Perte d’exploitation : quand les remboursements manquent d’assurance


Economie


4 mai 2020

Au grand dam des professionnels, les compagnies n’indemnisent pas les effets de la pandémie. Début de polémique. Survie de nombreux commerçants en jeu. Dossier explosif.

Conversation téléphonique (à peine imaginaire) entre deux restaurateurs :
- Maître Bucose : "tiens, j’ai reçu ce matin mon indemnisation pour la perte d’exploitation depuis le 14 mars dernier".
- Maître Dacusse : "Ah bon ? Moi, je n’ai droit à rien du tout".

Dans leur immense majorité, les restaurateurs, les hôteliers et les commerçants au sens large se retrouveront plutôt dans les propos de Maître Dacusse. Parce que, sauf cas très exceptionnels, les assurances ne garantissent pas un événement comme la pandémie. Le régime des "catastrophes naturelles" n’est en effet pas applicable pour le Covid-19.
Mais si Maître Bucose a pu, malgré tout, recevoir une indemnisation, c’est parce qu’il avait souscrit un contrat auprès de "bancassurances" qui prévoient ce genre de sinistre. À notre connaissance, elles ne sont que trois : Crédit Agricole, Crédit Mutuel et CIC.

Vers une couverture obligatoire

La violence de la crise et les conséquences à en redouter- risque de faillite pour 40 000 des 200 000 restaurants français - a incité le gouvernement a lancer un groupe de réflexion pour imaginer un système pour couvrir les risques exceptionnels. Ce think tank, composé de représentants d’entreprises, de parlementaires et d’assureurs, doit faire des propositions concrètes avant l’été.
Toute la difficulté réside dans une couverture des risques qui doit rester dans une fourchette de prix abordable. Car les provisions actuelles des assurances ne sont pas calibrées pour un arrêt total et généralisé de l’activité. Elles ont été amassées au fil des années et peuvent faire face à des catastrophes naturelles (tempêtes, inondations par exemple) qui, pour être dévastatrices, restent cependant localisées. Une pandémie, c’est une toute autre échelle. Les assureurs font savoir qu’ils n’ont pas aujourd’hui les moyens financiers d’indemniser les conséquences du Covid-19. Pour eux, cela n’entre pas dans les garanties "perte d’exploitation" figurant dans la quasi totalité des contrats actuellement en cours.
Pour l’avenir, le groupe de travail explore la faisabilité d’une couverture assurantielle obligatoire "qui serait garantie par l’État", seule possibilité selon la Fédération Française des Assurances.

Des remous chez les assureurs

Les trois compagnies déjà citées ont jeté un pavé dans la mare qui a fait quelques remous ces jours derniers.
Elles ont annoncé pour leurs souscripteurs le versement d’indemnités pour "perte d’exploitation". Ce qui serait possible pour elles ne le serait donc pas pour les autres ? Oui, non, enfin peut-être...
Les assurances qui n’entrent pas en indemnisation pour le Covid expliquent que leurs concurrentes ont en fait un "portefeuille multirisque pro peu développé, moins de 1% du marché" et qu’en conséquence elles ont les moyens de payer les effets de cette pandémie en gagnant leur argent ailleurs, sur l’assurance habitation, auto etc. Elles n’auraient donc pas été en mesure de payer ces aides si leur portefeuille "pro" avait été plus conséquent.
La présidente de la Fédération Française des Assurances,
Florence Lustman, a cependant estimée dans une interview au journal La Croix que ces indemnités "s’inscrivent pleinement dans les mesures de solidarité exceptionnelles annoncées ces dernières semaines et qui s’élèvent à 3 milliards d’euros".

Message brouillé

On a bien compris que la concurrence commerciale est vive dans ce secteur. Les annonces d’indemnisation par trois "francs tireurs" ont brouillé le message des autres compagnies, qui ont déjà bien du mal à convaincre leurs souscripteurs que cette pandémie n’est pas comprise dans les contrats actuellement en vigueur...

Maître Bucose a donc touché entre 7 000 et 20 000 euros forfaitaires - une aide saluée par la CGPME qui pousse à la roue pour une indemnisation Covid - tandis que son collègue Dacusse ne bénéficiera pas de ce coup de pouce, sûrement insuffisant mais quand même bienvenu, pour éviter que les carottes soient cuites...


Jean-Michel Chevalier