"Collection paysages", une expo pour dépasser le plafond de vert des métropoles


Economie


11 juillet 2018

Du 11 juillet au 31 octobre 2018, la Ville de Nice vous invite à découvrir « collection paysages », une exposition adaptée et présentée par le Forum d’Urbanisme et d’Architecture, créée par arc en rêve centre d’architecture, à l’occasion d’Agora 2017 : « Paysages métropolitains ».

Avec la présence forte de la nature à ses marges, avec l’omniprésence de la mer ou de la montagne où que le regard se porte, Nice est plus qu’une ville : elle est une ville-jardin, une ville-paysage. De fait, ses contrastes aux infinies déclinaisons entre un hypercentre densément construit et des reliefs où la ville se fond dans le minéral et le végétal font d’elle un laboratoire de la rencontre entre ville et nature. C’est bien pourquoi, dans sa mission de divulgation de la valeur culturelle de l’architecture et de la ville, le Forum d’Urbanisme et d’Architecture donne périodiquement rendez-vous autour de thématiques liées au paysage.

À l’occasion de l’ouverture de la Promenade du Paillon déjà, il avait montré combien la notion de paysage a désormais débordé la simple idée romantique de panorama naturel pour initier de nouveaux croisements avec l’architecture et l’aménagement.
Plus récemment, la réflexion engagée sur le réaménagement du parc de la Colline du Château était l’occasion de poursuivre cette mise en évidence, notamment autour de la capacité d’une démarche paysagère à réactiver l’esprit d’un lieu. Aujourd’hui à Nice, ce sont de futurs grands parcs urbains au Ray et dans la plaine du Var, mais aussi le maillage de la ville par des jardins collectifs de proximité, qui rappellent la vivacité d’une pensée contemporaine sur le rapport des citoyens au paysage.

Le moment est donc à nouveau venu pour le Forum de remettre le paysage à l’honneur par une nouvelle exposition.
À travers « collection paysages », dix-neuf situations paysagères (dont quatre à Nice), examinées chacune sous l’angle d’une idée forte qui les caractérise, documentent certains des questionnements, mais aussi certaines des réponses, qui caractérisent notre époque.

Présentation ???

Avec la présence forte de la nature à ses marges, avec l’omniprésence de la mer ou de la montagne où que le regard se porte, Nice est plus qu’une ville : elle est une ville-jardin, une ville-paysage. De fait, ses contrastes aux infinies déclinaisons entre un hypercentre densément construit et des reliefs où la ville se fond dans le minéral et le végétal font d’elle un laboratoire de la rencontre entre ville et nature — deux milieux que l’on oppose souvent l’un à l’autre mais qui sont pourtant capables de s’inventer un destin commun.
C’est bien pourquoi, dans sa mission de divulgation de la valeur culturelle de l’architecture et de la ville, le Forum d’Urbanisme et d’Architecture donne périodiquement rendez-vous autour de thématiques liées au paysage.

À l’occasion de l’ouverture de la Promenade du Paillon déjà, il avait mis en lumière la question de la création paysagère dans les villes par une exposition intitulée « La Ville fertile ». L’intention en était de montrer combien la notion de paysage a désormais débordé la simple idée romantique de panorama naturel pour initier de nouveaux croisements avec l’architecture et l’aménagement, et nourrir ainsi des projets urbains aptes à répondre aux défis de villes et de vies toujours plus complexes.
Plus récemment, la réflexion engagée sur le réaménagement du parc de la Colline du Château était l’occasion de poursuivre cette mise en évidence à travers une autre exposition. On y découvrait la capacité, par une démarche paysagère, à réactiver l’esprit des lieux ainsi qu’à parvenir à un équilibre nouveau entre nature et histoire, entre ciel et terre, entre mémoire et création.

Aujourd’hui à Nice, ce sont de futurs grands parcs urbains au Ray et dans la plaine du Var, mais aussi le maillage pointilliste de la ville par des jardins collectifs de proximité, qui rappellent la vivacité d’une pensée contemporaine sur le rapport des citoyens au paysage. C’est aussi le projet de création d’une Fondation des Paysages hébergée dans l’Abbaye de Roseland, à l’initiative de Christian Estrosi et du paysagiste Michel Péna, qui rappelle l’enjeu intellectuel et social du partage d’un regard perpétuellement en mouvement sur le paysage, à travers la sensibilisation publique et le soutien à la création.

Le moment est donc à nouveau venu pour le Forum — et l’envie aussi — de remettre le paysage à l’honneur par une exposition accompagnée de manifestations associées (ateliers, débats, promenades urbaines).

« collection paysages », initialement créée par arc en rêve centre d’architecture sur la base de son propre engagement sur la diffusion culturelle du paysage depuis une trentaine d’années, et ici contextualisée par la mise en lumière de projets niçois, est ce véhicule choisi pour éclairer et réactiver un débat d’idées. Dix-neuf « situations paysagères », examinées chacune sous l’angle d’une idée forte qui les caractérise, documentent à la fois individuellement et par leur juxtaposition certains des questionnements, mais aussi certaines des réponses, qui caractérisent notre époque.
De la renaturation d’une rivière anthropisée à la mise en scène d’une autoroute, de la création de jardins à l’invention d’une nouvelle intimité entre l’échelle domestique de l’architecture et le grand paysage par un (pas si) simple rideau textile, de la proposition de nouvelles interactions sociales dans l’espace public à des randonnées périurbaines, le paysage contemporain s’offre à nous dans la diversité de ses expressions et de ses acceptions, mais plus encore dans la diversité de ses possibles. À nous de savoir les saisir pour dépasser le plafond de vert.

Edito de Francine Fort, directrice générale d’arc en rêve centre d’architecture ????

Proches ou lointains, les paysages sont vus, pratiqués, rêvés entre parcs et jardins, aux couleurs et odeurs des champs, des océans, des fleuves et du désert, jusqu’aux hautes montagnes. Le paysage est pluriel, idyllique, industriel, patrimonial, commercial, pavillonnaire, autoroutier, sauvage et/ou cultivé. Planter, tailler, aligner, ouvrir, fermer, clairsemer, diversifier, densifier, labourer, construire… Attendre, ou juste laisser pousser l’herbe. Prendre soin.Ici et ailleurs, l’écosystème est fragile. Les graines sont là, le projet métropolitain peut éclore comme un grand projet de paysage.
« collection paysages » réunit des points de vue contrastés qui constituent un corpus. Ils affirment des positions théoriques et pratiques qui ont su anticiper les questions actuelles du rapport de l’homme à son environnement. Toutes expriment une vision du monde que nous habitons.

