Crise sanitaire : un traitement pour la copropriété ?


Paroles d’expert


6 avril 2020

La crise sanitaire liée au virus COVID-19 affectera-t-elle la gestion des copropriétés ?
Telle est la crainte de tout groupement doté de la personnalité morale dont le bon fonctionnement est tributaire de la réunion de ses organes de gestion.

Par Maître Farouk MILOUDI, Avocat Associé Cabinet GHM Avocats

Or, depuis le 13 mars dernier tous les rassemblements de plus de 100 personnes sont interdits.
Par ailleurs, et par décret 2020-260 du 16 mars 2020, modifié par décret 2020-279 du 19 mars 2020, il a été fait interdiction à toute personne de se déplacer (sauf exceptions prévues par le texte).

La tenue de l’assemblée générale des copropriétaires qui doit se tenir, a minima, une fois par an (article 7 du décret du 17 mars 1967) est donc, de fait, impossible.

Nonobstant les questions relatives à la gestion courante de l’ensemble immobilier, les copropriétaires doivent également désigner l’organe de représentation du syndicat des copropriétaires, savoir le syndic.

A défaut, le syndicat des copropriétaires ne saurait valablement fonctionner, ce qui risque de mettre en péril tant sa situation économique que juridique.

C’est donc dans ce contexte que le législateur a adopté la loi 2020-290 du 23 mars 2020, afin de pallier les éventuelles carences de représentation des syndicats des copropriétaires.

C’est ainsi que la loi du 23 mars 2020 prévoit, en son article 11, que « Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi et, le cas échéant, à les étendre et à les adapter aux collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution : (…) j) Adaptant le droit de la copropriété des immeubles bâtis pour tenir compte, notamment pour la désignation des syndics, de l’impossibilité ou des difficultés de réunion des assemblées générales de copropriétaires ; ».

Le traitement tant espéré a été prodigué par le Gouvernement qui selon l’article 22 de l’Ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020 a prévu que « Par dérogation aux dispositions de l’article 1102 et du deuxième alinéa de l’article 1214 du code civil et de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le contrat de syndic qui expire ou a expiré pendant la période définie à l’article 1er est renouvelé dans les mêmes termes jusqu’à la prise d’effet du nouveau contrat du syndic désigné par la prochaine assemblée générale des copropriétaires. Cette prise d’effet intervient, au plus tard six mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire mentionné à l’article 1er ».

A priori, l’effet escompté est obtenu dans la mesure où aucune copropriété ne se trouvera dépourvue d’organe de représentation.

Cela étant, l’effet curatif de ces dispositions est toutefois à tempérer, la réponse apportée, dans l’urgence, appelle certaines observations.

- D’une part, et sous couvert de la crise sanitaire, les prérogatives normalement dévolues à l’assemblée générale des copropriétaires ont totalement été occultées. En effet, la voie du renouvellement du contrat de syndic a été préférée à celle de la prorogation. En optant pour le renouvellement, il est donc imposé aux copropriétaires un nouveau contrat alors que la prorogation aurait eu pour effet de maintenir l’ancien contrat en modifiant uniquement son terme.

- D’autre part, ces dispositions législatives ne règlent que la question de la représentation du syndicat des copropriétaires. La gestion de l’ensemble immobilier n’est absolument pas abordée. Le syndicat des copropriétaires aura donc bien un organe de représentation qui sera toutefois incapable d’administrer correctement la copropriété, les résolutions relatives aux travaux, aux éventuelles procédures à diligenter ou à toute autre problématique inhérente à la gestion, ne pouvant être abordée que par l’assemblée générale des copropriétaires.

- Le maintien du syndic aurait donc pu être accompagné de la possibilité donnée aux copropriétaires de voter de manière dématérialisée sur certaines questions importantes, afin de ne pas paralyser le fonctionnement de l’ensemble immobilier, d’autant que cette option avait été envisagée par la loi ELAN et a été reprise dans la réforme du droit de la copropriété.

Partant, ce renouvellement de contrat « isolé » risque de placer le syndic tout comme le syndicat des copropriétaires dans une situation de blocage qui pourra, donner lieu, le cas échéant, à de nombreux contentieux.

En définitive, le législateur aurait dû mettre en place un traitement davantage réfléchi, véritable curatif à cette situation de crise, et non un palliatif qui ne fait que déplacer le pic viral.

Gageons que les copropriétaires tout comme les syndics devront alors opter pour le traitement judiciaire pour mettre un terme définitif à cette crise.


Maître Farouk MILOUDI, Avocat Associé Cabinet GHM (...)