Assurances : perte d’exploitation


Paroles d’expert


30 avril 2020

Les événements qui affectent la planète entière ont des répercussions sur toutes les professions. L’Assurance, loin d’être épargnée, est au contraire au centre de bien des discussions et des polémiques. La communication des compagnies d’assurance n’est pas étrangère à cela.

Par Philippe CHAUCHE, Directeur Associé DIOT Méditerranée

Les événements qui affectent la planète entière ont des répercussions sur toutes les professions. L’Assurance, loin d’être épargnée, est au contraire au centre de bien des discussions et des polémiques. La communication des compagnies d’assurance n’est pas étrangère à cela.

Quelle est la situation ?

La pandémie dite COVID-19 et sa propagation rapide ont poussé les gouvernements de nombreux pays à décider de confiner la quasi totalité de la population et de fermer un certain nombre d’établissements et commerces.
Ce faisant, certaines entreprises ont cessé totalement leur activité, d’autres ont vu leur activité et leur chiffre d’affaires fortement diminués.
En langage d’assureur, ce phénomène est appelé "Pertes d’Exploitation" (PE), qui correspond au calcul comptable de la Perte de Marge brute.

Que disent les contrats d’assurance ?

Les PE constatées, importantes et incontestables, sont donc la conséquence de la décision des autorités. Or, tous les contrats d’assurance (à de très rares exceptions près et ce, y compris pour les très grandes entreprises) ne couvrent les PE, que dès lors qu’elles sont consécutives à un Dommage garanti : Incendie, Explosion, Bris de Machine, Carence de fournisseur (elle-même devant être consécutive à un dommage garanti)….
Les PE sans Dommage, qui plus est consécutives à une décision gouvernementale, ne sont pas couvertes. Le seraient-elles que la quasi totalité des contrats exclue de toute façon les conséquences d’une épidémie
généralisée ou pandémie, soit en la nommant, soit sous le vocable de "micro-organisme" ("Un virus est un micro- organisme qui infecte un organisme humain hôte").

Quelle est la justification de cette absence de garantie ?

Pour simplifier, nous dirons qu’elle est double :
- Le risque de pandémie, de par son caractère systémique (il touche l’ensemble des entreprises), fait disparaître les notions d’aléa et de mutualisation (entre risques sinistrés et non sinistrés), principes même de l’assurance. Il en est d’ailleurs de même pour la décision gouvernementale qui fait également disparaître cette notion.
- La couverture des PE suite à pandémie (touchant l’ensemble des assurés) représenterait une charge comparable à la totalité des fonds propres des assureurs en France (50 à 70 Mds € selon les estimations des experts avertis de manière unanime).

L’autorité de régulation, l’ACPR, a d’ailleurs mis en garde contre une déstabilisation financière des assureurs qui emporterait des conséquences encore plus importantes. Le président de la République ainsi que de nombreux acteurs et commentateurs de la situation ont, à plusieurs reprises, évoqué le terme de "guerre". Il ne me paraît pas inintéressant de noter que la guerre est une exclusion légale de garantie des contrats d’assurance. Elle est inassurable et la justification est son caractère systémique.

Et c’est bien la raison pour laquelle il est question d’avoir à l’avenir recours à l’État dans le cadre d’un régime Public-Privé, inspiré des Catastrophes Naturelles, pour couvrir ce risque dit de "Catastrophe Sanitaire".
Bruno Le Maire a parfaitement résumé la situation le 28 avril en déclarant : "La prise en charge des assureurs des pertes d’exploitation liées à la pandémie, en dehors de toute possibilité pour elles d’en avoir organisé au préalable la couverture financière par les mécanismes habituels de cotisations des assurés, provisions et réassurance, porterait atteinte à leur équilibre économique et risquerait donc de déposséder la collectivité des assurés qui disposent par ailleurs de créances légitimes à l’encontre de ces entreprises d’assurance sur d’autres risques".

Pourquoi cette polémique ?

La polémique est la conséquence de plusieurs facteurs :
- L’assurance et ses mécanismes sont méconnus du grand public. Probablement, le monde de l’assurance en général, et nous courtiers, mandataires des clients et non des assureurs comme le sont les agents généraux, porte une part de la responsabilité de cette méconnaissance. Cette méconnaissance est la raison essentielle de la mauvaise image, très mauvaise pourra-t-on dire après cette crise, des assureurs. Pour tout un chacun, l’assurance doit intervenir chaque fois qu’un phénomène indépendant de la volonté de l’assuré intervient. Comme cela n’est évidemment pas le cas…
Les exemples de non-intervention sont nombreux et ont la mémoire longue. Les exemples d’indemnisation par l’assureur, parfois permettant de sauver une entreprise, pourtant nombreux aussi, sont moins présents à l’esprit. Les trains qui arrivent à l’heure et la mémoire…La communication des assureurs dans cette crise est plus que perfectible : tardive, désordonnée, changeante.

Certaines positions ajoutent à la colère et la cacophonie :
- Certains assureurs annoncent qu’ils vont couvrir les PE car leurs contrats les couvrent. Ces cas sont rares et ne concernent que très peu d’entreprises sur l’ensemble du tissu économique. Ils devraient plutôt expliquer, mais c’est évidemment moins populaire, que leurs contrats ont omis de les exclure.
- Certains assureurs annoncent qu’ils vont couvrir les PE, même non couvertes, par "geste commercial" ou par "solidarité
nationale", provoquant une panique chez les autres assureurs que l’ont va accuser de ne pas jouer ce jeu. Ces assureurs se garderont bien de préciser qu’ils le font par opportunité commerciale et surtout parce qu’ils ne sont que très peu concernés. Ajoutons qu’ils ne couvrent pas les PE à la hauteur du préjudice subi la plupart du temps, mais vont verser une somme forfaitaire de quelques milliers d’euros.

Beaucoup ne sortiront pas indemnisés de cette crise. Les assureurs eux n’en sortiront pas indemnes.


Valérie Noriega