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Outre les photographies, vidéos, sons ou objets qui en retransmettent la matérialité, chaque projet est documenté dans l’exposition par un texte à deux niveaux : une citation qui situe la posture des créateurs, et un texte descriptif qui raconte le cœur de la démarche.

 ?51N4E - Skanderbeg Square, Tirana, 2017 51N4E, architecte / Juillet 2017

51N4E

Skanderbeg Square, Tirana, 2017 © Filip Dujardin

« En tant qu’architectes, nous nous intéressons au paysage comme espace public. Ce double contexte permet de créer de nouvelles expériences humaines et de s’extraire des logiques identitaires ou communautaristes. Il donne l’occasion de superposer différents niveaux de réalités, imbriquer plusieurs échelles, contenir plusieurs climats. L’individu peut alors être touché en tant qu’être humain, au sens primitif du terme. Le corporel et le ressenti sont directement affectés. Sorti de sa situation habituelle, l’homme est alors prêt à être confronté à autre chose. Penser le paysage comme espace public offre les conditions de nouvelles pratiques, de nouveaux rites. »

Le projet de Skanderbeg Square, la place centrale de Tirana en Albanie, repose sur la relation ambivalente du couple public/intime. Les architectes ont mis en oeuvre un élément extrêmement géométrique, une pyramide en pente douce, installée très précisément sur la place. Cette figure déstabilise les rapports entre les bâtiments historiques. Elle permet de mettre les individus au même niveau que les escaliers monumentaux de la place. Ainsi, l’architecture semble transformée du fait du mouvement et de la hauteur des gens. Autour de la place, une couronne verte enserre l’es¬pace public à la manière d’une antichambre. Elle est un système où l’homme et l’environ¬nement sont pensés simultanément. Au sol, des chaises – non scellées ? sont offertes à tous. Leur largeur de 80 cm en fait un mobilier ambigu, pouvant accueillir une personne pre¬nant ses aises, ou bien deux personnes assises l’une contre l’autre, et cela suffit à révéler et provoquer de nouveaux rapports humains. Certains acceptent cette proximité physique et s’installent ensemble, d’autres négocient… Le dispositif scénique présenté ici recrée une situation similaire afin que le visiteur teste ces mêmes pratiques.

 ?Emilio AMBASZ Laboratoires de recherches Schlumberger, Austin, Texas, 1983

Emilio AMBASZ
« Je crois fermement que la distinction entre l’architecture du bâtiment et l’architecture du paysage ? comme s’il s’agissait de deux professions ou de deux vocations ? est artificielle et nocive. »
Emilio Ambasz, architecte et designer / juillet 2017

Laboratoires de recherches Schlumberger, Austin, Texas, 1983 © Emilio Ambasz & Associates

Ce projet pour les laboratoires de recherches Schlumberger à Austin, (Texas 1983) devait être construit hors de la ville. Son programme nécessitait de s’adapter facilement aux augmentations des effectifs et de favoriser également la communication des individus à l’intérieur des groupes. Emilio Ambasz construit sa proposition avec le paysage et organise des bâtiments et installations récréatives libre¬ment autour d’un lac artificiel, à la manière d’un jardin anglais.
Ainsi, les bâtiments mêlés au paysage offrent une atmosphère agréable aux collaborateurs qui profitent de vues dégagées. De surcroît, l’indépendance des bâtiments insérés dans la topographie encourage les utilisateurs à sortir, à traverser et vivre le paysage plutôt que de l’observer derrière une fenêtre.
À l’intérieur, les espaces de travail sont pensés comme des unités mobiles contenant des bureaux et étagères. Celles-ci peuvent être déplacées facilement au moyen d’un chariot élévateur. Leur proximité et l’espace commun qu’elles génèrent favorise une communication interne et informelle propice à ce programme de laboratoires de recherches.

 ?Isabelle AURICOSTE -Donner un paysage à la préhis¬toire, vallée de la Vézère, 2006-2009 - Jardin de l’Espace Chemins Bideak, Saint-Palais, 2008-2016

Isabelle AURICOSTE
«  Tous les êtres vivants organisent leur espace vital autour d’eux. Et nous, paysagistes, aménageons l’espace pour les autres. Ce paradoxe m’a conduit à défendre une méthode de travail ayant pour essence le social, le politique et le collaboratif : prendre en compte les données existantes du lieu et de la société d’où la commande est issue, travailler avec les êtres, les habitants. Il ne s’agit pas de produire une oeuvre, mais un paysage construit dans le dialogue et la confiance, et qui soit le résultat d’un processus de création commun inscrit dans une durée et provenant du vivant. La forme doit traduire cette épaisseur-là. En ce sens, je ne travaille pas à la manière d’un peintre. »
Isabelle Auricoste, paysagiste et écrivaine / Juillet 2017

Donner un paysage à la préhistoire, vallée de la Vézère, 2006-2009. Jardin de l’Espace Chemins Bideak, Saint-Palais, 2008-2016 © Mandragore

Jardin de l’Espace Chemins Bideak, Saint-Palais, 2008-2016
Bien que d’échelles et de traitements très différents, ces deux projets relèvent de la même action sur le territoire et suivent la même méthode de travail. Le premier projet est une étude paysagère confiée à Isabelle Auricoste et Lionel Hodier portant sur la vallée de la Vézère et l’harmonisation des périmètres de protection de ses 15 grottes. L’équipe a travaillé avec les élus des 30 communes de la vallée et les services de l’État pour mener une réflexion au long cours. Une des actions fortes proposée par l’équipe de paysagistes a été de redonner à voir les falaises en les remettant à nu et en réintroduisant le pâturage. Cette action de défrichement a permis d’en révéler le potentiel touristique par la création d’une identité patrimoniale préhistorique. Le second projet porte sur l’aménagement de la dernière étape du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle dans les Pyrénées. Suite à une collaboration intense avec la commune et les voyageurs, le travail de l’équipe de paysagistes composée d’Isabelle Auricoste et de Lionel Hodier a conduit à la création d’un jardin, la réhabilitation d’un couvent et l’aménagement du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle.

