Médecine d’urgence : anticiper et traiter


Paroles d’expert


2 avril 2020

Inutile de s’étendre sur les difficultés actuelles rencontrées par nos entreprises, mais il est acquis qu’à cette pandémie, succéderont des complications économiques graves : trésorerie exsangue, chiffre d’affaires en berne, etc. Beaucoup d’entreprises vont être infectées durablement, car, ne nous leurrons pas, entre la fin du confinement et une reprise poussive durant la période estivale, septembre est déjà là !
Pourtant, il y aura bien un rebond économique. Tout l’enjeu pour nos entreprises est donc aujourd’hui de tenir.

Par Maître Stephen GUATTERI - Avocat Associé Cabinet GHM Avocats Nice & La Colle sur Loup

Certains y arriveront, mais d’autres auront bien besoin d’un traitement préventif, voire curatif, sous peine de disparaître.
Alors il est urgent d’anticiper !

Certes, les partenaires institutionnels et consulaires ont rapidement mis en place tout un train de mesures et d’assistances.
Mais cela ne suffira pas !
En effet, entre les effets d’annonce et la réalité de leurs mises en œuvre, un réel décalage apparaît. Aussi, il est important de savoir qu’il existe des dispositifs juridiques rodés permettant d’anticiper ces turbulences économiques et de les traverser tout en maintenant le bon cap.
À l’instar d’un esquif ballotté par les flots d’un océan démonté, qui, pour éviter le naufrage, rentrerait momentanément au port afin de réparer son gréement, soigner son équipage et colmater sa coque, l’entreprise peut se "mettre momentanément à l’abri" pour reconstituer sa trésorerie, négocier ses délais, voire adapter sa voilure sociale.
Cependant cette décision doit être prise bien en amont de l’avarie. Si le navire est trop endommagé, quelles que soient l’exemplarité de son équipage, la qualité des infrastructures portuaires, et les ressources de l’armateur, celui-ci s’échouera irrémédiablement.
Pour affronter la tempête, le législateur a pourtant créé un cadre juridique très efficace pour prévenir et traiter les difficultés. Il serait dommageable de l’ignorer.

Procédures confidentielles de prévention

Deux procédures préventives confidentielles permettent d’éviter que les difficultés deviennent si graves qu’elles ne pourraient plus échapper au traitement judiciaire et à l’ouverture d’une procédure collective.

>>Le mandat ad hoc (C. com., art. L. 611-3)
La mission principale du mandataire ad hoc est d’aider le débiteur à négocier un accord avec ses principaux créanciers afin d’obtenir des rééchelonnements de dettes. Toutefois, rien ne sera imposé aux créanciers. Le mandat ad hoc a ainsi un caractère contractuel et ne peut donc être mis en place que si les parties y adhèrent.
Celui-ci est donc idéal pour traiter un passif bancaire, mais semble moins adapté à un passif social et fiscal important.
En effet l’obtention de délais de paiement des dettes fiscales ou sociales suppose de saisir la Commission des chefs de services financiers (CCSF) qui permet un étalement de ce passif sur un maximum de 48 mois. Toutefois, face à la pandémie du coronavirus, le Gouvernement a prévu des délais de paiement dérogatoires et/ou une remise d’impôt direct.
L’un des intérêts majeurs du mandat ad hoc tient à son absence de limitation de durée. Le débiteur en maîtrise le temps et peut à tout moment demander de mettre fin à la mission du mandataire.

>>La conciliation (C. com., art. L. 611-7)
Celle-ci a pour objectif de favoriser la conclusion, entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d’un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise et d’assurer sa pérennité.
L’accord de conciliation permet ainsi d’obtenir des rééchelonnements, des remises de dettes, des crédits nécessaires à la poursuite de l’activité ou encore d’envisager une restructuration.
La conciliation est adaptée à l’entreprise qui connaît des difficultés conjoncturelles. Ainsi, la désignation du conciliateur est prévue pour une période de 4 mois maximum, prolongeable jusqu’à 5 mois.
À l’issue, le conciliateur peut présenter des propositions en vue :
- De la sauvegarde de l’entreprise,
- De la poursuite de l’activité et,
- Du maintien de l’emploi.
Il peut également préparer une cession partielle ou totale de l’entreprise.
Si la conciliation est homologuée, les conséquences sont importantes 
- Levée de l’interdiction d’émettre des chèques,
- Interdiction pour les créanciers partis à l’accord d’exercer des poursuites individuelles et toutes voies d’exécution.
Ces 2 procédures préventives s’ouvrent par la demande motivée présentée par le dirigeant au président du tribunal de commerce qui va nommer un mandataire ad hoc ou un conciliateur. En pratique un administrateur ou un mandataire judiciaire.

Néanmoins si ces mesures préventives n’ont pas été mises en place suffisamment à l’avance, pas de panique à bord, il sera alors nécessaire d’intensifier le traitement en plaçant l’entreprise sous l’assistance respiratoire du tribunal de commerce. Se mettront alors en place des mesures de protection renforcées qui s’imposeront aux créanciers, mais cela est une autre aventure.


Guatteri Stephen