Assemblée : quand ça ne veut pas, il reste toujours le 49.3...


Décryptage


27 février 2020

Utilisé plus de 90 fois depuis le début de la Vème République, l’article 49, alinéa 3, permet d’adopter une loi sans passer par un vote du parlement. Rusé mais risqué...

L’arme absolue

Alors que les débats sur la réforme des retraites sont tendus à l’Assemblée, reflétant le climat général de l’opinion, que le gouvernement ne veut rien céder
et qu’une partie de l’opposition joue l’obstruction en déposant 42 000 (!) amendements qui ne sont souvent que des copiés-collés, se profile l’arme absolue qui permet à un texte de passer en force : l’article 49 alinéa 3.

Des scores élevés...

Déni de démocratie, pragmatisme ? À chacun son opinion... La gauche qui, dans l’opposition, n’avait pas de mots assez durs pour dénoncer le 49.3, l’a utilisé plus souvent qu’à son tour : Pierre Mauroy 7 fois, Laurent Fabius 4 fois, Michel Rocard 27 fois (record du monde), Édith Cresson 7 fois, Pierre Beregovoy 2 fois et Manuel Valls 6 fois. Finalement, la droite a été plus "économe" : Michel Debré 4 fois, Georges Pompidou 6 fois, Raymond Barre et Jacques Chirac 8 fois, Édouard Balladur 1 fois, Alain Juppé 2 fois et Dominique de Villepin 1 fois.

L’arme fatale ?

Recourir au 49.3 est évidemment un signe de faiblesse politique.
C’est le cas lorsque des députés de la majorité font défaut, que la situation devient inextricable.
Plutôt que de reculer, le pouvoir impose le texte sans débats mais ce qui ne va pas sans dégâts politiques, la confiance étant rompue quand le gouvernement décide l’Assemblée et le Sénat de délibérer et de voter librement. En contrepartie, le gouvernement engage sa "responsabilité’, mais c’est une procédure de façade puisqu’il dispose - en principe - de la majorité.

Au rapport

L’article 49.3 fait partie du Titre V de la Constitution de 1958. Ce chapitre, (de l’article 34 au 51), met en place des dispositions censées réguler les "rapports entre le Parlement et le gouvernement". Le 49.3 permet au Premier ministre d’engager la responsabilité du gouvernement - une fois par session parlementaire - devant l’Assemblée sur le vote d’un projet de loi. Le texte est alors considéré comme adopté, sauf si une motion de censure est votée dans les 24 heures.

Héritage de la IVème

Le 49.3 a été imaginé par Michel Debré, père de l’actuelle Constitution, pour permettre l’adoption "d’un texte indispensable". Une disposition de 1958, alors que planait le souvenir des errances de la IVème République qui peinait à prendre des décisions.

Vrai contre-pouvoir ?

Depuis 62 ans, jamais une motion de censure après un 49.3 n’aura réussi à renverser un gouvernement, les conditions étant difficiles à réunir (notamment le vote de 289 députés). Ce qui autorise à "philosopher" sur la portée réelle du contre-pouvoir accordé aux élus.

Stop ou encore...

Dans l’affaire de la réforme des retraites, le gouvernement d’Édouard Philippe
n’a pas (encore ?) dit ouvertement s’il aura recours au 49.3 pour faire adopter ce texte comme prévu avant les municipales. Mais en coulisses, - info ou intox - les députés jouent à se faire peur. Il faut dire qu’à raison de deux minutes chacun, l’examen des 42 000 amendements déposés essentiellement par la France Insoumise représenterait 150 journées complètes de travail. Est-ce bien raisonnable, ou un exemple par l’absurde de la politique politicienne pourtant dénoncée avec force par les amis de Jean-Luc Mélenchon ?

Suppression ?

La petite histoire de la Vème République retiendra que Manuel Valls, qui a
utilisé six fois le 49.3 en sa qualité de chef de gouvernement, s’est prononcé pour la suppression de cet article lors de la dernière campagne présidentielle.
De même que François Hollande, qui voyait dans cette disposition "une violence", mais qui a pourtant laissé faire son chef de gouvernement...
En politique, la théorie pleine de bons sentiments, et la pratique "réaliste" du pouvoir, font souvent deux...


Jean-Michel Chevalier