 ?Petra BLAISSE - Bordeaux, Floirac 2012

Petra BLAISSE

Bordeaux, Floirac 2012 © inside outside

«  J’ai une vision du paysage assez naïve et romantique : je veux créer des paradis, des mondes de fantaisie, de couleurs, de saisons, d’émotions, de rencontres, pour philosopher, lire, jouer, recevoir des gens, éduquer. Le paysage offre la possibilité d’un moment de rupture, de décollement du quotidien. Il devient très intéressant de travailler sous cet angle dans des situations d’artificialisation extrême, sur une dalle de parking, un tunnel, un métro. Couché sur une structure urbaine, le paysage peut être ce théâtre idéal qui a quelque chose à donner à tout le monde et invite à être soi-même.  »
Petra Blaisse, designer et paysagiste / juillet 2017

Une douzaine d’années après avoir réalisé une première génération de rideaux dans la mai¬son à Bordeaux, conçue par Rem Koolhaas - OMA, Petra Blaisse a été sollicitée par les clients pour une réintervention. Au sein de son agence Inside Outside, elle conçoit des aménagements paysagers qui assemblent des textures, des épaisseurs, des couleurs et des odeurs. Ses créations textiles sont des forment vivantes. Elles respirent, elles se déploient, elles bruissent, elle filtrent, elles résident, elles cultivent des relations entre architecture et paysage. Composés de soie et de tulle, les anciens rideaux ont vieilli et la vie dans la maison a évolué. Cette situation a conduit Petra Blaisse à requalifier les espaces en retravaillant sur les enveloppes. Ces rideaux n’ont pas fonction d’occulter les ouvertures. Ils construisent des espaces qui sont plus que la simple division entre l’intérieur et l’exté¬rieur, mais une limite transitoire mouvante, instable, légère. Ils sont tantôt réfléchissants, transparents, dotés d’ouvertures, créant des baies de curiosité sur l’extérieur. Tel un objet vivant, les voiles glissant sur les rails de la terrasse s’échappent des limites de l’archi¬tecture et entrent dans le paysage. Et le pay¬sage emplit la maison. Pour Petra Blaisse, le rideau exprime une quête d’émancipation, de désobéissance. En ce sens, il fonctionne comme un paysage.

 ?Bruit du frigo - Territoire périurbain, Bordeaux Métropole, depuis 2009

Bruit du frigo
« Le paysage nous intéresse du point de vue de l’espace habité et de l’espace public. Comment peut-on créer de l’espace social par le paysage ? Notre travail vise à construire les conditions de la continuité d’un territoire par la marche, le circuit et l’installation temporaire. L’espace urbain a tendance à se morceler et à se catégoriser. Il n’y a plus de lieu de coexistence. Il nous semble fondamental de relier les espaces entre eux afin de pratiquer et d’éprouver l’expérience physique d’un paysage partageable, traversant et commun. Par les voies de l’appropriation et de la mobilité, l’habitant peut alors se forger un regard critique sur l’endroit où il habite. C’est une manière de lutter contre la fermeture des espaces et leur monofonctionnalité. »
Yvan Detraz, architecte / Juillet 2017

Territoire périurbain, Bordeaux Métropole, depuis 2009 © Bruit du frigo

Le territoire périurbain de Bordeaux Métropole est un territoire mal perçu et souvent négligé. Or, il accueille la majorité des habitants. Ces trois cartes juxtaposées montrent la réalité et la grande valeur de ces espaces très rarement arpentés, mais parcou¬rus en voiture. Marcher sur ces territoires, y mener des actions concrètes, permet de trans¬former le regard et de voir se dessiner un pay¬sage extraordinaire. Dessinée par l’illustrateur Pipocolor, la fresque de Bordeaux Métropole présente ici un espace périurbain exacerbé et explosif en contraste avec l’image blanche de la ville historique protégée et labélisée. Une première carte datée de 1999 représente les espaces délaissés de la métropole bordelaise. Ce repérage a été effectué à pieds par le col¬lectif durant deux mois et demi. Aboutés, ces morceaux de territoires friches, espaces sans fonction, rebus de parcelles, etc. fabriquent un espace continu qui fait le tour de la ville, comme un envers périurbain. Une autre carte datant aussi de 1999 et réactualisée en 2015 montre l’inventaire de tous les cheminements de la métropole : les tracés officiels, les che¬mins sillonnés par les habitants, les venelles de lotissements, etc. Reliés entre eux, ils offrent un potentiel de marche de 1 200 km.

 ?Yves BRUNIER - 17 projets

Yves BRUNIER
« Yves Brunier parlait peu, il exprimait ses idées sous forme de dessins, de collages jetés sans discussion. On y trouvait toujours un élément de violence, d’agression, et une impatience incroyable. Ce qui a été le plus important pour moi, c’est que ses connaissances de la nature m’ont permis de confirmer l’intuition que j’avais sur la déviation en cours, sur le fait que le paysage était en train de devenir le seul médium capable de créer des connexions dans la ville. Yves était une molécule dans ce champ en tension, entre ces deux pôles de l’urbain et du paysage.
Il a préfiguré ce basculement.
 »
Rem Koolhass / mars 1996, à propos d’Yves Brunier disparu à l’âge de 29 ans en 1991.

Jardins pour le Centre européen des brevets, La Haye, 1990 © Yves Brunier

17 projets :
2 000 hectares à Melun-Sénart en assistance de Rem Koolhaas-OMA Rotterdam
Jardins de l’hôtel-restaurant Saint-James à Bouliac en assistance de Jean Nouvel, Paris
Autoroute du Sud de la France en assistance de Jean Nouvel, Paris
Parc de l’hôtel du département de la Vendée à la Roche-sur-Yon en association avec Isabelle Auricoste
Jardin public dans la Zac Évangile à Paris en association avec Isabelle Auricoste
Aménagement du site de Waterloo en association avec Isabelle Auricoste
Museumpark à Rotterdam en collaboration avec OMA - Rem Koolhaas
Jardin de la villa Dall’Ava à Saint-Cloud en collaboration avec OMA - Rem Koolhaas
Jardin de l’école maternelle à Évian-les- Bains en association avec Isabelle Auricoste
Château Canon la Gaffelière à Saint-Émilion en association avec Isabelle Auricoste
Place du Général-Leclerc à Tours en association avec Isabelle Auricoste et en collaboration avec Jean Nouvel
Parc urbain Eurallile à Lille en association avec Isabelle Auricoste et en collaboration avec OMA - Rem Koolhaas
Jardins pour le Centre européen des brevets à la Haye en association avec Isabelle Auricoste et en collaboration avec Willem Jan Neutelings & Frank Roodbeen
Aménagement des berges de la Vilaine à Rennes en association avec Isabelle Auricoste et en collaboration avec Dominique Alba
Trois jardins particuliers à Brasschaat en association avec Isabelle Auricoste et en collaboration avec Willem Jan Neutelings,Stéphane Beel et Xaveer De Geyter
Aménagement des rives de l’Adour à Dax en association avec Isabelle Auricoste et en collaboration avec Jean Nouvel
Jardin de l’hôtel des Thermes à Dax en association avec Isabelle Auricoste et en collaboration avec Jean Nouvel

