BTP : Laure Carladous, "le gouvernement aurait dû avoir le courage de nous dire de nous arrêter"


Economie


26 mars 2020

En cette période si particulière, la présidente de la fédération du BTP des Alpes-Maritimes, Laure Carladous, dresse un état des lieux de la conjoncture dans le secteur du bâtiment.

Quel est votre ressenti sur la situation ?

La priorité doit être donnée aux salariés. Nous devons veiller à ce qu’ils soient en sécurité en écoutant bien ce que nous dit le gouvernement à savoir de rester confinés pour ce qui concerne les tâches non-essentielles à l’activité de notre pays. Nous n’avons pas le droit de mettre en danger nos salariés dans un premier temps parce qu’aujourd’hui on ne sait pas mettre en place sur la plupart des chantiers, où on peut être nombreux en co-activité avec d’autres entreprises, les mesures de sécurité nécessaire. S’ils sont exposés à un risque et qu’ils rentrent chez eux, côtoient leurs familles, vont faire des courses… ils peuvent propager le virus. Donc nous pensons qu’il faut être raisonnable et que d’un point de vue humain, on ne peut pas exposer nos salariés.

Que manque-t-il aujourd’hui au secteur du BTP pour reprendre le chemin du travail ?

D’un point de vue technique, il n’y a plus les organes essentiels au bon déroulement des chantiers. Lorsqu’on travaille normalement on a différents bureaux de contrôle qui vérifient tout un tas de point sur les chantiers. Aujourd’hui ils sont à l’arrêt aussi donc nous n’avons pas la capacité de réaliser nos chantiers de manière correcte. C’est la raison pour laquelle je pense qu’il faut aussi être raisonnable.

Est-ce que vous attendiez des annonces de la part du gouvernement ?

Ils auraient dû avoir le courage de nous dire de nous arrêter de travailler parce que là, ce sont les chefs d’entreprise qui doivent le faire. Demain, on risque d’être en difficulté si par exemple un maître d’ouvrage nous dit qu’on s’est arrêté de travailler spontanément ou alors peut-être qu’on nous dira, vous n’avez pas le droit au chômage partiel car vous n’avez pas fait le nécessaire. C’est nous qui prenons sur nos épaules la responsabilité de l’arrêt et on le fait en connaissance de cause.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Il ne sera facile pour personne. Certaines professions vont être plus durement pénalisées que nous comme le secteur du tourisme. De notre côté, une fois que le confinement sera passé on pourra s’en remettre. Il faut cependant déjà réfléchir à comment nous pourrons travailler demain et mettre en place une reprise même partielle et progressive tout en garantissant une sécurité pour tous. Ça va être compliqué. Ceux qui avaient de la trésorerie devront s’en servir pour aider les salariés qui sont au chômage partiel car ils ne touchent plus que 70% de leur salaire et vont perdre pratiquement un mois sur trois si la situation perdure. Il faudra également qu’on essaye de raisonner la filière entière car nous sommes tous dans la même barque que ce soient les entreprises et les clients. La clé passera par une vraie unité de la profession pour qu’il y ait le moins de casse possible. Mais malheureusement, il y en aura.

Combien de temps les entreprises pourront-elles tenir si la situation perdure ?

Difficile à dire, ça va dépendre beaucoup des trésoreries. Par contre le report des charges est une bonne chose pour éviter l’asphyxie, sauf qu’il ne faut pas penser que dans trois ou six mois - si l’activité reprend - elles seront capables d’assumer le courant en plus du passif qu’on est en train de créer. Je pense que ce serait une erreur. Il faudra du temps et réfléchir avec les pouvoirs publics. D’un point de vue économique si on ne veut penser qu’à ça, à mon avis ça fera moins mal de rester totalement arrêté pour les métiers qui ne sont pas essentiels, car je pense que cela coûtera moins cher que de "travailloter" pendant des mois puisqu’on ne travaille pas vraiment dans une période comme celle que nous vivons.

Vous avez des retours des entreprises du département ?

Elles n’en sont pas encore à faire des comptes ou à prévoir mais plutôt à se poser des questions parce que les messages qui sont diffusés donnent lieu à des incompréhensions. On dit tout et son contraire. Ils ont déjà eu pas mal de difficultés à mettre en place le chômage partiel. Donc on a essayé de les rassurer pour éviter la panique qui n’apportera rien de bon. Aujourd’hui on a des chefs d’entreprises qui se sentent seuls mais leurs salariés le sont aussi car lorsqu’on perd le lien du travail, on perd aussi le lien social. Ils doivent bien comprendre que tout ne s’est pas arrêté, nous sommes là et on sera présent demain également s’ils ont besoin de soutien.

Que pensez-vous du plan de sauvegarde annoncé par le gouvernement ?

Disons que c’est mieux que rien. Cela va dépendre aussi des entreprises, il va falloir être raisonnable. Le gouvernement essaye de faire des choses, après à nous aussi de dire plus tard,- si ça ne suffit pas -, voila ce dont nous avons besoin. Notre rôle sera de véhiculer la parole pour que nos entreprises puissent s’en sortir. Le gouvernement ne nous connaît pas forcement bien, il faut être réaliste. Ils sont plus dans leurs bureaux que dans nos boites.

La France était-elle prête à faire face à une crise comme celle-là ?

Cette période va nous changer profondément parce que nous pensions être prêts à faire du télétravail mais ce n’est absolument pas le cas. Même si on essaye, on se rend compte que l’on n’a pas appréhendé tout ça et ça va remettre profondément en cause le fonctionnement des entreprises. Des pistes d’amélioration vont naitre de cette période exceptionnelle car on se rend compte qu’on ne peut pas faire certaines choses comme avoir un accès à tous les fichiers ou à en télécharger certains. Nous aurons une vraie réflexion à mener sur le sujet.


Kévin Sanchez JRI Petites Affiches