Révision des évaluations foncières : flambée de la fiscalité locale en vue


Paroles d’expert


12 mars 2020

Jusqu’au 1er janvier 2017, la valeur locative cadastrale qui sert de base imposable de la taxe foncière des locaux professionnels résultait de la dernière révision des évaluations foncières de 1974. Autrement dit, cette base se fondait sur des baux courant au 1er janvier 1970 et dont les évaluations n’ont été actualisées qu’une fois en 1980. Seules des revalorisations forfaitaires annuelles étaient effectuées par l’administration fiscale. Depuis le 1er janvier 2017, la révision des valeurs locatives des locaux commerciaux (RVLLP) est entrée en vigueur. Établie par la loi de finances rectificative du 29 décembre 2010, mais reportée par les gouvernements successifs, la RVLLP promet, en raison de la complexité de sa mise en œuvre ainsi que l’explosion des montants de la fiscalité, un contentieux d’envergure au regard de critères qui n’ont pas été modifiés depuis les années 70 et une mise à jour après un demi-siècle.

Par Me Julien Alquier, Avocat en droit fiscal au barreau de Nice, Chargé d’enseignement à l’Université Nice Côte d’Azur, Doctorant au sein du laboratoire CERDP (E.A n°120)

Un contentieux préexistant

Depuis 2017, la valeur locative des locaux professionnels est calculée selon les principes définis désormais par le code général des impôts (CGI). La première année de taxation sur la base des valeurs locatives révisées a eu lieu en 2017 en matière de taxe foncière, de taxe d’enlèvement des ordures ménagères, de cotisation foncière des entreprises et en 2018 en matière de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Cette revalorisation s’applique aux locaux professionnels, commerciaux et biens divers (article 1498 du CGI), aux locaux affectés à une activité professionnelle non commerciale (article 92 du CGI) et aux locaux affectés à un usage professionnel spécialement aménagés pour l’exercice d’une activité particulière (article 1497 du CGI). Sont donc exclus de la RVLLP les locaux industriels évalués selon la méthode comptable (article 1499 du CGI) et les locaux professionnels évalués selon la méthode du barème (article 1501 du CGI). Mais une première problématique apparait sur la notion d’établissement industriel.
Ce qui peut paraître comme un local industriel pour le contribuable, ne l’est pas forcément pour l’administration fiscale qui fonde son analyse selon les moyens techniques et l’activité réalisée.
Les situations sont d’autant plus litigieuses pour les activités mixtes et s’il s’agit d’artisans ou de commerçants. La loi de finances pour 2019 prévoit de définir un établissement industriel avec notamment la création d’un seuil de 500.000 € en dessous duquel la qualification industrielle est écartée. Cela facilitera l’identification de ces établissements, encadrera l’impact d’un changement de méthode d’évaluation et sécurisera la situation des contribuables face aux risques de contrôle. Chaque local professionnel entrant dans le champ de la RVLLP dispose donc d’une nouvelle valeur locative révisée en fonction de nombreux paramètres.

Une codification nébuleuse

Des paramètres d’évaluation départementaux, avec la délimitation des secteurs d’évaluation, les tarifs par catégorie de locaux et les coefficients de localisation, ont été déterminés par des commissions départementales. Cette nouvelle valeur locative est égale au produit de sa surface pondérée par un tarif au mètre carré, éventuellement ajusté d’un coefficient de localisation. Selon le CGI portant mise à jour annuelle des tarifs et des valeurs locatives, ces tarifs sont actualisés chaque année en vue de l’établissement des impositions de l’année suivante, en appliquant des coefficients d’évolution aux derniers tarifs publiés. Autrement dit, la nouvelle évaluation foncière repose sur l’élaboration de grilles tarifaires par catégorie d’immeuble et secteur géographique représentant un marché locatif, révisées annuellement par l’administration fiscale à partir des nouvelles déclarations Decloyer imposant aux entreprises de déclarer chaque année le montant des loyers versés au titre des immeubles qu’elles exploitent au 1er janvier. Même si de multiples consultations et avis des commissions locales composées de représentants de maires élus, d’EPCI, de contribuables, de représentants de l’administration fiscale ou encore de Préfets se sont prononcés, il n’en demeure pas moins que le système d’évaluation reste très complexe.
Les valeurs locatives des locaux professionnels sont dorénavant assises sur des valeurs calculées à partir de loyers réels constatés.
Cependant, cela n’est pas si simple car il existe 38 catégories de classement des différents types de locaux en fonction de la nature de l’activité principale exercée dans le local comme par exemple les bureaux, les magasins, les dépôts, les hôtels, les établissements de spectacles ou de sports, etc. De plus, le bien doit être rapporté à un secteur d’évaluation représentant un marché locatif homogène au sein de chaque département pour lesquels des tarifs au mètre carré ont été déterminés dans chaque secteur d’évaluation et dans chaque catégorie de locaux au sein d’un département. Mais cela ne s’arrête pas là puisque des coefficients de localisation ont pu être déterminés au sein de secteurs d’évaluation afin de tenir compte de la situation particulière d’une parcelle d’assise.
Mais cela ne semble pas être sans faille puisque des augmentations démesurées de montants d’imposition ont déjà eu lieu. Par exemple, les locaux commerciaux, exploités par de petites entreprises se trouvant encerclées par des multinationales, comme cela est souvent le cas dans des zones commerciales, se retrouvent avec des impôts locaux multipliés par 5 ou 6, voire plus.
Des contestations sont alors possibles pour le contribuable.

Bientôt les locaux d’habitation

La RVLLP ne concerne pas les locaux d’habitation. Cependant, le projet de loi de finances (PLF) pour 2020 a acté la révision générale des valeurs cadastrales des locaux d’habitation. À partir du 1er janvier 2026, et selon le projet de loi, les impôts locaux seront ainsi calculés "en fonction de l’état du marché locatif" et des "loyers moyens constatés" dans chaque secteur d’évaluation à la date de référence du 1er janvier 2023. "Les résultats de la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation sont pris en compte à compter de l’établissement des bases au titre de l’année 2026", précise l’article 146 du PLF.
Les contribuables, propriétaires de logements anciens dans des secteurs à loyers élevés devraient voir également leurs impôts locaux croître considérablement.


Maître Julien ALQUIER