Les carrosses sont cabossés


Economie


6 décembre 2018

"Ma très chère fille,
Vociférant, affublés de tuniques d’or les faisant ressembler aux fleurs des prés, quelques manants ma foi bien endiablés nous bloquèrent, l’autre soir, sur la route menant au château. Ce fut épouvantable : des carrosses renversés et brûlés, des gardes de sa majesté rudoyés, des gueux pleurant dans la fumée. Partout des cris, des pleurs, de la colère et même du sang !
Vous vous doutez bien, ma fille, que nous fûmes épouvantés d’un tel spectacle. Comment nos gens, d’habitude si prestes à vouloir travailler, avaient-il pu s’émotionner au point de tout jeter aux orties ? Ils s’en prirent même au Puy-en-Velay, dans le fief de la famille de Wauquiez, à l’hôtel particulier du prévôt !
Notre crainte d’un plus grand péril fut pire quand nous apprîmes que le prince, en lequel nous mettons nos espoirs, était parti en grand équipage par-delà les mers, laissant à sa cour à Paris le soin de contenir la colère de ces gens de rien, qui n’ont pas même une montre au fond du gousset.
En honnêtes gens, nous pensions que quelques mots apaisants viendraient embaumer les plaies béantes. Que nenni ! Trop orgueilleux pour s’abaisser à parler aux manants, trop puissant pour montrer un peu de compassion, il ne trouva rien de mieux qu’à rester muet et à venir se faire siffler sur les beaux boulevards.
Ah, nos précédents souverains - Jacques le Sympathique, Nicolas-le-Nerveux et même François-l’Empêché-de-se-représenter auraient agi bien plus promptement. Eux, au moins, savaient caresser le faquin dans le sens du poil. Les gens les critiquaient, mais les voyaient, les touchaient, les aimaient. Notre jeune monarque, lui, reste à distance des faubourgs et des campagnes. Il dit accepter dialoguer du prix de la stère de bois et de l’impôt sur les fenêtres, mais à la condition que rien ne change, que l’on fasse selon sa volonté.
Diantre, c’est que l’on peut craindre que Gavroche et Ténardier, ces ladres, ne continuent à jeter le désordre dans nos rues. Cette froideur hautaine du prince les révulse tout autant que les taxes. Les bannis de la cour - Jean-Luc le Rubicon et Marine Grande Gueule - se réjouissent in petto de cette chienlit.
La garde est autant à bout de souffle que de fumigènes. Doux seigneur, faites que le marquis de Castaner - vous eussiez dû voir son air contrit ce dimanche, trottinant tout penaud derrière le roi au milieu des
décombres - ne fasse point intervenir la soldatesque.
Je plains de tout cœur le grand chambellan Philippe, qui tente de
recoller la porcelaine brisée.

À part cela, tout va très bien, Madame la marquise, ma fille aimée.

Nous autres, ne prendrons plus notre carrosse, jusqu’à nouvel ordre, car des
vilains bloquent les réserves de fourrage de nos chevaux. Les fêtes s’annoncent bien tristes cette année. Voilà de nos nouvelles. J’entends dire que la révolte gronde partout dans le royaume, même chez les alpinistes premier de cordée. Noël sera aux tisons. L’on espère qu’ils ne serviront pas à mettre le feu ni aux carrosses, ni aux châteaux."

Pcc Jean-Michel CHEVALIER.
(Lettre de Mme de S. à sa fille habitant à Grignan).


Jean-Michel Chevalier