Rangé des voitures sur tatami, à l’insu de son plein gré


Economie


27 décembre 2018

Qui aurait pensé il y a encore trois petites semaines que l’inoxydable Carlos Ghosn se retrouverait un beau (ou plutôt vilain) jour derrière les barreaux d’une prison ?
Personne, évidement. En tous cas pas moi, tant ce grand patron a marqué de son empreinte la vie industrielle de Renault et Nissan. Au point de doubler à toute vitesse VW, empêtré dans le scandale des moteurs truqués.
Plus que ses succès, indéniables, c’est sa vue et son flair qui ont marqué les esprits. En croquant au bon moment le constructeur nippon qui traversait une mauvaise passe, il a réussi une alliance industrielle qui a donné un second souffle à la marque au losange, elle même pas très vaillante à l’époque, encerclée par une concurrence redoutable. Ensuite, avec Dacia, il a inventé le concept de la voiture "basique", pas chère et fiable, construite sur une base de pièces déjà amorties sur des modèles "anciens". Un succès retentissant, qui n’est pas pour rien dans les bons résultats du groupe Renault.Dans cette aventure, il ne s’est pas fait que des amis. Si, en Europe, il ne se trouvait personne - pas même l’État français toujours actionnaire - pour le remettre en cause, son autoritarisme a sans doute blessé l’orgueil au Japon où il est passé progressivement du statut de dieu vivant pour avoir sauvé Nissan à celui de monstre froid et étranger.
Les couteaux se sont préparés dans l’ombre. Ils ont frappé à un moment inattendu. Sur le talon d’Achille de Carlos Ghosn, l’argent, qu’il semble apprécier sans modération.
A t-il tellement optimisé qu’il aurait franchi le Rubicon fiscal ? A t-il fait couvrir ses pertes boursicotières par son entreprise comme on l’accuse ? L’enquête ouverte par le parquet de Tokyo le dira, peut-être.
Son salaire et ses primes mirobolants, ses relations aussi puissantes qu’un V12 de compétition, ne l’ont pas mis à l’abri des poursuites. Contrairement à DSK, il lui a quand même été épargné d’être montré aux caméras comme un ours de foire, les menottes aux poignets.
Mais depuis que les policiers japonais sont venus le chercher dans son jet privé, Carlos Ghosn aura été traité durement. Au pain sec et à l’eau, tatami plutôt que Dunlopillo.

C’est, parait-il, la procédure habituelle à Tokyo, pour faire craquer les détenus en préventive. Ce qui va jusqu’au supplice... chinois des mises en examens à répétition comme une mitraillette, prolongeant sine die le séjour derrière les barreaux avant le jugement. Plus dure en est la sortie de route du grand patron déchu.
Pour le groupe Renault-Nissan, comme pour VW, tout est à reconstruire.


Jean-Michel Chevalier