L’Esport : nouveau phénomène aux enjeux juridiques et financiers


Paroles d’expert


27 mars 2020

Pendant que les compétitions sportives s’arrêtent les unes après les autres en raison du coronavirus, les championnats d’esport eux se poursuivent. Pour des raisons de sécurité les joueurs s’affrontent en ligne, chacun chez eux. Mais ça joue ! C’est le bon moment de faire un point sur les enjeux juridiques et financiers liés à ce type de sport.

Par Maître Anne-Marie PECORARO, Avocat au Barreau de Paris, Cabinet ATurquoise

Les compétitions de jeux vidéo ou le esport, à l’origine développé et connu seulement par les communautés plutôt restreintes de joueurs de jeux-vidéos ou "gamers", s’est développé de façon exponentielle ces dernières années.

D’abord reconnu comme un "vrai sport" dans de nombreux pays d’Asie (Chine, Japon, Corée du sud) ou bien aux États-Unis où cette nouvelle industrie représentait environ 696 millions de dollars en 2017 (et bien plus aujourd’hui), c’est au tour des pays Européens de reconnaitre cette activité, les enjeux financiers qu’elle génère, mais aussi de combler le vide juridique concernant notamment l’organisation des compétitions ou les statuts des joueurs. Il convient également de souligner les enjeux éthiques liés aux mineurs mais aussi aux femmes dans le milieu du esport que le législateur doit bien évidemment prendre en compte.

En France, les compétitions de jeux vidéo mais aussi les joueurs de nationalité françaises membres d’équipe internationales renommées et les spectateurs de tels événements, sont de plus en plus importants. La France n’échappe pas au phénomène de l’esport et le législateur français a donc été contraint de rattraper son retard et de commencer à mieux encadrer ce nouvel engouement toujours croissant. La loi pour une république numérique du 7 octobre 2016 offre une nécessaire reconnaissance juridique à l’esport. Deux décrets d’application du 10 mai 2017 quant à eux encadrent l’organisation des compétitions de jeux vidéo et le statut des joueurs professionnels.

Les compétitions de esport attirent des millions de spectateurs : elles sont encadrées par la loi pour une République numérique de 2016. (DR)

L’encadrement des compétitions de esport

La loi pour une République numérique de 2016 apporte une définition juridique à l’esport entendu comme "la pratique d’un jeu vidéo, seul ou en équipe, sur internet ou en réseau local, par le biais d’un ordinateur ou d’une console de jeux-vidéo". En France, les sociétés ou associations projetant d’encadrer les équipes, les joueurs et d’organiser les compétitions sont soumises à la loi pour une République numérique et doivent obtenir un agrément du ministère en charge du numérique. L’agrément est valable trois ans et est renouvelable. Il est nécessaire pour pouvoir employer des joueurs de esport et organiser des compétitions. Il oblige les employeurs à garantir une équité de traitement pour les joueurs salariés concernant les entraînements et la préparation aux compétitions. Pour obtenir cet agrément les sociétés et associations s’engagent aussi à fournir l’équipement et le matériel pour s’entraîner et doivent garantir des bonnes conditions d’entraînement notamment au regard de la sécurité et de la santé au travail des joueurs. Elles doivent aussi régler les problématiques de transfert de joueurs, notamment lorsque les joueurs rejoignent des équipes internationales, mais aussi les transports des joueurs et tout ce qui tourne autour de l’organisation lors des compétitions.

Le statut des joueurs professionnels et le cas des mineurs

En 2016 en France, environ 850 000 personnes pratiquaient l’esport. L’activité s’est développée et les compétitions, suivies par une audience significative, se sont aussi de plus en plus professionnalisées.
La loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 a alors créé un nouveau statut pour les joueurs professionnels de esport. Avant cette loi, les joueurs professionnels avaient généralement des statuts de travailleurs indépendants ou d’auto-entrepreneurs et étaient payés par les équipes en tant que prestataires, ce qui ne leur permettaient pas d’avoir les protections accordées aux salariés.

- En s’inspirant du droit du sport et du statut de salarié des sportifs professionnels de haut niveau la loi a créé un CDD de 1 an minimum et 5 ans maximum, renouvelable indéfiniment. Le joueur professionnel de jeux vidéo salarié est alors défini comme "toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeux vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d’un agrément du ministre chargé du numérique" et le code du travail lui est applicable. Ce statut de salarié permet aux joueurs d’être protégés mais aussi d’être reconnus par l’État et la société. Aujourd’hui encore, les joueurs professionnels de esport sont confrontés aux idées selon lesquelles "les jeux vidéo et YouTube ne sont pas des vrais métiers".
Et ceci est d’autant plus vrais pour les mineurs face à leurs familles.