 ?Gilles CLÉMENT - Jardin de la Vallée, Crozant, depuis 1977

Gilles CLÉMENT
« La graine fait le paysage. Elle le fait avec son temps et sa décision à elle. Le paysage est donc très partiellement celui que le paysagiste a conçu, mais très largement celui que la nature a pu élaborer. Dans ces conditions, la position du jardinier est fondamentale. Il connaît les plantes et sait interpréter les inventions de la nature. Il ne se comporte pas en désherbeur, mais sait opérer des choix sur ce qu’il enlève : il fait du jardinage par soustraction. Or, on ne donne pas au jardinier la possibilité d’avoir un point de vue sur le paysage. On continue de faire des plans de gestion. C’est idiot : on ne peut pas programmer la vie. »
Gilles Clément, jardinier, paysagiste et écrivain / juillet 2017

Jardin de la Vallée, Crozant, depuis 1977 © Marc Deneyer

La berce du Caucase a une échelle extraor¬dinaire, plus grande qu’une herbe ou qu’un être humain. Par sa démesure, elle construit des espaces éphémères, entre le printemps et le début de l’été. Elle a la propriété d’atti¬rer de nombreux insectes et notamment des papillons au moment où elle est en fleurs. Elle incarne l’idée du jardin en mouvement, défendue par Gilles Clément, désignant le déplacement spectaculaire des espèces her¬bacées à cycle court qui disparaissent sitôt leurs graines formées, comme la Valériane officinale. Celles-ci réapparaissent alors à la faveur des accidents du terrain, là où les graines, disséminées par le vent, les ani¬maux et les humains, parviennent à germer. Cette dynamique met le jardinier face à un choix à opérer selon l’endroit où la plante a bougé : doit-il la garder ou l’enlever ? Ces deux vidéos réalisées par Gilles Clément dans son jardin expérimental de la Vallée, situé dans la Creuse, le présentent dans son quotidien de jardinier. Dans un souci de régulation de cette population envahissante, il coupe ici de grandes berces dont les graines ne sont pas matures. Celles-ci vont avoir curieusement tendance à rester sur place et à se transformer en vivaces.

 ?La Compagnie du Paysage* - Parc du Ray, Nice, livraison : 2019

La Compagnie du Paysage
"Fortement anthropisé par de grands équipements, dont le mythique stade du Ray, le site a longtemps été perçu comme une enclave minérale dans les quartiers Nord de Nice. La démarche de projet a consisté à révéler les qualités du socle disparu pour bâtir un projet en symbiose avec son environnement."
Nathalie Melin, Architecte paysagiste et urbaniste, La Compagnie du Paysage

Parc du Ray, Nice, livraison : 2019 © Maison Édouard François/Metrochrome

Le quartier du Ray est l’objet d’un vaste projet visant à en faire un véritable pôle de centralité au pied des collines Nord de Nice. L’enjeu est à la fois de poursuivre l’écriture interrompue d’un front urbain et d’inventer une mutation majeure liée à la démolition d’un stade mythique, à l’interface entre des quartiers denses d’habitations collectives et d’autres de l’ordre de la cité-jardin, le tout dans un grand paysage étiré entre mer et collines.
La résolution de cette complexité a la particularité de se faire autour de la création d’un parc qui devient le cadre programmatique de la poursuite de la ville, en affirmant ainsi que l’hyper-densification n’est pas une fatalité de l’urbanisme.
Une approche géographique exalte la topographie marquée du site pour créer une pièce de paysage faisant cette couture souhaitée avec les quartiers existants comme avec les piémonts verdoyants des collines voisines.
L’histoire du site réapparaît à travers la mise en scène d’un ruban d’eau comme allégorie de l’étymologie du nom du quartier (évoquant un cours d’eau, aujourd’hui disparu), qui participe activement à l’animation et au rafraichissement du parc, tout autant qu’à travers l’organisation d’une "grande pelouse" comme élément de mémoire du stade disparu.
Au bout du compte, le parc donne réellement le "la" de la morphologie urbaine, l’architecture des nouvelles constructions jouant du mimétisme végétal pour brouiller la limite entre le bâti et le paysage. Il propose également une programmation complémentaire d’activités récréatives attentives à répondre à un fort besoin de poursuite de vie de quartier et de pratiques sociales.

 ?Michel CORAJOUD - Miroir d’eau et quais de Bordeaux, 2009

Michel CORAJOUD

Miroir d’eau et quais de Bordeaux, 2009 © Vincent Monthiers

« Les choses, les lieux ne se donnent jamais comme des totalités irréductibles et, en ce cas, il est difficile de fractionner un paysage, car tout y est en expansion, tout flue et fusionne. L’espace est plein de ces débordements. »
Michel Corajoud, paysagiste / Juillet 2017

Lancé en 1999, le concours pour la requalifi¬cation des quais de la rive gauche – sous la conduite d’Alain Juppé, maire de Bordeaux, et remporté alors par Michel Corajoud – repose sur un programme aux directives très précises quant à la place donnée au tramway, à la transformation des voies en boulevard urbain et à la répartition des pla¬teaux. La grande part de réflexion menée par les maîtres d’oeuvre a consisté à planter les quais. Cette intention considérée par cer¬tains comme inconvenante a suscité nombre de débats. Pour Michel Corajoud, il fallait faire le deuil du port et aider les Bordelais à accepter sa mutation. Cette rupture revenait selon lui à devoir annoncer l’idée d’espace public. Les arbres ont été le vecteur pour véhiculer ce propos. Cette décision rejoint de surcroît une préoccupation majeure du paysagiste : comment réguler climatiquement ces quais alors que la ville le fait très bien à l’intérieur ? Pour aborder cette question de la « tempérance » des quais, il fallait apporter un élément qui n’y était pas, un élément qui devait régler les alternances d’ombres et de lumière, et aussi offrir de nouveaux plaisirs urbains aux Bordelais, aux gens de passage, aux touristes, en leur proposant des espaces accueillants. Il fallait aider à l’avènement d’un autre temps, permettre d’autres perceptions, d’autres usages, et intégrer les quais à la ville.

