Témoignage : comment les infirmières libérales gèrent-elles la situation de crise sanitaire ?


Santé


1er avril 2020

Manque de moyens, des patients à rassurer sans en savoir plus qu’eux, la fatigue est palpable.

Les infirmières libérales sont, comme l’ensemble des personnels soignants, en première ligne face à cette épidémie de Covid-19. Beaucoup d’entre elles ont été sollicitées pour prendre soin de patients touchés par le virus à leur sortie de l’hospitalisation. Thyphaine (qui souhaite rester anonyme), est une infirmière libérale, qui travaille aux alentours de Grasse. Aujourd’hui, elle témoigne pour Les Petites Affiches.

Comment vous organisez-vous durant l’épidémie ?

Les maisons médicales proposent aux infirmières libérales volontaires (elles peuvent refuser), de les aider. Pour cela, des astreintes ont été mises en place dans chaque commune. Mes trois collègues et moi, nous nous positionnons par demi-journée, où nous devons prendre en charge, en plus de nos patients habituels, soit par télécommunication soit par visite à domicile, les patients qui sont suspects Covid-19 ou Covid-19 avérés.

Cela fait une grosse charge de travail en plus ?

Effectivement, parce qu’il y a toute une partie administrative à faire en ligne. Et évidemment, les bugs internet qui vont avec. Il y a des mails à échanger avec les médecins, avec les autres infirmières, et tout cela prend énormément de temps. En temps normal, j’ai une remplaçante qui vient deux fois par mois au cabinet, mais elle ne vient plus pour le moment parce que de son côté, elle a ses propres patients. J’ai voulu éviter les risques de contagion, donc ça fait presque un mois que je n’ai pas eu de repos.

Avez-vous beaucoup de patients actuellement ?

Il y a quelques semaines, j’avais beaucoup de patients qui avaient subi des petites interventions et qui venaient pour se faire faire un pansement, une injection d’anticoagulant, etc. Mais tout ça, est en train de s’arrêter puisqu’il n’y a plus que les interventions urgentes qui ont lieu. Je n’ai que mes clients habituels et quotidiens.
Après, pour les astreintes, je les positionne sur mes temps de repos, quand je suis chez moi, notamment pour faire de la télécommunication. Parce que, ce qu’il faut savoir, c’est que ces patients-là, ne sont pas des cas « graves ». Soit, ce sont des patients suspects, donc au début des symptômes et nous devons simplement les surveiller et voir comment la situation évolue, en collaboration avec les médecins qui, eux, vont sur place si besoin. Soit, ce sont des patients qui ont déjà été hospitalisés et qui retournent chez eux, et là, nous les surveillons pour nous assurer qu’ils guérissent bien.
La télécommunication est favorisée, parce qu’on a d’autres patients à voir, donc il faut protéger tout le monde, mais bien sûr, si la télécommunication ne fonctionne pas et qu’il faut aller sur place, nous y allons.

Dans quel état d’esprit sont les patients ?

Il y a des patients qui ont peur. Les proches des patients ont très peur aussi. Il faut réussir à les rassurer, mais ça demande beaucoup d’énergie parce que nous non plus, nous ne sommes pas très sereines et nous n’en savons pas plus qu’eux, donc il faut prendre sur soi.

Que faites-vous durant les rendez-vous avec les patients « atteints » ?

Pour les patients qui ont des symptômes, nous les suivons quotidiennement, si nous nous rendons compte qu’il y a une aggravation des symptômes, nous appelons le médecin qui se rend sur place et prévoit une hospitalisation si c’est nécessaire.
Pour les patients qui sortent de l’hôpital, nous faisons la même chose, et si les symptômes persistent, nous appelons le SAMU.

Les patients qui reviennent d’hospitalisation, sont-ils encore contagieux ?

C’est une bonne question. Le problème, c’est que l’on entend tout et n’importe quoi. Ce qu’on nous a dit, c’est que normalement un patient n’est plus contagieux, 48h après la fin des symptômes. Mais comment savoir quand un patient a une toux qui persiste un mois ? Pour ça, il faudrait doser la charge virale du patient, mais étant donné, que l’on n’a pas encore de tests fiables, nous ne savons pas trop.

Avez-vous du matériel de protection (gants, masques, tenues, etc) ?

C’est le gros problème. Depuis le début du confinement, l’État ne m’a donné que deux boîtes de masques chirurgicaux (c’est-à-dire 2x50 masques). À savoir que, si je change de masques toutes les trois ou quatre heures comme il est préconisé, il m’en faudrait quatre par jours, donc mes deux boîtes ne suffiront jamais. Donc, j’utilise généralement un masque le matin et un masque l’après-midi, sauf si j’ai besoin de le changer en urgence. Les masques FFP2, mes collègues et moi, n’en avons pas vu la couleur, nous n’avons jamais eu de livraison.
La sécurité sociale nous a dit que si on prenait en charge des patients atteints du Covid-19, nous recevrons des kits de sécurité spéciaux, nous n’avons toujours rien eu. Donc nous avons appelé tous les magasins de matériel médical pour obtenir des blouses, des charlottes, des gants, des chaussures de sécurité, etc. J’ai dû poster un message sur Facebook et des entreprises m’ont fait des donations. On tente de faire des « réserves » que l’on se partage, mais c’est dur. J’en ai eu pour 300 euros en 48h.

Quand est-il du matériel médical (gels hydroalcoolique, désinfectant, thermomètres, etc) ?

Impossible d’en trouver. J’ai réussi à avoir, tant bien que mal, un flacon de gel hydroalcoolique. Pour le reste, le désinfectant pour le matériel, les tensiomètres, les thermomètres, les oxymètres, on n’en trouve plus. Pour éviter les risques de contamination, je dois presque imposer à tous mes patients d’avoir leur propre tensiomètre parce que je ne peux pas passer d’un patient à l’autre avec le même matériel.

Tous ces frais, vous seront-ils remboursés ?

Non, je pense que tout sera à mes frais. D’abord, parce que personne n’a parlé d’un quelconque remboursement et surtout parce que nous n’arrivons déjà pas à avoir le matériel qui nous est promis.

Avez-vous été appelée ’’en renfort’’ par des CCAS (Centre d’Action Sociale) ou hôpitaux ?

Non, puisque normalement, ils doivent contacter, en premier lieu, toutes les infirmières qui ne sont plus en activité, qui sont soit à la retraite, soit qui ont changé de métier, elles peuvent accepter ou refuser. C’est la même chose pour les médecins. Mais le problème, c’est que nous qui travaillons en ville, nous ne pouvons pas être réquisitionnés à l’hôpital, parce que sinon, il n’y aura plus personne pour s’occuper de nos patients. Ou alors, il faudrait qu’on travaille à l’hôpital de nuit, mais là, ce n’est plus possible.


Marion Rolland