats de l’enquête « Conditions de travail et expériences des discriminations dans la profession d’avocat en France » réalisée en collaboration avec la Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA). Cette enquête anonyme adressée par internet à l’ensemble de la profession a permis de collecter 7138 réponses. L’échantillon est représentatif de la population enquêtée.

L’enquête permet d’analyser sous quelles formes et selon quelle fréquence se manifestent les situations de discriminations dont les avocat-e-s peuvent faire l’expérience. Ci-dessous les principaux résultats.

- 72% des femmes et 47% des hommes interrogés rapportent avoir été témoins de discriminations à l’encontre de leurs collègues.

- 38% des personnes interrogées (dont 53% de femmes et 21% des hommes) rapportent une expérience de discriminations dans les cinq dernières années.

- Les principaux motifs de discrimination déclarés sont le sexe (22,4%), la maternité (19,7%) et l’âge (17,3%).

- Jeune et féminisée, la profession d’avocat se caractérise par des inégalités marquées entre les femmes et les hommes.
Certains groupes sociaux sont plus particulièrement exposés aux discriminations :
- 25% des hommes de 30-49 ans ayant un enfant
- 48% des femmes de 40-49 ans perçues comme blanches
- 66% des hommes de 30-49 ans perçus comme noirs ou arabes
- 69% des femmes de 30-39 ans ayant un enfant
- 74% des femmes de 30-49 ans de religion musulmane

La relation de travail entre confrères et consœurs, le bénéfice d’une rémunération ou d’une rétrocession d’honoraires sont les circonstances dans lesquelles les situations de discrimination sont le plus souvent rapportées.

Moins de 5% des femmes et des hommes confrontés à une discrimination ont entamé des démarches formelles pour faire valoir leurs droits. L’inutilité du recours (29%), l’insuffisance de preuves (23%), la peur des représailles (21%) sont les principaux motifs avancés pour le non-recours.

Conclusions du rapport

Les résultats présentés témoignent de la singularité d’une enquête circonscrite à un corps professionnel donné - les avocat·es en France – et dont l’objet donne à voir les situations auxquelles son évolution récente le confronte, à savoir sa féminisation et son rajeunissement, et simultanément les enjeux que cela représente pour lui.
À ce contexte démographique particulier, s’ajoute celui d’une profession avertie qui dispose, a priori, d’une connaissance juridique des discriminations. Sans présumer de l’effet que cette spécificité a pu
avoir sur les réponses données, l’enquête permet d’établir une cartographie des conditions de travail et des expériences de discrimination dont font l’objet certains groupes sociaux au sein de cette profession.
Celle-ci rend compte de façon explicite du poids des rapports sociaux, de genre et liés à l’origine, qui structurent les parcours professionnels des avocat·e·s. Concernant les conditions de travail et d’emploi, les inégalités sociales paraissent très marquées entre les sexes (statut d’exercice, secteur d’activité, rémunération, reconnaissance professionnelle, congé parental, temps partiel subi, attitudes et comportements sexistes…). Les premières analyses présentées sur ce point mériteront d’être complétées afin d’identifier dans quelles mesures celles-ci se fondent également sur d’autres caractéristiques sociales, et notamment l’origine.
Concernant les différences de traitements observées ou rapportées, les discriminations sont fréquentes, avec une surexposition des avocates par rapport à la population générale et une sous-exposition de leurs homologues masculins. Outre le sexe, l’exposition à des situations de discriminations varie fortement selon d’autres caractéristiques sociales, telles que l’origine perçue (noire ou arabe), la religion déclarée (musulmane) ou la parentalité (avoir des enfants de moins de 15 ans).
Les relations de travail entre confrères, le bénéfice d’une rémunération ou d’une rétrocession d’honoraires sont les circonstances dans lesquelles ces situations sont le plus souvent rapportées.
Bien que spécialistes du droit, et ce quel que ce soit le critère de discrimination déclaré, rares sont les avocat·e·s qui rapportent avoir engagé un recours, au motif que ce dernier est perçu comme inutile, difficile à documenter par manque de preuves ou exposant à de possibles représailles.
Ces résultats édifiants sur la prévalence des discriminations au sein de leur profession ne laissent pas indifférents les avocat·e·s qui se déclarent convaincu·e·s de la nécessité d’agir pour les prévenir et les traiter.
Sensibiliser les acteurs concernés, mobiliser les ordres et sanctionner les auteurs recueillent ainsi l’approbation de la très grande majorité de la profession, notamment des femmes.
Pour le Défenseur des droits, ces résultats renvoient également à la nécessité d’agir dans le cadre de la formation initiale et continue des avocat·e·s afin que ces derniers soient mieux à même d’identifier et documenter les situations de discriminations, pour eux-mêmes, leurs collègues ou leurs client·e·s, et connaître les voies et les moyens d’un recours effectif.

L’enquête complète est à retrouver en cliquant ici


Valérie Noriega