La grande solitude du buveur de café à Matignon


Economie


9 juillet 2020

Après la délicieuse soirée passée la veille à Matignon - celle des félicitations de la famille et des amis sincères, des courtisans aussi pour cette nomination que personne n’avait vue venir - Jean Castex espérait bien dimanche matin prendre tranquillement son petit déjeuner avant d’affronter sa première journée aux manettes.

Las ! Il allait mordre dans un croissant bien doré et croustillant lorsqu’un huissier vint lui porter un pli scellé barré en lettres rouges de "URGENT" et "CONFIDENTIEL". Une fois décacheté, le nouveau Premier ministre s’aperçut qu’il s’agissait d’une lettre d’offres de services de l’ancienne ambassadrice des pôles (nord et sud), Ségolène Royal, venue mettre ses immenses talents aux service de la pauvre France. Jean Castex sourit, se disant in petto que l’égérie du Chabichou et ancienne ministre de l’écologie - qui ne laissa comme souvenir que les portiques aussi inutiles et disgracieux qu’onéreux le long de nos autoroutes - ne manquait décidément pas d’air.

Il allait reprendre son croissant quand un "bip" l’avertit de l’arrivée d’un message sur son téléphone sécurisé. Rapide coup d’œil : "Bonjour, si vous cherchez à remplacer ce pauvre Castaner, sachez que je suis dispo, n’étant plus retenu à Barcelone. J’ai déjà une bonne expérience du job. Amitié, Manuel Valls".

Le nouveau P. M. n’eut pas le temps de répondre que déjà un conseiller lui glissait à l’oreille que le professeur Raoult se disait tout disposé "à devenir le nouveau ministre de la Santé". Toujours modeste, le virologue marseillais plaidait qu’en le nommant à un poste à la hauteur de son talent, le nouveau chef du gouvernement "ne prenait que le risque d’avoir quelqu’un de compétent, parce que ce n’est pas pour dire, mais les autres toubibs qui ont été titulaires..."

Jean Castex interrompit la diatribe de son collaborateur et huma, l’air penseur, son café dont les volutes se dessinaient à contre-jour dans la fenêtre ouvrant sur le parc ensoleillé.

"Coucou, tu peux compter sur moi !" : le visiteur qui fit brutalement irruption n’avait pas même pris la peine de se faire annoncer. Malgré les années qui passent inexorablement, le P. M. reconnut aussitôt l’ineffable Jack Lang, tout prêt à faire le don de sa personne pour un nouveau mandat à la Culture. "Tu verras, ensemble, on va organiser des fêtes formidaaaables  !"
Les huissiers éloignèrent l’importun. Ils eurent aussi du mal à contenir
Bernard Tapie qui voulait entrer par la fenêtre et, dans l’antichambre, d’autres candidats à un maroquin, dont Jean-Luc Mélenchon pour le Quai d’Orsay ; Rachida Dati qui se serait bien vue au ministère de la Ville (de Paris) ; et Jean-Marie Bigard pour la condition féminine.

Nouveau bip, nouveau SMS via la messagerie cryptée. Cette fois, c’était du lourd, du signé E.M. en personne : "Bribri et moi serions heureux de t’avoir à déjeuner ce midi, RV à 12h15 à la Lanterne, daccodac  ?"
Songeur devant la tâche qui l’attend, le successeur d’Édouard Philippe se plongea dans une longue réflexion. Enfin seul, il but son café, froid.


Jean-Michel Chevalier