Les nouvelles mesures de la loi relative à la lutte contre la fraude et à l’évasion fiscale


Finance


20 novembre 2018

LuxLeaks (2014), SwissLeaks (2015), Panama Papers (2016), Paradise Papers (2017) et plus récemment les Dubai Papers et le CumEx (2018)…Autant de scandales fiscaux qui ont poussé la France à moderniser son système de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, afin de mieux détecter, appréhender et sanctionner ce type de comportement, notamment à l’égard des personnes morales.
C’est dans ce contexte que la nouvelle loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a été adoptée. Elle complète le dispositif antifraude mis en place par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et la loi organique du 6 décembre 2013 relative au procureur financier.

Patrice Grenier fondateur du cabinet Grenier Avocats vous propose un article pour bien comprendre ce que prévoit cette nouvelle loi antifraude.

La fin du « verrou de Bercy »

Parmi les mesures qui ont fait le plus réagir figure la fin du « verrou de Bercy ». Que cela signifie-t-il ? Il faut savoir que jusqu’à présent, seule l’administration fiscale avait la possibilité de déposer plainte pour fraude fiscale auprès du parquet et déclencher par conséquent les poursuites pénales (le procureur lui-même ou une partie civile ne pouvait pas le faire directement).
La fraude fiscale est en réalité prioritairement sanctionnée par l’administration fiscale, désireuse de récupérer les sommes qui lui ont été soustraites. Elle sanctionne les fraudeurs à lui verser le montant des droits éludés, majoré de pénalités administratives.
Dans les cas les plus graves, l’administration fiscale pouvait décider en parallèle de déposer plainte auprès du procureur de la République compétent, à la suite d’un avis conforme de la commission des infractions fiscales.
Le monopole du ministère chargé du budget pour déclencher les poursuites pénales ainsi que le manque de transparence des avis de la commission des infractions fiscales étaient très critiqués. C’est pourquoi, la nouvelle loi a partiellement supprimé ce que l’on appelait le « verrou de Bercy » (à noter que le projet de loi initial ne le prévoyait pas mais qu’un amendement a été proposé en ce sens et adopté).

Selon le nouvel article L228 du livre des procédures fiscales, l’administration fiscale a désormais l’obligation de dénoncer au procureur de la République les faits qu’elle aura examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle qui auront conduit à l’application, sur des droits dont le montant est supérieur à 100 000 €, à une majoration d’au moins 40%. En d’autres termes, les cas les plus graves devront maintenant automatiquement être transmis au parquet.

Une nouvelle police fiscale

La loi met en place un nouveau service au sein du ministère chargé du budget dans lequel seront affectés des officiers fiscaux judiciaires, placés sous la direction d’un magistrat de l’ordre judiciaire. Ces agents disposeront des mêmes pouvoirs que les officiers de polices judiciaires et disposeront de moyens de police très spécifiques (gardes à vue, filatures, écoutes téléphoniques, perquisitions…). L’étude d’impact du projet de loi prévoit la mise à disposition d’une trentaine d’agents opérationnels en 2020.
Cette mesure s’inscrit dans une logique de spécialisation des moyens humains et techniques pour lutter plus efficacement contre les crimes économiques dont les modalités de réalisation sont de plus en plus en complexes.
A cet égard, la loi Sapin II du 9 décembre 2016 a créé l’Agence française anticorruption (AFA), qui relève du ministère du budget et la justice, et compte une soixantaine d’agents, eux aussi placés sous l’autorité d’un magistrat de l’ordre de judiciaire.

Des sanctions plus exemplaires et dissuasives

Le législateur est intervenu pour renforcer les sanctions en matière de fraude fiscale. Son objectif : rendre les sanctions plus « exemplaires » et « dissuasives ». Pour ce faire, il entend premièrement privilégier le recours à la publicité des sanctions prononcées tant par le juge pénal que l’administration fiscale. L’idée ? Miser sur l’effet négatif que pourrait provoquer la publicité des sanctions sur l’image et la réputation des entreprises. Deuxièmement, il fixe un nouveau critère de détermination de l’amende : le montant de l’amende sera désormais directement lié au montant des droits éludés.
Vers une plus large publicité des sanctions en matière de fraude fiscale
La loi prévoit tout d’abord une nouvelle peine complémentaire obligatoire de publication pour fraude fiscale. La publicité des décisions rendue en matière de fraude fiscale, par voie d’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, existait à titre de peine complémentaire dont le prononcé était laissé à la libre appréciation du juge. L’étude d’impact souligne que le prononcé de cette peine complémentaire par les juridictions répressives reste limité puisque les condamnations définitives à une peine d’affichage et/ou diffusion ne sont prononcées en moyenne que dans 5% des affaires.