Concernant les mineurs de moins de 16 ans pour qui il est normalement prohibé de travailler, les influenceurs, Youtubers et joueurs de esport constituent des exceptions et tombent sous le régime des enfants du spectacle (comme les enfants acteurs par exemple). Une société ou association bénéficiant de l’agrément décrit ci-dessus peut employer des mineurs de moins de 16 ans seulement sous autorisation de la Commission des enfants du spectacle, pour chaque mineur concerné et chaque rémunération. Les limitations du code du travail concernant le temps et les conditions de travail pour les mineurs doivent aussi bien entendu être respectées. Enfin, la loi PPL Avia qui régit notamment la protection des mineurs et leurs droits à l’image sur internet, va obliger les plateformes à s’assurer que les images de mineurs circulant sur internet ne soient pas contraire à l’intégrité et la dignité du mineur, sous peine de lourdes sanctions. Les plateformes diffusant du esport sont bien entendues les premières concernées.

Enjeux financiers et moyens de monétisation

Le marché du esport en France représente 22 millions de dollars, pour un peu plus d’un milliard aux États-Unis en 2019 et les récompenses pour les vainqueurs des compétitions peuvent être de l’ordre de milliers d’euros en France et de millions de dollars aux États-Unis. Les compétitions de esport représentent aujourd’hui de véritables événements. Elles sont non seulement organisées dans des stades tels les matchs de football, mais elles sont surtout diffusées sur internet et suivies par de nombreux internautes.

Comme les chaines de télévision pour les compétitions sportives, les plateformes en ligne cherchent donc à récupérer les droits exclusifs de diffusion et de retransmission des compétitions de esport. Par exemple, après deux saisons sur la plateforme Twitch, du groupe Amazon, l’Overwatch League, suivie par environ 300 000 de personnes sur internet et qui avait été
négociée pour environ 90 millions d’euros de droits de diffusion entre Twitch et son organisatrice, Activision Blizzard, sera dorénavant diffusée sur YouTube. La plateforme du groupe Google a ainsi récupéré la diffusion exclusive des compétitions de l’Overwatch League, en plus des droits de retransmission de la Call of Duty League et des compétitions de Hearthstone. Ceci prouve les enjeux financiers très importants que représentent l’organisation et la diffusion d’une ligue de esport en ligne, ainsi que l’implication de géants d’internet comme Amazon ou Google dans ce marché en croissance.

En dehors des droits de diffusion, l’industrie du esport est monétisée grâce à de nombreux partenariats avec des entreprises ou des marques. Les joueurs et les équipes vont utiliser certaines marques pour leurs uniformes et matériels lors de leurs entraînements et compétitions, en général régis par des licences et contrats exclusifs.
Le placement de produit est aussi très courant pour générer des revenus et est négocié entre organisateurs et grandes entreprises. Ce sont dans tous ces cas que le droit économique et le droit de la propriété intellectuelle interviennent.

Le milieu du esport, un milieu encore très masculin

Il est important de mentionner que l’esport s’est énormément développé mais reste néanmoins très masculin. Les femmes dans le milieu du esport ont moins d’opportunité, les équipes sont encore trop frileuses quant à leur intégration et elles font souvent face à des préjugés encore trop présents. Elles ne représentent que 10% des joueurs professionnels dans les compétitions de esport tandis que les femmes représentent 48% des joueurs de jeux vidéo amateurs tous genres, supports et catégories confondues. Les équipes féminines se créent pour certaines compétitions mais pas pour toutes et les équipes "mixtes" sont parfois totalement masculines. Depuis les débuts du esport les mentalités ont tout de même évolué et les éditeurs de jeux vidéo, organisateurs et sponsors semblent prêts à intégrer plus de femmes dans le milieu du esport.
Ces mouvements plus paritaires sont notamment applaudis et encouragés par Women in Games France (@wigj @wig_fr @wigfr_esport) présente au dernier événementEsports Bar à Cannes où se réunissent de nombreux acteurs du esport.
Et où j’ai été heureuse de participer à un panel


Anne-Marie PECORARO