La fraude à la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) et ses conséquences


Paroles d’expert


28 novembre 2018

Selon le chef d’entreprise Denys Brunel, la taxe sur la valeur ajoutée constitue l’une des plus grandes "innovations fiscales du XXe siècle".
La TVA fait partie des impôts qui font l’objet d’une fraude massive au regard de sa complexité d’application et en raison de la facilité avec laquelle cet impôt est susceptible de montages frauduleux. Il s’agit d’une taxe simple dans son concept, mais difficile à mettre en place notamment au niveau européen.

Par Maître Julien Alquier, Avocat en droit fiscal au barreau de Nice, Chargé d’enseignement à l’Université Nice-Sophia Antipolis, Doctorant au sein du laboratoire CERDP (E.A n°120)

La France, comme les états membres de l’Union européenne, ne peut pas se permettre de laisser prospérer ce type de fraude puisque la TVA représente tout simplement la première ressource financière de l’État français.

Un impôt pas si simple

La TVA est un impôt indirect général instauré en 1954 inclus dans les prix de vente de biens ou de prestations de services. Cet impôt est payé par le consommateur final et une personne redevable assujettie à la TVA, physique ou morale, va d’une part, collecter la TVA en majorant ses prix hors-taxe du taux légal de la TVA. D’autre part, le redevable devra reverser à l’État la différence entre :
- le total de la TVA collectée sur ses opérations réalisées auprès des consommateurs finaux ;
- et le total de la TVA déductible sur ses charges, autrement dit, la TVA qu’il a lui-même payée pour exercer son activité.

Les taux de TVA diffèrent au niveau européen mais également en fonction de l’activité réalisée. Le reversement de la TVA s’effectue à l’aide de déclarations dont la forme et le rythme de dépôt dépendent du régime d’imposition et peut faire l’objet d’exonérations. Pour pallier les obligations parfois difficilement applicables de recouvrement de la TVA, le législateur a mis en place le principe de l’autoliquidation qui consiste à transférer du fournisseur vers le client l’obligation d’acquitter la TVA. Malgré cela, et en raison de ces nombreuses variables d’application, plusieurs fraudes se sont développées.

Des fraudes multiples

Il existe de nombreuses façons de réaliser une fraude à la TVA, volontaire ou pas. En effet, l’application du bon taux de TVA peut s’avérer complexe et il est fréquent de faire le choix d’un taux erroné sans pour autant avoir voulu frauder. À titre d’exemple de difficultés liées aux choix du taux de TVA, il convient de relever dans le cadre d’une activité de transport de voyageurs (taxi, VTC, etc.) d’appliquer un taux de TVA différent si le transport est réalisé sur un trajet prévu à l’avance ou si le véhicule est mis à la disposition du client.
Les fraudes volontaires sont aussi très courantes avec les transactions non déclarées dites "parallèles". Il s’agit simplement de ne pas enregistrer une transaction dans le cas où les clients ne sollicitent pas de justificatifs de paiement et ces fraudes peuvent être effectuées avec l’aide de logiciels permettant d’effacer certaines opérations.
Une autre fraude classique que l’on retrouve en matière de TVA est l’application d’un montant toutes taxes comprises pour le consommateur sans que le redevable ne verse la TVA collectée à l’État. Le principe d’autoliquidation évoqué précédemment a d’ailleurs amené cette fraude sous de nouvelles formes. En voulant simplifier les démarches, notamment avec la disparition des obligations déclaratives de TVA, il est devenu beaucoup plus difficile de tracer les opérations assujetties et par conséquent leur recouvrement.
Les fraudeurs ont donc mis en place des montages avec des opérateurs dits "défaillants" qui disparaissent sans avoir acquitté la TVA dont ils sont redevables. Ainsi, des entreprises importent des produits, parfois fictifs, supposés être acheminés vers l’opérateur défaillant dans un autre État-membre sans avoir à payer la TVA puisqu’elle est censée être payée par ledit opérateur défaillant. Les marchandises, quand elles existent réellement, sont la plupart du temps revendues au marché noir. Ce dernier type de fraude, réalisé à grande échelle et sur plusieurs pays, est appelée la fraude carrousel.
Elle a d’ailleurs concerné les plus grandes affaires médiatisées en matière de TVA avec notamment l’affaire des échanges de droits d’émission de gaz à effet de serre. De fait, le législateur et la jurisprudence tentent tout pour sanctionner ce type de fraude.

La mise en place de fraudes à la TVA peut s’avérer simple dans le cas d’un choix de taux erroné, mais peut aussi être la conséquence d’un montage complexe d’escroquerie et blanchiment d’argent en bande organisée.

Des sanctions collectives

Si les principaux acteurs d’un tel montage encourent des sanctions pénales pouvant aller jusqu’à plusieurs années d’emprisonnement, amendes ainsi que dommages et intérêt d’un montant égal à la TVA fraudée, il n’en demeure pas moins que certains protagonistes collatéraux ne sont pas exonérés de toute responsabilité. En effet, une jurisprudence européenne constante sanctionne les entreprises "lorsqu’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que celui-ci savait ou aurait dû savoir que, par l’opération invoquée pour fonder ce droit, il participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise dans le cadre d’une chaîne de livraisons ou de prestations" (CJUE, 1re ch., 18/12/2014, aff. C-131/13, C-163/13 et C-164/13, Staatssecretaris), et ce, même si elles ont fait l’objet d’une relaxe sur le plan pénal. Autrement dit, une entreprise qui se trouverait impliquée, volontairement ou non, dans un montage frauduleux à la TVA, peut se voir sanctionner s’il est démontré qu’elle a dû ou aurait dû savoir qu’elle faisait partie d’un tel montage. Très souvent, les entreprises citées dans une fraude carrousel font l’objet de contrôles fiscaux menant à des rappels de TVA assortis de pénalités de 40% pour manquement délibéré même s’il ne s’agissait que de négligence.


Maître Julien ALQUIER