L’administration fiscale est-elle une créancière comme les autres ?


Paroles d’expert


12 juin 2018

Le XIXème congrès national du Conseil National des Administrateurs judiciaires et des Mandataires judiciaires qui se tient ce14 et 15 juin 2018 à la Colle-Sur-Loup est l’occasion de rappeler que quand les procédures collectives sont liées avec les procédures fiscales, l’administration fiscale bénéficie d’un statut de créancier particulier.

Par Maître Julien ALQUIER, Avocat en droit fiscal au Barreau de Nice, Chargé d’enseignement à l’Université Nice-Sophia-Antipolis, Doctorant au sein du laboratoire CERDP (E.A n°120)


Les procédures fiscales et les procédures collectives possèdent chacune leurs particularismes et leurs complexités respectives qui ne permettront pas de les détailler dans le présent article. Ce dernier permettra simplement d’énoncer quelques spécificités relatives à la procédure, la responsabilité ou encore le privilège dont dispose l’administration fiscale dans le cadre de procédures collectives.

Des règles procédurales proches du droit commun

Comme indiqué en introduction, la technicité des procédures collectives et fiscales mène à des questionnements en matière procédurale. Mais le principe fondamental de l’autonomie du droit fiscal, initié par le Doyen Trotabas dont l’université de Droit de Nice porte le nom, permet à la discipline fiscale de posséder quelques dérogations dans le cadre des procédures collectives.
Ainsi, le Tribunal des conflits, sollicité en matière de compétence juridictionnelle, a déjà été interrogé pour trancher la question de la compétence du juge administratif ou du tribunal de la procédure collective dans certains cas de redressement et liquidation judiciaires du débiteur.
Par deux décisions du 13 avril 2015 (n° 3988 MM. Martini et n° 3998 Mme Lévy) le Tribunal des conflits a considéré que les problématiques soulevées
devant sa juridiction relevaient de la compétence de la juridiction administrative confortant ainsi le principe de l’illustre Doyen.

L’administration fiscale, comme tout créancier, peut solliciter l’ouverture d’une procédure collective envers tout débiteur redevable d’imposition. Il conviendra pour le comptable public, chargé de ce type de procédure pour l’administration fiscale, d’énoncer spécifiquement les impositions en cause. En sus d’avoir fait l’objet de poursuites restées sans suite, les impositions que cherche à recouvrer l’administration fiscale ne devront pas faire l’objet d’une contestation devant ses services et des remises de dettes sur demande du débiteur, du conciliateur ou du mandataire judiciaire peuvent toujours être octroyées dans le cadre de la procédure collective. Dans le cas d’une procédure de sauvegarde, le chef d’entreprise continue l’administration de sa structure et reste donc en relation directe avec l’administration fiscale comme en procédure de redressement judiciaire sauf si l’administrateur désigné assure seul l’administration de l’entreprise en vertu de la décision du Tribunal.

En procédure de liquidation judiciaire, le gérant débiteur ne possède plus aucun pouvoir de gestion et seul le liquidateur administre l’entreprise jusqu’à la clôture de la procédure de liquidation. Il sera par conséquent l’interlocuteur unique des services de la Direction générale des Finances publiques.
Pour mémoire, le jugement ouvrant la procédure collective emporte normalement de plein droit interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, sauf exceptions prévues par le législateur, ainsi que l’interdiction de toute action individuelle des créanciers. Cependant, le Trésor public possède la possibilité de poursuivre le liquidateur en cas d’inaction de ce dernier au regard de la procédure.
L’administration fiscale possède également un rang de créancier spécifique.

Un privilège spécial

Un créancier privilégié bénéficie d’une garantie comme un nantissement, un gage, une hypothèque, etc. Ce privilège lui assure une priorité de paiement de son débiteur sur les autres créanciers appelés chirographaires.
Le trésor public bénéficie quant à lui d’un privilège propre.
En effet, les privilèges fiscaux possèdent un rang supérieur à tous les privilèges mobiliers du Code civil sauf certaines exceptions (privilège de conciliation, titulaires de créances nées après le jugement d’ouverture, etc.).
Les impositions dont le fait générateur est antérieur au jugement d’ouverture de la procédure doivent être déclarées par les comptables publics auprès du mandataire judiciaire ou du liquidateur judiciaire.
Les créances fiscales nées régulièrement après le jugement d’ouverture, et éligibles au traitement préférentiel du Trésor public, sont payées par privilège.
Cela signifie que le rang privilégié les fait passer avant toutes les autres créances, assorties ou non de privilèges ou de sûretés, à l’exception de celles garanties par certains privilèges établis par le Code du travail, comme le super privilège des créances salariales ou encore des frais de justice nés régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins de la procédure entre autres.
Mais si certaines règles procédurales s’adaptent à l’administration fiscale, cette dernière peut voir sa responsabilité engagée en cas de faute.

Une possible responsabilité

L’ouverture d’une procédure collective du fait de l’administration fiscale doit être menée avec rigueur car la responsabilité de l’État pourrait se voir engagée à raison des opérations qu’elle entreprend.
Ainsi, le Conseil d’État a déjà statué en ce sens lors de la mise en liquidation judiciaire d’un contribuable. La haute juridiction administrative a considéré, dans le cadre d’une procédure collective, que le préjudice découlant d’une rectification tardive concernant une créance déclarée à la suite de la rectification du montant des impositions par les services chargés de l’établissement de l’impôt constitue une faute imputable aux services du recouvrement de nature à engager la responsabilité de l’État (CE, 8 juill. 2016, n° 371080, Palusci).


Maître Julien ALQUIER