 ?Georges DESCOMBES - Renaturation de l’Aire du canton de Genève, 2015

Georges DESCOMBES
« Notre action sur le paysage intéresse la transformation des situations existantes. Dans ce déplacement réside la possibilité d’une mémoire, la spécificité d’un lieu. Notre attitude est née d’une réflexion sur la restauration des oeuvres d’art : un travail prudent, extrêmement précis, qui nécessite une connaissance parfaite du territoire de la toile dont on laisse les lacunes apparentes. Une intervention minimum, voire réversible, ne couvrant pas les précédentes. Nous cherchons à rapporter cette approche à notre travail sur le paysage. Nous intervenons par superposition, en donnant toujours la possibilité de comprendre le changement d’état entre une situation trouvée et une situation transformée. »
Georges Descombes, architecte et paysagiste / juillet 2017

Renaturation de l’Aire du canton de Genève, 2015 © Fabio Chironi

Le projet de renaturation de l’Aire remonte à un concours gagné par l’agence en 2000 en vue de la revitalisation de cette rivière du canton de Genève, canalisée entre la fin du XIXe siècle et les années 1940. Le projet repose sur le déplacement de la rivière hors de son canal afin qu’elle profite de beaucoup plus d’espace, et sur le maintien du canal existant pour en faire une promenade publique et un jardin. L’ancienne cavité devient ainsi l’indicateur du changement. Et afin que la rivière continue de ruisseler même quand l’eau se fait rare, l’équipe a structuré le lit du cours d’eau à partir d’une grille en losanges. Composée de creux, méandres et bosses, cette couche géométrique en relief produit ainsi les conditions d’une dynamique propice à l’accélération de l’Aire, suivant le principe de la percolation. Ces photos aériennes présentent les spectaculaires transformations de ce paysage dans le temps.

 ?Michel DESVIGNE - Parc aux Angéliques, Bordeaux, depuis 2005

Michel DESVIGNE
« Il est désormais acquis que le projet de paysage a la capacité de produire de la cohérence. Or, il est en réalité très difficile d’amener cette cohérence sur le terrain bien qu’elle soit souvent unanimement approuvée sur le dessin. Je vois deux raisons à cela. La première regarde l’existence d’une multitude de machines urbaines – établissements publics, Sem, institutions – qui peinent à s’accorder et génèrent immanquablement des espaces publics éclectiques bien qu’il y ait désir de cohésion. La seconde raison tient au désintérêt général vis-à-vis de l’épreuve du réel. Par-delà tout plan de masse, la cohérence ne peut exister que si les processus des projets sont rattachés à des actions physiques de transformation sur le terrain. »
Michel Desvigne, paysagiste / juillet 2017

Parc aux Angéliques, Bordeaux, depuis 2005 © Mairie de Bordeaux / Thomas Sanson

Ces trois dessins montrent les grands prin¬cipes de conception du Parc aux Angéliques, première tranche du très vaste parc de la rive droite de Bordeaux prévu par Michel Desvigne dans le cadre de la Charte des paysages de la ville. Réalisés à compte d’auteur, ces plans ont été montrés en 2005 lors d’une exposition collective au MoMA et lors de l’exposition monographique « Natures intermédiaires » à arc en rêve. Ils représentent le principe de gestion du temps défendu ici par l’agence. La libération progressive des parcelles entraîne leur plantation et leur développement suc¬cessifs. Cette intention de projet fabrique un paysage incrémentiel qui porte en lui l’his¬toire de sa fabrication. Le parc se compose de bosquets définissant des sortes de clairières qui seront autant de lieux publics. Les lignes d’arbres implantées irrégulièrement, mais selon des alignements perpendiculaires à la rive, fonctionnent comme les coulisses d’un décor : le long des promenades parallèles au fleuve, elles sont des silhouettes forestières dont la densité, la transparence et la porosité varient. Selon l’orientation des anciennes parcelles industrielles, ces « coulisses » orientent les vues et organisent les déplacements vers le fleuve avec fluidité, préfigurant l’ancrage géographique du futur quartier.

 ?Maison Édouard François* 304 logements sociaux et en accession, surfaces commerciales et équipement sportif, Nice, livraison : 2019

Maison Édouard François

304 logements sociaux et en accession, surfaces commerciales et équipement sportif, Nice, livraison : 2019 © Maison Édouard François/Metrochrome

"Les espaces libres sont les espaces non construits, publics ou privés, végétalisés ou minéraux. Les "espaces verts", et plus généralement le thème de la nature, sont une composante prédominante des espaces libres, recherchés comme respiration et comme inspiration. Ils ne seront jamais assez grands. Il nous faut non pas les agrandir XXL mais montrer qu’ils ont de la valeur. Ce n’est pas du tout la même chose."
Édouard François

La manière de penser les logements inscrits dans l’opération urbaine du Ray est indissociable de la réflexion menée par leurs architectes à l’échelle de l’îlot et du quartier, dans une interaction revendiquée avec le futur parc et le grand paysage.
Il y a d’abord un contexte : une topographie puissante, des pins hauts de cinquante mètres, des affleurements de roche blanche, mais surtout une politesse mutuelle des constructions environnantes, de taille juste et sans domination des unes sur les autres. Le choix est fait d’agir en pleine conscience de ces équilibres complexes.
Il y a aussi la présence du futur parc, substrat de ce nouveau morceau de ville, qui orchestre l’esprit et la physionomie des lieux avec, en corollaire, la conscience d’un nécessaire décalage : les architectures seront déjà là alors qu’il faudra encore plusieurs années au parc pour développer sa véritable matière, la vitesse de la nature n’étant pas celle du chantier. Comment alors poser déjà un récit, sans "rupture de charge" dans cet entre-deux ?
Le pari est pris que l’architecture fonctionnera comme une préfiguration de cette nature environnante annoncée, dont elle sera à la fois constitutive et complice. Pour cela, la limite entre le bâti et le végétal se brouille, le parc s’étend en hauteur en couvrant les façades de plantes grimpantes florifères et odorantes, et les toits, d’arbres formant la crête d’une topographie hybride. Plus encore, à la manière dont des lierres grimpants mêlés de ronces et de rudérales colonisent ces murs de campagne le long des routes, le parc rebondira de façade en façade afin de sortir de son cœur d’îlot pour venir s’étendre de manière rhizomatique jusqu’au front urbain, en contaminant la ville existante comme une surprise fertile.

