Dr. Gilles Le Liboux : « on commence à apercevoir des problèmes qui sont liés au confinement lui-même et non pas au virus »


Santé


3 avril 2020

Le Dr Gilles Le Liboux partage son expérience de médecin généraliste en temps de crises sanitaire

Le Docteur Gilles Le Liboux travaille dans deux cabinets médicaux, un cabinet de médecine générale à Vallauris Golfe-Juan, et le second, un cabinet de médecine sportive à la Colle-sur-Loup. Il fait part de son ressenti face à la crise sanitaire.

Quand avez-vous commencé à prendre des mesures face au virus ?

Avant le confinement. Dès qu’on a commencé à avoir de ’’mauvaises’’ nouvelles de Chine, et qu’on a commencé à sentir qu’une pandémie s’installait, quand les gens m’appelaient pour tout tableaux suspects d’infection (toux, fièvre, etc) c’est moi qui allait chez eux. C’est-à-dire que j’évitais que toute personne, potentiellement contaminée, vienne au cabinet, le contamine et contamine les autres patients. Quand j’y allais, je prenais toutes les précautions pour me protéger moi, grâce à une tenue complète, mais aussi eux, car je leur mettais automatiquement un masque.

Bénéficiez-vous de tests pour évaluer vos patients ?

Avant le confinement, nous avions quelques tests de dépistages possibles, maintenant, ils sont limités aux gens qui sont personnels soignants avec des symptômes. Donc, aucune possibilité de tester les patients. Toujours est-il que, s’il s’avère que mon patient, aujourd’hui, est fortement ’’positif cliniquement’’ sur les signes d’infection, je le confine chez lui. (NDLR : confiné par le médecin en plus du confinement imposé par l’État, signifie que le patient ne doit plus sortir même pour faire des courses, promener son chien, etc).

Comment vous organisez-vous avec les patients suspectés ou touchés par le virus ?

Un appel téléphonique, matin et soir pour qu’on fasse le point jusqu’à ce que ça aille mieux. Et si la situation se dégrade au niveau respiratoire, je retourne les voir, et dans ce cas-là, j’appelle le 15 (SAMU) pour les faire transporter.

Comment vous organisez-vous avec les consultations de tous les jours ?

Pour le cabinet et les consultations du tout-venant, j’ai simplement élargi les plages horaires de façon à ce que les gens arrivent à l’heure, je leur dit de ne pas arriver en avance, comme ça, personne ne croise personne. J’ai fait la même chose avec mon second cabinet situé à la Colle-sur-Loup. Et comme je suis seul, il n’y a pas le méli-mélo dans la salle d’attente, des patients de deux médecins collaborateurs.

Avez-vous encore du matériel médical et des tenues de protection ?

Il se trouve que, par le plus grand des hasards, j’avais fait une grosse commande de gels hydroalcooliques, que j’utilisais déjà, bien avant le virus. Après, j’avais déjà des sondes stériles pour les injections sous infiltrations pour les échographies, des gels stériles en unidose et un appareil de stérilisation. Mais j’essaie quand même d’être moins tactile, on ne se serre pas la main, on laisse toutes les portes ouvertes, il n’y a que moi qui touche les poignées que je désinfecte. Les patients utilisent leurs propres stylos s’ils font un chèque. Concernant les dotations de masques soi-disant efficaces, je n’en ai eu que quatre.
Cependant, je trouve ça un peu étonnant qu’on redécouvre l’hygiène dans un cabinet médical, cela paraît saisissant. En tant que médecin, c’est normal d’avoir un stérilisateur, de faire attention, de prendre des protections, etc.

Les mesures collectives sont-elles efficaces ?

Nous sommes face à quelque chose d’invisible, dont nous n’avons quasiment pas le moyen de diagnostic, pour lequel, nous n’avons pas de traitement. La situation est un peu chaotique. Effectivement, il faut prendre un peu plus de mesures, qu’elles soient collectives et surtout qu’elles soient adoptées partout, pour que se soit vraiment efficace.

Dans quel état d’esprit sont vos patients ?

Nous commençons un petit peu à ressentir maintenant, ce qu’on appelle le syndrome de Stockholm, le syndrome des incarcérés. Les gens sont confinés et on commence à apercevoir des problèmes qui sont liés au confinement lui-même et non pas au virus. Une anxiété majeure, des troubles du sommeil, une agressivité : ce sont des syndromes que l’on retrouve dans les prisons. Je trouve que cette situation exacerbe aussi beaucoup les défauts naturels des gens, les traits de chacun, la colère, l’égoïsme, etc.

Avez-vous plus de clients ?

Depuis le confinement, cela s’est un peu modifié. Au début, les patients avaient un peu plus peur de consulter. Certains se disaient que nous, médecins, n’étions plus là, que nous ne travaillions plus. C’était très étrange. Mais maintenant, ils savent que nous consultons toujours, notamment par téléphone pour éviter certains déplacements.

Faites-vous de la téléconsultation ?

Pour la médecine générale pure, non je ne le fais pas. Parce que généralement, le soir, j’ai déjà une soixante d’appels, j’ai mon petit listing de patients. Et si besoin, j’irai voir celui dont les symptômes s’aggravent et qui serait susceptible d’être candidat pour entrer à l’hôpital. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi les hôpitaux sont si débordés, parce que de nombreuses cliniques privées sont vides, et les médecins et anesthésistes se tournent les pouces... Mais ça, c’est un autre débat...

Propos recueillis par Marion Rolland


Marion Rolland