Nucléaire : quel avenir ?


Economie


2 août 2011

L’affaire est entendue : les centrales nucléaires recèlent d’immenses dangers. Mais la France ne peut les condamner à mort, puisqu’elles fournissent 80% de son électricité. Donc, pas de revirement stratégique possible à moyen terme. Sauf à engranger rapidement les bénéfices attendus des « smart grids », les réseaux intelligents…

Qu’en sera-t-il de l’énergie d’origine nucléaire au milieu du siècle en cours ? Nul ne saurait le dire aujourd’hui avec certitude, en dépit de la montée en puissance de l’angoisse des populations face aux risques énormes que recèlent les centrales en cas d’accident – improbable, certes, mais pas impossible. Circule en ce moment, sur le Net, la vidéo de l’« audition » de scientifiques et techniciens attachés à Fukushima, par les populations autochtones. Ces quelques minutes de non-communication se résument à cette seule allégation répétée en boucle : « le gouvernement a essayé de réduire l’exposition aux radiations autant qu’il a pu », et se terminent sur un scénario tout-à-fait incroyable à l’aune de la perception nipponne du sens de l’honneur : les représentants des autorités quittent la salle, pour éviter de répondre aux questions dérangeantes. Un délit de fuite qui constitue à la fois une insulte à l’égard de populations légitimement paniquées, un aveu irrémédiable d’impuissance face aux événements et un signal clair délivré aux habitants : l’Etat les abandonne à leur triste sort.

On a ici défendu l’idée que la production d’électricité nucléaire, qui constitue une réponse efficace à l’épuisement des énergies fossiles et aux désordres environnementaux que génère leur exploitation, ne pouvait raisonnablement être confiée à l’entreprise privée. Dans un système soumis au capitalisme libéral, le premier devoir de l’entreprise est de dégager des profits. Un objectif qui passe d’abord par la « maîtrise des coûts », traduction politiquement correcte, dans la langue managériale, de la lésine ordinaire. Or, les coûts induits par la sécurité maximale d’une centrale nucléaire ne sont tout simplement pas compatibles avec les impératifs de rentabilité du capital, selon les normes du marché libéral. Il faut savoir ce que l’on veut : si l’indépendance énergétique est jugée essentielle par une nation, cette dernière doit endosser le coût global de ses choix alternatifs. Le recours au nucléaire ne devrait donc être possible qu’aux entreprises publiques de pays suffisamment riches pour assumer, sans barguigner, le prix pharaonique de la sécurité de ses installations. Convenons qu’un tel scénario ne garantirait pas le risque zéro, d’autant qu’un pays réputé riche peut s’appauvrir dangereusement, comme le montrent les événements des temps présents. Mais des industries aussi périlleuses que le nucléaire ou… la finance, exposées à des « cygnes noirs » potentiellement destructeurs, peuvent-elles être abandonnées au cynisme statutaire de l’exploitation privée, sans le blindage réglementaire approprié ? Dans les deux cas, les faits ont déjà répondu. Mais les gouvernements restent sourds.

Le gisement des « smart grids »

En attendant que les jugements s’affinent, plusieurs voies restent ouvertes. Celle qu’a choisie notre pays, dont les 4/5èmes environ de l’énergie électrique proviennent du nucléaire : un record mondial, qui dicte la stratégie française sans que le gouvernement ait besoin de la rappeler. On continue. Il y a la voie incantatoire, récemment concrétisée par un rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Dont un chapitre nous apprend que 80% de l’énergie pourrait provenir de sources renouvelables à l’horizon… 2050. L’ennui, c’est que ledit chapitre est le copié-collé d’un rapport cosigné par Greenpeace et l’EREC (organe officiel du lobbying des industries des énergies renouvelables, auprès de la Commission européenne). Ce scénario s’appuie sur l’hypothèse qu’à cette échéance, les ressources fossiles seront en voie de disparition ou auront complètement disparu, et que les besoins en énergie auront considérablement baissé (sous le poids de restrictions autoritaires). Bref, une prospective plus proche de la propagande que de la science, selon une méthodologie désormais bien rodée par le GIEC.

Reste enfin une autre piste, qui paraît d’autant plus prometteuse que les industriels y investissent avec l’enthousiasme de chercheurs d’or : celui des « smart grids », les réseaux intelligents de transmission et de distribution de l’électricité. Le principe consiste à associer les technologies de l’information, de la communication, de l’observation et du contrôle. Les objectifs étant d’abord d’optimiser l’intégration de la production décentralisée ou intermittente (celle des éoliennes, notamment), et ensuite de permettre au client de mieux piloter sa propre consommation (par la mise à sa disposition d’informations circonstanciées). Il s’agit enfin, par l’automatisation des contrôles et le pilotage à distance du compteur de l’usager, de pouvoir… couper le courant chez le client mauvais payeur, sans avoir besoin de dépêcher un agent. C’est pour demain, de la même façon que les smart grids parviendront à gérer la demande d’électricité ainsi que son stockage – un défi non résolu à ce jour. L’enjeu de ces réseaux est considérable : on estime aujourd’hui que 80% du potentiel énergétique d’un baril de brut, lorsqu’il est pompé dans le sol, se perd au fil de la chaîne de production. Selon les spécialistes, le recours systématique aux technologies déjà existantes permettrait de réduire cette déperdition de moitié. Ce que l’histoire ne dit pas, c’est le prix à payer pour obtenir un tel résultat. Mais dans un contexte d’économie radicale des ressources fossiles et de la montée en puissance des énergies renouvelables (grâce à l’amélioration régulière de la productivité, en particulier), il n’est pas utopique d’escompter que le recours au nucléaire devienne subalterne… un de ces jours. Au point d’envisager sa complète disparition, avant que de nouveaux Fukushima ne viennent ternir un peu plus sa mauvaise réputation.


Jean-Jacques Jugie