Relance : il faut que les ménages dépensent plus et épargnent moins


Economie


11 juin 2020

Pour l’économiste Éric Heyer, le système bancaire est suffisamment solide pour permettre aux entreprises de sortir de cette crise. Sauf seconde vague et nouveau confinement....

Économiste, invité régulier des plateaux de télévision, enseignant (Science Po, Skema), directeur du département "analyse et prévision" de l’OFCE et membre du Haut Conseil des finances publiques, éric Heyer a analysé pour le Club Immobilier Côte d’Azur la situation de notre pays au sortir de deux mois et demi de confinement. Et tenté de dessiner comment la "reprise" permettra de remettre le pays sur les rails.
"Avec la pandémie, tous les pays développés connaissent la récession, entre 8 et 10 points de PIB. Cette crise arrive du côté de la demande avec des commerces fermés et moins de consommation, avec aussi un choc d’offre par rupture momentanée des approvisionnements. La situation est complètement inédite, nous n’étions pas prêts à affronter un tel événement. Constatant que la récession serait inévitable, les gouvernements ont donc essayé de limiter le coût de la crise sur la mortalité, d’où le confinement et l’arrêt brutal de l’activité".

Coup de froid pour les pays développés

Voilà pour le constat dressé par Éric Heyer. Pas franchement réjouissant, mais pas totalement négatif puisqu’il s’attend à "un gros rebond de l’ordre de +6% en 2021", ce qui est important même s’il ne permettra bien sûr pas de retrouver le niveau "d’avant". Pour l’économiste, les pays développés pourront absorber le choc - avec des faillites et du chômage inévitables - et le système bancaire est assez solide pour faire face à la condition qu’il n’y ait pas une seconde vague de l’épidémie entraînant un nouveau confinement. Si tel était le cas, un effondrement général serait sinon une certitude du moins une probabilité très forte.
Alors qu’en janvier le FMI annonçait encore une croissance de +3% sur l’Europe (la France espérait +2% environ), ces prévisions n’ont plus cours aujourd’hui. "Seules la Chine et l’Inde devraient être en positif, à +1 ou +2%" estime Éric Heyer, mais cela est "peanuts" par rapport à leur situation antérieure, ces pays affichant des +8% qui déjà étaient en recul par rapport aux années précédentes.

Reprise en "V" ?

"Tous les secteurs se sont effondrés : la construction, l’industrie et surtout les services, qui seront les plus pénalisés. La France est sur la même ligne, avec un tout petit rebond en avril. Pendant le confinement, nous avons tourné aux deux tiers des capacités, chaque journée a coûté 2 milliards. Le gouvernement annonce -8% de PIB pour cette année, mais je crains que cela soit davantage, sauf reprise rapide. On voit bien que même la Chine a des difficultés à revenir à la normale" constate l’économiste.
Évidemment, ce qui est intéressant, c’est d’analyser s’il est possible de repartir rapidement, la fameuse reprise en V qui serait la sortie idéale de cette période. Éric Heyer ne va pas bien sûr la certifier devant notaire, mais il annonce des facteurs favorables qui permettent d’espérer des jours meilleurs.
"Il faut maintenant éviter que la crise devienne financière dans les pays développés. Si les banques se retrouvaient aussi en difficulté, nous serions dans la même situation qu’en 2008. Le rôle des banques centrales sera primordial, elles interviennent massivement pour soutenir le système, les liquidités sont abondantes. De nombreux états garantissent entre 80 et 100% des crédits. Tout est fait pour ne pas se retrouver en faillite comme il y a douze ans. Aujourd’hui, les bourses qui s’étaient brutalement effondrées ont déjà récupéré une partie des pertes".

Endettement, relance keynesienne...

Le challenge, c’est que les entreprises ne disparaissent pas, qu’elles puissent fournir la demande des consommateurs. Mais rien n’est gagné puisqu’elles sortiront fortement endettées, avec les reports de fiscalité et de charges et les emprunts qu’il faudra bien rembourser.
"Pendant le confinement, ne pouvant dépenser, les Français ont fait une épargne forcée de 55 à 60 milliards. C’est un ressort de croissance extraordinaire, mais pour le moment on ne sait s’ils vont consommer ou continuer à épargner dans la crainte d’un avenir incertain" poursuit Éric Heyer. Pour lui, le moment est venu de réinvestir dans le secteur public et dans la rénovation thermique – une relance keynesienne – les énergies renouvelables, etc. "Il y aura des investissements de 100 à 200 milliards par an pendant dix ans au niveau de l’Europe".

Ce sont tous ces curseurs que les politiques vont devoir manier avec subtilité dans les prochaines années. Sûr, on ne va pas s’ennuyer !


Jean-Michel Chevalier