Dorénavant, le prononcé de cette peine complémentaire sera automatique. Toutefois, la loi prévoit la possibilité que, par une décision spécialement motivée, la juridiction peut décider de ne pas ordonner l’affichage de la décision prononcée et la diffusion de celle-ci, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.
La loi a également prévu une nouvelle sanction administrative complémentaire de publication. Jusqu’ici, les décisions de l’administration fiscale n’étaient pas rendues publiques. Les sanctions administratives prononcées à l’égard des personnes morale à raison d’une part, de manquements graves caractérisés par un montant de droits fraudés d’un minimum de 50 000 euros et d’autre part au recours à une manœuvre frauduleuse, pourront désormais faire l’objet d’une publication, sauf si ces manquements auront fait l’objet d’un dépôt de plainte pour fraude fiscale par l’administration. 
Cette décision de publication sera prise par l’administration après avis conforme et motivé d’une commission de publication des sanctions fiscales qui appréciera, au vu des manquements et des circonstances dans lesquels les faits de fraude ont été commis, si la publication est justifiée. La publication des sanctions fiscales sera effectuée sur le site internet de l’administration fiscale, pendant une durée qui ne pourra excéder un an.
Ces nouvelles sanctions de publicité ne sont pas sans rappeler la publication des conventions judiciaires d’intérêt public sur le site internet de l’Agence française anticorruption. Certaines ont d’ailleurs déjà pu faire parler d’elles, notamment celles conclues par les sociétés HSBC et la Société générale.

Un nouveau critère de détermination de l’amende pour des faits de fraude fiscale

En parallèle, le législateur a établi un nouveau critère pour déterminer le montant de l’amende applicable aux poursuites pénales pour fraude fiscale. Avant cette loi, l’article 1741 du code général des impôts prévoyait une peine d’emprisonnement de cinq ans et 500 000 € d’amende pour une personne physique (7 ans et 3 000 000 € en cas de circonstance aggravante). Les personnes morales risquaient quant à elle, en application de l’article 131-38 du code pénal, une amende de 2.500.000 ou 15.000.000 €. Le montant de l’amende n’était donc pas calculé en proportion des revenus tirés de la fraude commise, qui pouvaient s’avérer en réalité bien supérieurs.
Le nouvel article 1741 du code général des impôts prévoit que le montant de l’amende puisse être porté au double du produit tiré de l’infraction, lorsque ce montant est supérieur aux plafonds fixés par la loi. Ce critère de détermination de l’amende existe déjà pour certaines infractions financières notamment pour la corruption active d’agent public.

Elargissement du champ d’application de la convention judiciaire d’intérêt public à la fraude fiscale

La nouvelle loi ouvre la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité prévue par les articles 495-7 et suivants du code de procédure pénale aux personnes physiques et morales poursuivies pour des faits de fraude fiscale, qui en étaient auparavant exclues. Les personnes morales pourront plus particulièrement conclure une convention judiciaire d’intérêt public avec le procureur de la République.

Pour rappel, la convention judiciaire d’intérêt public a été instaurée par la loi Sapin II. L’article 41-1-2 du Code de procédure pénale prévoit que le procureur peut proposer à une personne morale mise en cause pour des faits de corruption, et maintenant de fraude fiscale, de conclure avec lui une convention judiciaire d’intérêt public, plutôt que d’être poursuivie pénalement par la voie classique. Cette convention impose à la personne morale de verser une amende d’intérêt public au trésor public dont le montant ne peut être supérieur à 30% du chiffre d’affaires moyen calculé sur les trois dernières années. Si la personne morale donne son accord, la convention doit ensuite être homologuée par le Président du tribunal de grande instance compétent. L’ordonnance de validation n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’est pas inscrite au casier judiciaire de la personne morale. Cependant, cette « transaction pénale » n’est pas secrète. L’audience de validation est publique et la convention fait l’objet d’un communiqué de presse du procureur de la République. Elle est également publiée sur le site internet de l’AFA et donc accessible à tous.
L’élargissement du champ d’application de la convention judiciaire d’intérêt public aux faits de fraude fiscale devrait réduire considérablement les délais de procédure et permettre à l’administration fiscale de recouvrir plus rapidement les droits éludés.

Par ailleurs, il est possible que cette possibilité de recourir à la convention judiciaire d’intérêt public incite les entreprises à dénoncer les faits de fraude fiscale commis au sein de leurs services. En effet, pour la fixation de l’amende, le procureur prend en considération le comportement de la personne morale poursuivie face aux faits qui lui sont reprochés. Ainsi, une personne morale qui aura dénoncé elle-même les faits répréhensibles, qui aura coopéré avec les autorités ou qui aura mis en place des mesures pour éviter que de tels faits se reproduisent, pourra voir son amende amoindri.


Valérie Noriega