 ?Cyrille MARLIN - Jardins des habitants du quartier de Yanaka, Tokyo, 2001-2003

Cyrille MARLIN
« Il n’y a pas de territoire, ni d’existant. Seule existe la précaution à prendre avec le réel. Cette précaution va de pair avec le fait d’habiter et de réduire son étrangeté. C’est un problème de paysagiste. Mon travail se rapproche de l’anthropologie. Je m’intéresse à ce qui fait lien entre les vivants, humains et non-humains. Cela implique de revenir à la source de la complexité, à quelque chose de fondamental. Parler de paysage n’est pas un acte léger. Je cherche à contribuer à ce que les habitants aient une prise sur leur environnement : rendre la conscience, collectivement, d’où vient l’eau qu’on boit.  »
Cyrille Marlin, paysagiste / Juillet 2017

Jardins des habitants du quartier de Yanaka, Tokyo, 2001-2003 © Cyrille Marlin

Dans de nombreux secteurs de Tokyo, les habitants font leur jardin dans la rue, au pied de leur immeuble. Le quartier de Yanaka à Tokyo est plus densément investi par ces micro-jardins que les autres, au point que, sur une distance d’un kilomètre, on ait l’impression d’un aménagement public. Le paysagiste Cyrille Marlin s’est installé durant trois ans à Yanaka pour observer et comprendre les processus de fabrication en cours, dégagés ici de toute compétence professionnelle. Cette expérience lui a permis de saisir la finesse des interactions sociales que ces jardins génèrent et de déceler que les habitants construisent ainsi une forme de perception commune du temps dans le quartier. Cette convergence relève de procé¬dures de jardinage. Les habitants ont adopté collectivement des dispositions et des limitations vis-à-vis de ce qu’il est possible de faire ou pas lorsqu’ils conçoivent leur jardin dans la rue. Certains jardins sont équipés de meubles qui occupent presque toute une emprise et peuvent ainsi se développer verticalement, d’autres peuvent être renouvelés en trois jours, déplaçables au gré du ramassage des poubelles ou encore peuplés de petits objets interchangés quotidiennement.

 ?Catherine MOSBACH - Jardin du Louvre Lens, 2014

Catherine MOSBACH

Jardin botanique de Bordeaux, 2007 (image distincte du projet présenté dans l’exposition) © Catherine Mosbach

«  En tant que paysagistes, nous avons l’énorme responsabilité de nourrir l’esprit critique et l’imaginaire du public par nos aménagements. Or, aujourd’hui, j’ai le sentiment que l’on focalise beaucoup trop d’attention et d’importance sur les datas, jusqu’à définir le dessin même des projets. Légitimée par la cause climatique, cette tendance dominante à l’objectivation du territoire me semble dangereuse, car elle relègue l’approche sensible, subjective et personnelle en arrière-plan. Je pense qu’il est fondamental de replacer une culture de l’interprétation au premier plan de toute pensée du paysage. »
Catherine Mosbach, paysagiste / juillet 2017

Une pièce sonore a été créée pour le chantier du jardin du Louvre Lens. Elle s’adressait alors aux ouvriers dans l’objectif de donner à réfléchir au respect et au maintien des arbres existants en lisière du site. Des messages étaient enregistrés en plusieurs langues et les ouvriers pouvaient eux aussi éditer des propos et contribuer à ce processus collectif. Cette installation n’a pas vu le jour et les arbres ont été blessés, puis arrachés. De portée universelle, elle permet ici de montrer que la prise en compte du vivant comme préalable fondamental conduit à dessiner et agir différemment. Elle invite le public dans la culture de la fabrication de nos liens aux mondes réels et imaginaires.

 ?Liliana MOTTA - La beauté insolite du mont Hubert, côte d’Opale, 2015 - Cheminements sur les terres polluées de Bataville, Moselle 2016 — Amphithéâtre de verdure, Île de Vassivière, 2017

Liliana MOTTA
«  La grande part de mes recherches en botanique porte sur des territoires non cultivés et délaissés : les friches industrielles. Ces sites mal considérés sont pourtant des terrains d’avenir, d’expérimentation et de pédagogie très précieux. Ils offrent les conditions de nouveaux gestes jardiniers. Au-delà des divertissements paysagers dont ils sont régulièrement le support, ces espaces peuvent accueillir des jardins écologiques propres à continuer l’histoire de l’art du jardin. L’enjeu est de taille. Les paysagistes doivent aujourd’hui prendre en charge et maîtriser par le dessin ces sols, habituellement soumis à des méthodes de gestion différenciée, trop vite reléguées aux services techniques de la ville. »
Liliana Motta, artiste-botaniste / juillet 2017

La beauté insolite du mont Hubert, côte d’Opale, 2015. Collection nationale de Polygonum © Liliana Motta

Cheminements sur les terres polluées de Bataville, Moselle 2016
Amphithéâtre de verdure, Île de Vassivière, 2017
Ces projets entrent dans le cadre du « laboratoire du dehors » développé par Liliana Motta : nouvelle philosophie de l’enseignement de la pratique jardinière et du projet de paysage. Dans le Nord-Pas-de-Calais, sur le mont Hubert impacté par les obus de la guerre, l’équipe de Liliana Motta dissémine une trentaine de ballons de différentes tailles sur la zone altérée. Par ce geste, elle appelle à une relecture du paysage. Si les bombardements ont laissé des cicatrices indélébiles, ils ont par ailleurs donné naissance à un nouvel écosystème et au développement de nouvelles espèces végétales très rares qui font l’objet d’une protection. Suite à une semaine de chantier paysager intensif mené par ce laboratoire à Bataville ? ancienne ville industrielle –, l’équipe est intervenue en résidence avec l’Université foraine, alors missionnée pour y préfigurer de nouveaux projets. Sur ce site pollué et dénué de promenade, un nouveau parcours est créé ? à travers des prairies, derrière une cantine, dans les bois, via les arrières de l’usine et vers le port ?, destiné à transformer le regard des habitants. Troisième expérience présentée, celle du Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière, où l’équipe de Liliana Motta y a présenté une oeuvre-protocole sur une lisière de zone boisée. En premier lieu, de jeunes arbres trop imposants ont été coupés, écartant le visiteur du périmètre d’une hêtraie. Par la suite, le houppier d’un hêtre remarquable est également éclairci en supprimant les branches de la petite couronne et en réduisant la longueur de ses branches qui faiblissent. Ce geste jardinier permet de rendre l’espace plus lumineux et d’ouvrir des percées sur le paysage du lac.

 ?Péna Paysages* - Promenade du Paillon, Nice, 2013

* projet spécifique à la présentation au Forum d’Urbanisme et d’Architecture
Péna Paysages

" Il faut réinventer le dehors.Nous avons cassé les bâtiments en béton pour reconstituer une entité paysagère ouverte sur les collines et la mer. L’objectif était de permettre des dialogues, de re-scénographier la ville grâce aux arbres, au vent qui, ensemble, impriment les façades des immeubles classiques. Mon métier est juste de remettre en relation affectueuse."
Michel PÉNA, Péna Paysages

Promenade du Paillon, Nice, 2013 © Ville de Nice

Lorsqu’à la fin de 2013 la Promenade du Paillon ouvrait au public, son concepteur Michel PÉNA appelait à la patience en invoquant déjà ce qu’il appelle "le temps des arbres".
Certes, la puissance du geste de suture urbaine était là. Un vaste espace public dégageait le regard là où, sur le lit d’un fleuve peu à peu couvert pour créer de la surface constructible, rare dans une ville au relief contraint, de grands équipements avaient érigé une muraille urbaine dans les faits comme dans les têtes. Partant du principe que le paysage est autant du vert que de l’air, cette nouvelle transparence réconciliait deux fronts urbains qui avaient oublié qu’ils se faisaient face dans un continuum historique entre ville baroque et ville classique.
Mais l’air n’est pas du vide. L’air aussi doit acquérir une consistance, une matière, et tout projet de jardin, tout projet de paysage, est une école du temps long, un appel à la patience, comme en un mélange de bon sens et de nécessaire politesse face à la nature.
Une des caractéristiques de ce jardin linéaire est d’aligner sur ses franges latérales, en miroir des deux fronts urbains à nouveau mis en dialogue, une série de milieux qui invoquent la tradition azuréenne du xixe siècle de l’acclimatation des espèces végétales. Des jardins dans le jardin y ont été composés à partir de spécimens du monde entier, qui ont en commun de prospérer dans des conditions similaires à celles du climat méditerranéen, chacun d’eux étant un ambassadeur d’une région du monde. Surtout, après cinq ans, ils ont désormais atteint une maturité, une présence physique qui leur permet de fonctionner pleinement comme des acteurs urbains. Là où précédemment des parkings à étages ou une gare routière bloquaient l’œil par leur minéralité de béton armé, des rideaux végétaux perméables à l’œil mettent au contraire aujourd’hui en scène le regard sur la ville.
Pour en arriver là, il aura fallu avoir la patience d’attendre "le temps des arbres", mais c’est bien en l’espèce une des vertus du paysage : nous rappeler que le plaisir des villes se cultive dans la durée. Sachons attendre.

 ?Bas SMETS - Autoroute A11 Bruges-Knokke, Belgique, 2017

Bas SMETS
« Que faire ? C’est la question fondamentale que nous nous posons à chaque projet. En tant que paysagistes, nous ne créons pas des objets, mais nous essayons de donner sens à l’existant. Le comprendre suppose une approche très méticuleuse à la fois objective, par le re-dessin cartographique de ce qui le constitue, mais également sensible et intuitive, par l’arpentage du terrain. Nous cherchons ainsi à déceler un « paysage exemplaire : le meilleur paysage caché dans la réalité. Alors seulement, nous pouvons savoir ce qu’il faut faire pour le compléter, le renforcer, le réorienter. Nous ne reproduisons donc jamais d’images, mais cherchons toujours à savoir comment nous glisser dans les valeurs des logiques en place.  »
Bas Smets, paysagiste / juillet 2017

Autoroute A11 Bruges-Knokke, Belgique, 2017 © Bureau Bas Smets

Livré en août 2017, l’aménagement de l’autoroute A11 qui relie Bruges et Knokke-Heist est le plus important projet d’infrastructure conduit en Belgique depuis plus de 20 ans. Et c’est la première fois qu’un paysagiste est imposé dans la composition des équipes. 5 000 arbres ont été plantés dont 1 000 ormes réintroduits dans ce territoire de polder. L’équipe de Bas Smet n’a pas cherché à camoufler l’autoroute, mais au contraire à la donner à lire comme une couche supplémentaire de ce paysage artificiel, pleinement assumé comme tel. Le film est un assemblage de séquences prises au moyen d’un drone suivant 3 points de vue : aérien, à vol d’oiseau et du point de vue de l’utilisateur. Cette attitude exploratoire montre que seule la combinaison d’une approche cartographique et d’une démarche de terrain conduit à la compréhension d’un territoire. Cette double échelle permet ici de comprendre comment le paysage est structuré et par quoi il est habité. Le montage est calé sur une musique de John Cage « In a Landscape ».

 ?TOPOTEK 1 - Superkilen, aménagement urbain, Copenhague, Danemark, 2012 (en collaboration avec BIG et Superflex)

TOPOTEK 1
« Notre approche du paysage est architecturale. Selon nous, un lieu doit être solide, lisible et visible. Nous tenons à ce que les gens comprennent que la « nature » est créée. Nous sommes opposés à ce mythe romantique ? toujours d’actualité ? du jardin anglais qui imite, brouille et illusionne. Nous préférons la référence au jardin baroque qui renvoie à une conception plus honnête de l’espace. Nous cherchons à créer des paysages hybrides qui traduisent notre contemporanéité. Nous pouvons pour cela travailler avec les matériaux qui nous entourent, comme l’acier inox poli, la peinture de sol ou le gazon synthétique. Notre objectif est de générer des surprises, de l’ambiguïté et de la confrontation dans un paysage, nécessairement artificiel. »

Superkilen, aménagement urbain, Copenhague, Danemark, 2012 (en collaboration avec BIG et Superflex) © Iwan Baan

Issu d’un travail collectif avec l’agence BIG, les artistes de Superflex et les architectes paysagistes de TOPOTEK 1, Superkilen est un parc urbain étendu sur un kilomètre de long et situé dans le quartier multiculturel de Nørrebro à Copenhague. La réponse de l’équipe pour la requalification de cet espace public a porté sur l’exacerbation de tous les conflits, sur les singularités et identités qu’il accueille, abordés comme une dynamique de projet. L’agence a impliqué la participation de la population très en amont pour notamment collecter des objets et des arbres à l’étran¬ger et les implantés dans le parc. Ce dernier est organisé en trois zones définies par des couleurs, évidemment pas neutres : une place rouge, un marché noir et un parc vert. Installés comme des Folies sur ce sol artificiel aux délimitations très marquées, une fontaine marocaine, un barbecue d’Argentine, un lam¬padaire de Kingston, des cèdres, palmiers et autres cerisiers fabriquent un paysage hybride fait de discontinuités et de chocs, et où rien ne « semble avoir toujours avoir été là ».

 ?Ville de Nice, service des Espaces verts* Jardins familiaux du Prieuré du Vieux Logis, Nice, 2015

Ville de Nice, service des Espaces verts
Le mouvement des jardins partagés s’inscrit dans [une] revendication d’action collective et solidaire prenant pour support le jardinage […] comme nouvel horizon démocratique et citoyen. [Et si] le jardin se prête au partage, c’est-à-dire à la rencontre entre des classes sociales, entre des générations et entre des cultures différentes, c’est parce qu’il met en jeu notre relation au vivant. Cette expérience est universelle."
Laurence BAUDELET, ethno-urbaniste, in "Le Partage au jardin – 11e Cahier du Conseil national des parcs et jardins", Paris, Ministère de la culture et de la communication, 2017

Jardins familiaux du Prieuré du Vieux Logis, Nice, 2015 © Ville de Nice

Raconter les jardins partagés de Nice, c’est prendre conscience de la micro-échelle du territoire et d’un patrimoine paysager qui vient se constituer dans les interstices urbains. Depuis plus de dix ans, une trentaine d’entre eux ont poussé aux quatre coins de la ville, qu’il s’agisse de jardins familiaux nés de démarches associatives de quartier ou de jardins pédagogiques (dont sont dotées 70% des écoles).
Parmi ceux-ci, le jardin du Prieuré du Vieux logis a été créé en 2015. À la fois familial et pédagogique, il a été aménagé par la collectivité en vue d’être géré par une structure associative. Des parcelles ont été terrassées, l’eau a été amenée, un espace de détente a été créé, le tout pour un usage partagé entre les riverains, les écoles et un foyer d’accueil médicalisé. De tels jardins partagés constituent de puissants vecteurs de construction participative, de solidarité, de respect, d’échange et de partage, au point même que certaines parcelles cultivées collectivement fournissent une épicerie sociale du quartier : de fait, on y travaille autant avec la nature qu’avec l’humain.
Cette démarche reflète la diversité et la pluralité de la notion de paysage, dans le cas présent en offrant d’autres possibilités de créer des lieux urbains, qui n’en sont pas moins des micro-projets de paysage à part entière qui, en transformant des délaissés en sources de vie, viennent compléter de manière pointilliste la trame verte du territoire.
À leur manière, car ces jardins de proximité représentent des interventions citoyennes qui qualifient l’espace public, nous ne sommes pas si loin de cette rue de Tokyo également documentée dans l’exposition.

Collection

La notion de paysage a fondamentalement évolué ces trente dernières années. Elle convoque de nouvelles étendues, suscite de nouveaux rapprochements. D’un espace ténu extérieur, à distance, le paysage incarne aujourd’hui une réalité collective appréhendée par l’homme, qui parle des manières d’habiter et de transformer le territoire. En questionnant l’idée même de limite et de liaison, il intéresse autant l’architecture, l’urbanisme que les espaces végétalisés. Et par ces occasions de superpositions et d’imbrications inédites, par les nouveaux usages suscités, le paysage semble aujourd’hui porter une part importante des enjeux de liberté de notre société.
Alors qu’en est-il des deux paysages que décrivait J. B. Jackson au début des années 1980, à savoir un paysage politique – produit par le pouvoir – et un paysage vernaculaire – fabriqué localement par les habitants ? Il semble qu’actuellement ces deux approches se mêlent, interagissent activement de manière synchrone ou alternative. Et très essentiellement, notre relation à la nature en est complètement changée.

Cette collection de regards amenés par cette exposition nous parle des nouvelles fonctions du paysage issues de ces interférences entre le politique et le vernaculaire. Elle raconte son rôle extensif. En ce début du XXe siècle, dans un contexte de mise en critique de la pensée de la ville et de l’espace public, sont fréquemment questionnées les ruptures et discontinuités engendrées au siècle passé. Les trous, les délaissés. En cela, le paysage peut fonctionner comme un tissu pour relier ce qui a été séparé et cassé, décousu et déconnecté. Il devient alors vecteur social.
En offrant d’autres manières de faire lieu, le paysage appréhende le regain du jeu dans notre société, en l’éveillant ou le révélant. Il recouvre une fonction libératrice et liante. Celle-ci ouvre sur de nouvelles expériences humaines et de nouvelles manifestations de soi.
Rapporté à l’idée d’espace public, le paysage permet de fabriquer une autre distance entre les personnes, de repousser certaines limites, d’encourager d’autres modes d’actions. Il favorise d’autres « techniques du corps », si chères à Marcel Mauss, en tant qu’élaboration de cultures et de contre-cultures, d’autres rapports au mouvement, au collectif et à l’appropriable.
Abordé avec l’architecture, le paysage est source de nouveaux contextes pour l’espace habité, de niveaux de conforts climatiques variés, de temporalités diversifiées. Dans l’espace urbain, il engage une relation d’immédiateté et de proximité aimable entre les habitants. Il détend et interconnecte. Il génère d’autres possibilités d’ancrage et de gestion, comme de nouvelles tactiques jardinières.

Au-delà des divergences que peut offrir cette collection d’expériences entre l’idée d’une nature que l’on pourrait construire et programmer – largement défendue par les architectes – et celle d’une nature qui élabore bien indépendamment et au-delà de l’homme, cet assemblage nous encourage à revenir à l’enseignement du vivant afin de réapprendre comment les choses tiennent et agissent ensemble. Il nous pousse finalement à nous questionner sur ce qui nous lie.
La grande multiplicité des points de vue défendus ici traduit combien le paysage est devenue une question autant politique, géographique qu’anthropologique. Il y a une relation certaine entre l’échec du projet moderne et la place occupée aujourd’hui par les questions de paysage. Construire un regard paysage sur le monde reviendrait donc à accepter de « revenir au terrestre », comme peut le prôner Bruno Latour, à intégrer qu’il n’y a plus d’infinitude du territoire et qu’il faut alors contribuer à fabriquer de nouvelles situations de nature.
Karine Dana, journaliste


Valérie Noriega